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il était une fois en amérique

  • JE ME SOUVIENS DE SERGIO LEONE

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    Il y a un mois se terminait à la Cinémathèque française, une rétrospective des films de Sergio Leone. C’est l’occasion de revenir sur l’œuvre d’un cinéaste, dont la carrière s’étend de la course de chars de Ben-Hur (1959) à Il était une fois en Amérique (1984), film-testament qu’il mit plus de 15 ans à inventer. Revenir sur l’œuvre de Leone, d’une manière qui lui rende hommage, suppose de passer par les méandres du souvenir. Se remémorer en effet, demeure l’activité la plus souvent pratiquée par ses héros, avant même le mot d’esprit ou la liquidation des salauds. Dans ces récits de fidélité et de vengeance, les flash-backs qui assaillent les personnages, explicitent leur action. Le présent n’a de sens que s’il s’arrime au passé. En outre, devant un cinéaste aussi célébré, ce sont bien les souvenirs des spectateurs qui peuvent contrer l’imagerie imposée par un cinéma contemporain ne jurant plus que par le pastiche, cette marchandisation des formes. Face à l’imaginaire colonisé, seule la ferveur des mémoires personnelles offre encore une résistance. Alors à la manière de Georges Perec, ou de Gérard Lenne, je me souviens de Sergio Leone.

     

    Je me souviens du petit gamin, tout de blanc vêtu, qui rase les murs dans la scène d’ouverture de Pour une poignée de dollars (1964), et de tous les autres enfants, inquiets ou téméraires, de ce cinéma à la fois ludique et féroce. Il faudra attendre Il était une fois en Amérique cependant, pour que forts d’une véritable identité – Noodles et Max -, ils passent de la figuration à la raison même de la tragédie.

     

    Je me souviens du regard douloureux de Marianne Koch dans Pour une poignée de dollars, ce western sans femme.

     

    Je me souviens, à l’occasion d’une reprise en salles du Bon, la brute et le truand (1966), d’un concert de rires complices, d’exclamations outrées et de silences émus, prouvant sans détour que ce cinéma organique fait également exulter le corps du spectateur.

     

    Je me souviens des jeunes voyous Max et Noodles se partageant la peu farouche Peggy sur les toits du ghetto juif de New-York, et affrontant ensemble les passages à tabac dans le Lower East Side.

     

    Je me souviens d’avoir vu Yojimbo (1961) des années après Pour une poignée de dollars, et reconnaissant de nombreuses séquences identiques entre le film de Leone et celui de Kurosawa, m’être amusé après de nombreux visionnages, à comptabiliser 23 plans presque identiques. Or, tout est dans ce presque, car chacune des scènes tournées par Leone possède une vigueur singulière, que ce soit par la précision du mouvement de caméra, le geste aiguisé du personnage ou la cruauté de la situation. Le plagiat chez Leone, libère le style.

     

    Je me souviens de mon père affirmant que Leone avait défiguré Ford…mais que ce dernier n’attendait que cela. L’italien en effet radicalise ce que le vieil irlandais, après sa période d’enthousiasme patriotique, commence à développer à travers Les Cheyennes (1964) ou L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), à savoir le caractère faisandé de certains idéaux américains.

     

    Je me souviens de Max venant chercher Noodles en corbillard, après ses 15 ans de prison, avec à l’intérieur une fausse défunte très attentionnée.

     

    Je me souviens de cet impeccable champ/contrechamp suivant les tirs répétés d’Eastwood sur le chapeau de Lee van Cleef dans Et pour quelques dollars de plus (1965), le faisant s’envoler toujours plus loin.

     

    Je me souviens de Leone filant cette métaphore des couvre-chefs dans Il était une fois la Révolution (1971), en passant de la rivalité entre individus à l’humiliation sociale : quand Rod Steiger n’a pas le droit de s’assoir dans la diligence par la simple dépose d’un haut-de-forme sur un fauteuil, ou lorsque James Coburn, ayant finalement capturé le gouverneur corrompu, ne daigne le gifler qu’avec son chapeau.

     

    Je me souviens de Noodles traitant Max de fou lorsque celui-ci dessine son rêve sur le sable de Floride, et de la violente réaction de ce dernier.

     

    Je me souviens de cette phrase nostalgique, sans doute aujourd’hui passible de poursuites, que lance Jason Robards à Claudia Cardinale à la fin d’Il était une fois dans l’Ouest (1968), ce film qui décrit « la naissance du matriarcat, l’arrivée d’un monde sans couilles » *. En substance : «  Tu ne te rends pas compte du plaisir que ces hommes peuvent avoir à regarder une fille comme toi, rien que la regarder, alors si l’un s’avise de te pincer les fesses, fais comme si  ce n’était pas vraiment grave, il sera heureux. »

     

    Je me souviens que lorsqu’il dit cela, Robards est le seul à savoir qu’il est en train de mourir.

     

    Je me souviens de la révélation bouleversante d’une amitié bafouée, à la fin d’Il était une fois en Amérique, et à travers ce thème récurrent, de la grande leçon de Sergio Leone : la modernité ne doit sa perpétuelle renaissance qu’à une somme toujours plus grande de trahisons et d’oublis.

     

     * Noël Simsolo, Conversations avec Sergio Leone, Stock Cinéma, 1987

    (Ce texte est paru dans le numéro 174 de la revue Eléments)

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  • ÇA TOURNE !

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    Si ça n'arrête pas de tourner, c'est un rêve.

    Si la toupie finit par tomber, le souvenir par s'adoucir, on entre enfin dans la réalité, qui n'est faite que de mouvements épuisés, de peurs et de joies atténuées. Tant que le mouvement perpétuel nous étreint en revanche, tant que l'on suit, en boucle éperdue, le déroulé d'un sourire, d'une démarche, d'une révélation, on navigue à vue en pleine illusion, ivre de rationalisations morbides.

    Le bal des réminiscences est toujours une danse macabre.

    Tout ce qui tourne finit par chavirer, et c'est justement cette chute attendue qui fait la beauté de la danse. Vouloir à toute force contrer cette loi, c'est se condamner à vivre dans le mirage d'un monde illimité, contrôlable à merci.

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