Amanda Langlet
(1967 - )
La candeur de Pauline à la plage (Eric Rohmer, 1983)
L'espièglerie d'Elsa, Elsa (Didier Haudepin, 1985)
La sollicitude de Conte d'été (Eric Rohmer, 1996)
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Amanda Langlet
(1967 - )
La candeur de Pauline à la plage (Eric Rohmer, 1983)
L'espièglerie d'Elsa, Elsa (Didier Haudepin, 1985)
La sollicitude de Conte d'été (Eric Rohmer, 1996)
Les derniers films en date sur la Révolution française ne traitaient celle-ci que par la bande, ainsi de l’insignifiance chatoyante de Marie-Antoinette (Sofia Coppola, 2006) ou du romantisme étudié des Adieux à la reine (Benoît Jacquot , 2011). Si Un peuple et son roi de Pierre Schoeller l’aborde frontalement, de la prise de la Bastille à l’exécution de Louis XVI, et s’il est signé de l’auteur du brillant Exercice de l’Etat (2011), il n’en confirme pas moins l’incapacité de l’époque à regarder le passé sans le travestir.
Même s’il recèle de très beaux plans lumineux - sur une femme rêveuse à sa fenêtre après l’amour ou une rue sortant de l’ombre après que la Bastille a perdu quelques pierres-, même si le Roi n’y est pas ridiculisé comme il est d’usage, le film délaisse cependant assez vite la beauté exigeante de ses images, et la volonté de traiter cette période sans trop de simplisme, pour se satisfaire de séquences fonctionnelles entérinant la doxa d’aujourd’hui, sa féminisation nécessairement vertueuse ou son infatigable promotion de l’individualisme égalitaire.
Rien de tel pour apprécier la tonalité d’un film sur la Révolution française que de s’arrêter sur un épisode particulier, en le comparant à son traitement dans d’autres oeuvres. Par exemple la prise des Tuileries, le 10 Août 1792, quand le peuple en armes attaque le château, contraint Louis XVI à se réfugier à l’Assemblée, et massacre plusieurs centaines de Gardes Suisses. Entre colère légitime et exactions honteuses, loyauté en cours d’obsolescence et désir de table rase, cet épisode saisit bien les contradictions de la Révolution, sa grandeur comme ses avanies. Pour traiter ce moment crucial, les cinéastes ont souvent choisi la rupture esthétique. Ainsi Renoir (La Marseillaise, 1938) commence-t-il par une altercation entre l’un des Marseillais et un Garde suisse, en parfaite adéquation avec son récit où l’on s’interpelle le verbe haut, puis arrête d’une balle le Marseillais en pleine phrase, le film délaissant alors le pittoresque à la Pagnol pour basculer dans la fusillade de western : la violence politique naît littéralement de la parole empêchée. Alors qu’il choisit de montrer l’autre point de vue, à la faveur d’une fuite dans Paris ce même 10 Août, Rohmer dans L’Anglaise et le duc (2003) brise le classicisme de sa mise-en-scène par la brève irruption d’un plan empli de sauvagerie (un Garde suisse lynché par la foule) : quelles que soient les motivations de la violence, elle ne sait engendrer que de l’effroi. Dans Les Années lumière (Robert Enrico, 1989), et plus encore dans Un peuple et son Roi, ce changement dans la manière de filmer ne souligne pas tant l’importance de l’épisode qu’il n’en absout la brutalité : dans le premier, juste après la mort dramatisée d’un sans-culotte, la caméra s’éloigne du théâtre des opérations tandis qu’un chant lyrique s’élève ; dans le second, un personnage rendu sourd par les coups de feu, assiste soudain à une bataille aux gestes ralentis et aux sons étouffés, à la limite de l’irréalité.
Alors que l’on sait quel fut le sort odieux réservé aux Gardes Suisses, ceux-ci n’ont ainsi droit, si l’on excepte Rohmer, qu’à une mort montrée de loin, dans une cohue confuse, dégât collatéral sur lequel il n’y a pas lieu de s’appesantir. Un peuple et son roi se permet en plus de cadrer avec soin certains assaillants, ceux justement que le film nous a dès son début appris à aimer, alors que les défenseurs des Tuileries nous sont montrés pour la première fois. Mieux encore, les Gardes suisses sont interprétés par des anonymes, quand les héros du peuple le sont par des actrices et acteurs confirmés. Jouer les vedettes contre les figurants, pour servir un discours censé porter la révolte unitaire de tout un peuple contre la mortifère personnalisation du pouvoir, n’est pas le moindre des paradoxes du film !
