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  • NEO-FEMINISME ET CINEMA

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        Dans le monde résolument désenchanté du néo-féminisme virulent, les nouvelles semblent chaque jour plus ahurissantes, voire proprement insensées. Celles-ci n’en sont pas moins l’expression de forces actives, et même puissantes, au sein de la société. C’est la raison pour laquelle il est important de les affronter, c’est-à-dire littéralement les regarder en face.

       Intéressons-nous à ce que subit depuis plus d’un an, la Cinémathèque française. Depuis Octobre 2017, parce qu’elle a osé programmer une rétrospective Polanski (accusé de viol il y a plusieurs décennies), cette vénérable institution est jugée coupable, par toute une série d’associations (« Osez le féminisme », « La Barbe »,  « Mouvement HF », « Femen »), de propager la culture du viol. Le discours classique, qui jusqu’alors semblait juste à tout un chacun, à savoir faire la part des choses entre la valeur d’une œuvre d’art et les agissements de son auteur, est désormais obsolète : tout doit être condamné en bloc. Ainsi des militantes annoncent-elles la couleur avec une bonne conscience résolue : « on ne peut pas distinguer l’œuvre de l’homme. Il faut connaître les biographies des auteurs » ; « on doit être informé des condamnations, des procès en cours et même des soupçons… » (1). Comment mieux dire que le moindre doute suffit désormais comme motif de censure ? De même, en Novembre 2017, la Cinémathèque, toujours sous le coup de ces accusations, a-t-elle jugé prudent  d’annuler une prochaine rétrospective Brisseau (jugé il y a plusieurs années pour harcèlement sexuel). On ne donne pas cher dans ces conditions d’hypothétiques rétrospectives d’autres grands cinéastes, tels Clouzot ou Pialat, réputés pour leur comportement peu amène avec les actrices sur les plateaux de tournage …

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        Mais la culture du soupçon ne s’arrête pas en si bon chemin. Le travail d’assainissement est toujours à recommencer. Le collectif « La Barbe » a ainsi récemment déploré un état de fait absolument scandaleux, dans un communiqué sans appel : « Satisfecit à la Cinémathèque française qui pour ces six derniers mois, présente 98% de films réalisés par des hommes. » (2).  Que dire ?... Même si la comptabilité exacte paraît aux dires mêmes des responsables de la programmation, bien plus près de 20% que de 2%, il faut bien évidemment comprendre que cette écrasante majorité masculine n’est en rien un choix délibéré de la Cinémathèque, mais bien le reflet d’une réalité : quelles qu’en soient les raisons, l’histoire du cinéma a bel et bien été bâtie par les hommes ! Faudra-t-il demain condamner une exposition d’Impressionnistes parce que le nombre de peintures signées Berthe Morisot y sera minoritaire ? Reprocher à un cours d’Histoire de faire la part belle aux rois et aux empereurs au détriment de leurs épouses ? S’offusquer qu’en matière de théorèmes de géométrie, il n’y en ait toujours que pour Thalès et Pythagore, des hommes comme par hasard ?  

        Le plus cocasse dans toutes ces affaires est qu’il ne s’agit nullement, comme on pourrait le croire, d’une lutte entre ardentes féministes de progrès et tenants réactionnaires du conservatisme masculin le plus éculé. Au contraire, elles mettent aux prises féministes convaincus et féministes prosélytes, progressistes confirmés et progressistes radicaux, rebelles et insurgés, modernes assumés et super-modernes. Cela fait un certain temps en effet que les dessins animés, les séries télévisées, les films, font la part belle à l’autonomie féminine, à son ascendant incontestable sur des hommes falots, régulièrement dépeints en inconstants et en irrésolus. Les films de Polanski, amusant paradoxe, ne cessent justement de montrer des femmes dominatrices, dont le parcours va toujours vers davantage de prise de décision et donc de pouvoir ; il n’existe pas une production Disney sans héroïne refusant qu’on lui dise ce qu’il faut faire, et prenant tous les risques ; pas une série où l’acuité intellectuelle comme le courage physique d’une femme ne permettent de relancer la fiction. Mais cela n’est manifestement pas suffisant. Comme l’avait bien vu Philippe Muray, nous assistons désormais à la même pièce inlassablement rejouée, le petit théâtre opposant les Modernes entre eux : « La rupture ne se bat qu’avec la cassure. La contradiction avec la dérangeance. Le changeant avec le mutant. Le déraisonnable avec le délirant (…) Pour la première fois, il n’y a plus d’affrontements qu’entre factions incarnant le changement et voulant ce qui est ou ce qui advient avec une égale fureur » (3).

