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PETIT PAYSAN, D'HUBERT CHARUEL

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    Petit Paysan d’Hubert Charuel est une pépite inattendue dans l’univers étriqué du cinéma français. Loin des romances existentielles qui ne cessent de ruminer en boucle, ce film donne simplement à voir les rituels qu’un éleveur de vaches laitières accomplit chaque jour. Sans en rire sous cape, ce qui est plutôt un exploit au temps du cynisme changé en plus-value, mais sans l’assigner pour autant au documentaire confit de respect, autrement dit en osant le considérer comme un sujet cinématographique à part entière.

    Pour comprendre comment il est possible qu’un tel film, simple et sensible, fasse ainsi figure d’exception, un bref état des lieux s’impose. Le cinéma français contemporain fait en effet peine à voir, rempli à ras-bord de décalques fiers-à-bras du pire Hollywood, de corps nus toujours justifiés et ainsi toujours simplifiés, de brûlots sans concession n’oubliant jamais de dire amen à l’air du temps, de moraline délivrée comme des oracles par toute une série de Pères-la-pudeur actualisés (sans aucun tabou mais avec beaucoup de quotas), de mots d’auteur faisant le trottoir, d’incessants prêches humanistes, de comédiens sans retenue, sans diction et sans regard ... Ce cinéma est d’ailleurs à ce point aseptisé qu’il suffit d’une scène qui ne soit pas l’expression d’une vérité générale, pour qu’on frôle la rupture de ban. C’est pourtant au cœur de ce marasme que des cinéastes singuliers se sont révélés, Bruno Dumont en tête, mais aussi Cheyenne Carron et Hubert Viel, Sophie Letourneur et Béatrice Pollet, sans oublier ceux qui depuis quelques décennies continuent de faire entendre leur musique, tels Godard, Brisseau ou Guédiguian. Il n’y a évidemment pas là d’école précise, de mouvance particulière et les thématiques comme l’ampleur de ces œuvres sont bien entendu très diverses, mais s’il est cependant possible de les réunir, s’il est légitime d’y adjoindre Hubert Charuel et son Petit Paysan, c’est qu’ils ont tous un point commun , celui d’avoir réussi à se prémunir d’un certain nombre d’écueils dévastant le cinéma français, parmi lesquels on peut retenir le conformisme citationnel, le style disparate et la morale relativiste.

Citationnels jusqu’à la nausée, la plupart des films français ne font en effet rien d’autre de leurs références accumulées qu’une posture ostentatoire, satisfaits de la juxtaposition complaisante de leurs images avec celles que l’histoire du cinéma a consacrées. Casses melvilliens, attentes léoniennes, repas de famille à la Sautet, ce qui domine est bien ce réflexe éminemment bourgeois, qui prétend montrer qui l’on est en énumérant ce qu’on possède. Il conduit assez logiquement au deuxième travers, le fatras de la forme. Car pour montrer toujours plus de signes extérieurs de richesse, on sacrifie la cohérence esthétique, on se moque comme d’une guigne des transitions qui ne servent qu’à retarder l’exercice de style, ultime panacée. Et c’est ainsi qu’on favorise les grands déballages d’ambiances, faisant se rejoindre le document d’époque et le néo-polar, la chronique intimiste et le lyrisme sociétal, le suspense étiré et le gag décisif. La maestria technique ne tient en aucune manière à rester au service d’un point de vue à défendre… d’autant que ce dernier est devenu tout à fait obsolète. Ce qui permet en effet ce style hétéroclite dilué jusqu’à l’insignifiance, c’est justement l’hébétude consentie, l’absence résolue de la moindre prise de position. A part quelques ennemis dûment répertoriés, et qui ne souffrent justement pas discussion, pour le reste, tout se vaut bien. 

    Sur tous ces points, Petit Paysan se différencie aisément. Lorsqu’il s’autorise quelques plans allusifs, ceux-ci s’insèrent sans esbroufe dans le récit, et tiennent ainsi bien plus de l’hommage discret au cinéma de genre que de la parodie insistante. Son progressif changement d’atmosphère, à la faveur de la maladie de l’une des vaches, est tout autant amené avec adresse. Charuel distille au lieu d’asséner, modifiant la longueur de ses plans, cadrant de manière plus resserrée, laissant davantage de place au hors-champs, sans grandiloquente rupture de ton. Loin de l’inoffensif cinéma-patchwork, qui change de registre à cor et à cri, il fait ainsi subrepticement basculer son film dans l’horreur contemporaine, laquelle n’est pas uniquement économique. Le film nous dévoile alors ce que l’extrême attention de Pierre (Swann Arlaud) pour ses vaches, cet amour né de l’habitude et de la nécessité, peut avoir de dévorant, et même d’inadapté à ce monde ne concevant plus le vivant qu’à l’aune exclusive du profit ou du danger. Voilà justement le point de vue du cinéaste, fils d’agriculteurs de la Haute-Marne : ne pas se résoudre à cette seule alternative et opposer au productivisme forcené, quelques valeurs n’ayant pas encore abdiqué.

 

(Texte paru dans le n°172 de la revue Eléments)

 

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