En extrayant ainsi quelques personnages du peuple, Schoeller plonge dans l’indistinction tous les autres, disloquant ce qui pourrait leur servir de bien commun au profit d’une exacerbation des aspirations particulières. A l’opposé de Renoir qui avec son groupe de Marseillais montant à Paris, souhaitait célébrer l’idéal communautaire et l’inscription de chaque groupe (les Marseillais, les Bretons, les ouvriers, les paysans) dans une même communauté englobante, à savoir la Nation, Un Peuple et son roi consacre les histoires singulières plus qu’il ne peint des relations sociales. De discussions autour d’une table en prises de parole dans les tribunes de l’Assemblée, les uns et les autres s’opposent finalement moins à la monarchie qu’au collectif aliénant – de la famille aux institutions politiques –, suspect d’entraver la liberté individuelle.
Ces combattants velléitaires, plaidant pour que les Droits de l’homme soient au service de la royale singularité de l’individu, forment la vérité du film. Schoeller utilise ainsi la Révolution comme ses prédécesseurs : à travers ce prétexte historique, il ne parle que de son temps.
(texte paru dans le n°175 de la revue Eléments)
Catherine Jourdan
(1948-2011)
Le magnétisme de Violette, dans L'Eden et après, d'Alain Robbe-Grillet (1970)
La mélancolie d'Ariel, dans Le Mariage à la mode, de Michel Mardore (1973)
L'envoûtement de Margaret Aldis, dans De Grey, de Claude Chabrol (1976)
Claude Jade
(1948-2006)
Christine Darbon, dans Baisers volés (1968), Domicile Conjugal (1970) et L'Amour en fuite (1978) de François Truffaut
Eléonore, dans Le Bateau sur l'herbe, de Gérard Brach (1970)
Véronique d'Hergemont, dans L'Ile aux trente cercueils, de Marcel Cravenne (1979)
Oeuvrant exclusivement dans le giallo ou le film fantastique, Dario Argento a su donner à ces récits balisés, un écrin formel alliant métaphores chromatiques, onirisme digressif et montage lyrique. La beauté suffocante de Suspiria, l’atmosphère anxiogène de Quatre mouches de velours gris, les danses macabres d’Opéra, composent ce cinéma maniériste qui n’a qu’une seule intention : faire naître la peur. Et c'est ainsi qu'il ne cesse de nous montrer des victimes en leur inutile fuite éperdue, des morts en sursis reclus au fond de leur cachette-tombeau, des enquêteurs en cours d'exploration minutieuse d'un espace où s'inscrit déjà leur chute.
Ce pessimisme esthétique, à la charnière des années 60 et 70, paraît autant moral que politique : il n'y a pas de libération à attendre des échappées psychédéliques ou des ruptures subversives qui invariablement tournent en impasse ; il n'existe plus de valeurs sûres ou de principes intangibles derrière lesquels se réfugier ; il ne reste qu'à saluer le règne délétère de la fascination, emprise formelle emprisonnant le regard.
« Peur », son autobiographie, alterne comme la plupart de ses films, souvenirs et rêves, les reliant à la littérature et au cinéma qui l’ont marqué, subjugué même, Edgar Poe et Fritz Lang en tête. On y découvre des sources d’inspiration et des secrets de fabrication, mais aussi quelques énigmes ayant su donné à son cinéma cette saveur particulière, loin des académies raisonnables. « Dans la vie, écrit-il, beaucoup de choses qui nous arrivent restent incompréhensibles, et il est bon qu'il en soit ainsi. »
Dario Argento, Peur, Editions Rouge profond, 2018
Lisbeth Hummel
(1952 - )
Magnifiée dans le conte érotique La Bête, de Walerian Borowczyk (1975)
Martyrisée dans la fable de nazisploitation L'Aigle et la colombe, de Claude Bernard-Aubert (1977)
Multipliée dans le film à sketches La Belle et la bête, de Luigi Russo (1978)
Il y a un mois se terminait à la Cinémathèque française, une rétrospective des films de Sergio Leone. C’est l’occasion de revenir sur l’œuvre d’un cinéaste, dont la carrière s’étend de la course de chars de Ben-Hur (1959) à Il était une fois en Amérique (1984), film-testament qu’il mit plus de 15 ans à inventer. Revenir sur l’œuvre de Leone, d’une manière qui lui rende hommage, suppose de passer par les méandres du souvenir. Se remémorer en effet, demeure l’activité la plus souvent pratiquée par ses héros, avant même le mot d’esprit ou la liquidation des salauds. Dans ces récits de fidélité et de vengeance, les flash-backs qui assaillent les personnages, explicitent leur action. Le présent n’a de sens que s’il s’arrime au passé. En outre, devant un cinéaste aussi célébré, ce sont bien les souvenirs des spectateurs qui peuvent contrer l’imagerie imposée par un cinéma contemporain ne jurant plus que par le pastiche, cette marchandisation des formes. Face à l’imaginaire colonisé, seule la ferveur des mémoires personnelles offre encore une résistance. Alors à la manière de Georges Perec, ou de Gérard Lenne, je me souviens de Sergio Leone.