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        Il est d’ailleurs vain de raisonner, car le rationnel n’a aucune chance d’émouvoir l’idéologue, par nature exclusivement nourri de sa propre cohérence. Derrière ces coup de boutoir répétés contre la liberté de montrer les films de grands cinéastes (même quand ils ont eu affaire à la justice), la liberté de montrer des films tout court (même s’ils reflètent les principes d’époques révolues), sévit un désir forcené : celui de mettre à bas le monde d’avant. Car pour ces gens tout est à revoir, tout est à déconstruire, rien ne va plus. Le bon sens est une oppression qui ne dit pas son nom, et de la même manière que toute langue est fasciste, la moindre logique s’avère profondément machiste. L’entreprise de nettoyage va jusqu’à l’esthétique même des films, laquelle est accusée de relayer un regard d’homme, qui relègue systématiquement les femmes à un statut inférieur, puisque dévolues uniquement à la satisfaction masculine (le fameux « male gaze » repéré par l’essayiste Laura Mulver, dans la plupart des oeuvres d’Hollywood (4)). De même, la politique des auteurs est avant tout une machination patriarcale, et la Nouvelle Vague, une violence-faite-aux-femmes parmi d’autres : « La figure de l’auteur s’est construite contre les femmes. La Nouvelle Vague a révolutionné le cinéma avec une figure forte de l’auteur intellectuel, où l’actrice campe une muse» (5). Les muses, c’est mal. Dites non à Calliope et merde à Melpomène ! Il est d’autant plus inutile de chercher à argumenter qu’un ennemi a été clairement identifié, et qu’un ennemi doit être abattu plutôt que compris. Au-delà du ressentiment post-colonial vis-à-vis des Blancs, au-delà de la réponse féministe à des décennies (des siècles ?) d’oppression masculine, c’est l’hétérosexualité qu’il s’agit de détruire, car c’est elle la cause de tous les maux : elle n’a pas été seulement contingente de ces divers processus historiques de domination, mais en est la cause première !

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        Dans un texte effrayant de rationalité morbide, publié il y a un an dans Libération (6), le philosophe Paul B. Preciado (anciennement Beatriz Preciado, compagne des années durant de la romancière Virginie Despentes), qui dit ne plus parler en tant que femme car elle/il a « volontairement et intentionnellement abandonné cette forme d’incarnation politique et sociale », énonce ainsi, sans la moindre équivoque, l’acte d’accusation valant mise à mort. L’hétérosexualité, dont l’esthétique est « grotesque et meurtrière » (ce qui justifie sans peine les actions coercitives des cohortes énumérées ci-dessus), n’est autre qu’un « régime de gouvernement », s’imposant par la plus grande violence. Au point que cet ordre « nécro-politique » s’avère « aussi dégradant et destructeur que l’étaient la vassalité et l’esclavage à l’époque des Lumières ». On ne peut mieux dire qu’il faut d’urgence le renverser. A lire ce texte, on comprend assez vite que l’hétérosexualité est à bannir, avant tout parce qu’elle est l’un des derniers vecteurs de différenciation. Puisque le brouillage des genres, paré de toutes les vertus, est supposé garantir la paix éternelle, elle ne peut qu’être hautement répréhensible. La dernière phrase est à cet égard instructive : « Laissez-nous baiser avec notre propre politique du désir, sans homme et sans femme, sans pénis et sans vagin, sans hache et sans fusil »… A ce culte de l’indéterminé dont le caractère pacifique n’est qu’une utopie mortifère de plus, nous avons envie d’opposer les mots d’un autre philosophe, tout aussi légitime, le grand chef Paul Bocuse, récemment disparu. Ce dernier raillait les plats sans structure ni colonne vertébrale, aux goûts par conséquent sans richesse ni contraste, et plaidait pour une cuisine « identifiable ». « Il faut qu’il y a ait des os et des arêtes ! » tonnait-il, et c’est bien la réponse à donner au « sans hache ni fusil » des apprentis totalitaires. A sa suite, et contre toutes les bandes ivres de censure, qui déclinent chacune à leur manière la haine du différencié, défendons partout l’identifiable !

     

    1) « La barbe à rebrousse-toile », next.liberation.fr, 1/12/2017

    2) « Chasses gardées pour les hommes», liberation.fr, 17/01/2018

    3) Philippe Muray, Moderne contre moderne. Exorcisme spirituels IV, Les Belles Lettres, 2005

    4) Laura Mulver, “Visual pleasure and narrative cinema”, Screen, Volume 16, Octobre 1975

    5) « La barbe à rebrousse-toile », ibid.

    6) « Lettre d’un homme trans à l’ancien régime sexuel», liberation.fr, 16/01/2018

     

    Texte publié dans le n°171 de la revue Eléments

     

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