Je me souviens du petit gamin, tout de blanc vêtu, qui rase les murs dans la scène d’ouverture de Pour une poignée de dollars (1964), et de tous les autres enfants, inquiets ou téméraires, de ce cinéma à la fois ludique et féroce. Il faudra attendre Il était une fois en Amérique cependant, pour que forts d’une véritable identité – Noodles et Max -, ils passent de la figuration à la raison même de la tragédie.
Je me souviens du regard douloureux de Marianne Koch dans Pour une poignée de dollars, ce western sans femme.
Je me souviens, à l’occasion d’une reprise en salles du Bon, la brute et le truand (1966), d’un concert de rires complices, d’exclamations outrées et de silences émus, prouvant sans détour que ce cinéma organique fait également exulter le corps du spectateur.
Je me souviens des jeunes voyous Max et Noodles se partageant la peu farouche Peggy sur les toits du ghetto juif de New-York, et affrontant ensemble les passages à tabac dans le Lower East Side.
Je me souviens d’avoir vu Yojimbo (1961) des années après Pour une poignée de dollars, et reconnaissant de nombreuses séquences identiques entre le film de Leone et celui de Kurosawa, m’être amusé après de nombreux visionnages, à comptabiliser 23 plans presque identiques. Or, tout est dans ce presque, car chacune des scènes tournées par Leone possède une vigueur singulière, que ce soit par la précision du mouvement de caméra, le geste aiguisé du personnage ou la cruauté de la situation. Le plagiat chez Leone, libère le style.
Je me souviens de mon père affirmant que Leone avait défiguré Ford…mais que ce dernier n’attendait que cela. L’italien en effet radicalise ce que le vieil irlandais, après sa période d’enthousiasme patriotique, commence à développer à travers Les Cheyennes (1964) ou L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), à savoir le caractère faisandé de certains idéaux américains.
Je me souviens de Max venant chercher Noodles en corbillard, après ses 15 ans de prison, avec à l’intérieur une fausse défunte très attentionnée.
Je me souviens de cet impeccable champ/contrechamp suivant les tirs répétés d’Eastwood sur le chapeau de Lee van Cleef dans Et pour quelques dollars de plus (1965), le faisant s’envoler toujours plus loin.
Je me souviens de Leone filant cette métaphore des couvre-chefs dans Il était une fois la Révolution (1971), en passant de la rivalité entre individus à l’humiliation sociale : quand Rod Steiger n’a pas le droit de s’assoir dans la diligence par la simple dépose d’un haut-de-forme sur un fauteuil, ou lorsque James Coburn, ayant finalement capturé le gouverneur corrompu, ne daigne le gifler qu’avec son chapeau.
Je me souviens de Noodles traitant Max de fou lorsque celui-ci dessine son rêve sur le sable de Floride, et de la violente réaction de ce dernier.
Je me souviens de cette phrase nostalgique, sans doute aujourd’hui passible de poursuites, que lance Jason Robards à Claudia Cardinale à la fin d’Il était une fois dans l’Ouest (1968), ce film qui décrit « la naissance du matriarcat, l’arrivée d’un monde sans couilles » *. En substance : « Tu ne te rends pas compte du plaisir que ces hommes peuvent avoir à regarder une fille comme toi, rien que la regarder, alors si l’un s’avise de te pincer les fesses, fais comme si ce n’était pas vraiment grave, il sera heureux. »
Je me souviens que lorsqu’il dit cela, Robards est le seul à savoir qu’il est en train de mourir.
Je me souviens de la révélation bouleversante d’une amitié bafouée, à la fin d’Il était une fois en Amérique, et à travers ce thème récurrent, de la grande leçon de Sergio Leone : la modernité ne doit sa perpétuelle renaissance qu’à une somme toujours plus grande de trahisons et d’oublis.
* Noël Simsolo, Conversations avec Sergio Leone, Stock Cinéma, 1987
(Ce texte est paru dans le numéro 174 de la revue Eléments)