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louis garrel

  • LE REDOUTABLE, DE MICHEL HAZANAVICIUS

      

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        A l’occasion de la sortie du Redoutable, petit pamphlet poussif de Michel Hazanavicius, la critique s’était enthousiasmée pour ce « regard désopilant porté sur le maître», agrémenté de tout un tas de « trouvailles de mise en scène ». Personne ou presque ne s’était interrogé sur la malhonnêteté foncière du film, qui se sert d’une période éminemment caricaturale (les films collectifs des « années Mao ») pour dénigrer l’ensemble de l’œuvre de Godard. Se gargarisant de désinvolture, se rengorgeant de distance, ce film exclusivement à charge, dissimulant sa hargne derrière l’habituel masque rigolard, en profite aussi pour attaquer l’homme Godard, en adaptant, sans le moindre recul pour le coup, tout ce qu’Anne Wiazemsky, dans Un an après, avait pu raconter sur leurs relations. Tantôt odieux, tantôt grotesque, toujours filmé à ses dépens, ce Godard singé par Louis Garrel n’est finalement qu’un personnage factice, n’ayant aucune chance d’être autre chose qu’un prétexte à moqueries.

        Comme l’avait remarqué Vincent Roussel, dans l’une des rares critiques intelligentes sur le film, Hazanavicius n’est au fond qu’un « roublard qui pense faire du détournement  situationniste alors qu’il ne fait que dévitaliser la force du style de Godard pour le réduire à de simples tics visuels ». Et c’est bien cela la vraie raison du film, sa piteuse ambition, démontrer à travers son florilège de sketches qui ne dépareraient pas dans une Spéciale parodies sur C8, que « filmer à la Godard » est à la portée de n’importe qui. Comme tous ces écrivaillons qui s’imaginent « faire du Céline » à chaque fois qu’ils écrivent sans reprendre leur souffle, ou ces cinéastes qui prétendent retrouver l’esprit de la Nouvelle Vague, dès qu’ils filment, caméra à l’épaule, la terrasse d’un café parisien.

        Cela a manifestement suffi à certains. Valeurs Actuelles (Laurent Dandrieu, 17 septembre 2017) ou Causeur (Anne-Sophie Nogaret, n° 50, octobre 2017), se sont réjouis que la «  secte godardienne», « les gardiens du temple godardien », puissent être scandalisés par un tel blasphème. Or le problème n’est pas du tout que l’on rie de Godard (pourquoi devrait-on s’en priver ?), mais plutôt que l’on prétende l’avoir ainsi entièrement résumé, autant dire liquidé. Le reproche principal a semblé être l’ennui qu’engendreraient ses films. Il est vrai que chaque œuvre du « plus effroyable raseur cinématographique encore en activité » (Laurent Dandrieu) est à l’opposé de ces romans qu’on lit d’une traite, ces films qui tiennent le spectateur par le col sans le lâcher, cet art expéditif sans cesse promu par une société qui n’a plus du temps qu’une notion comptable. Devant un film de Godard, horresco referens, il est possible de revenir vers soi. La richesse des liens tissés entre parole et images y permet de s’interroger, se remémorer, s’étonner, s’émerveiller même. Devant le Redoutable, les choses sont plus simples : on ne peut guère que ricaner. Qu’un film ait d’autres ambitions que le plaisir de la consommation immédiate, voilà qui n’est vraiment pas dans l’esprit du temps. D’ailleurs, comme l'a démontré l’argument-massue d’Anne-Sophie Nogaret, Godard ne vaut aujourd’hui plus rien : ses élèves ne le connaissent pas.  A ce titre, on peut considérer que des écrivains comme Bloy ou des photographes comme Irving Penn, lesquels faisaient dans le même numéro l’objet de beaux exercices d’admiration, sont eux aussi de sacrés perdants de la modernité, de simples faiseurs sans talents puisqu’oubliés. Le syllogisme n’est pas seulement dangereux, il est surtout très bête.

    Juger qu’un film se refusant à la simple illustration de scénario, ne s’adresse qu’aux snobs, affirmer qu’une œuvre inconnue de la jeunesse ne mérite pas qu’on s’y attarde, qu’est-ce d’autre au fond sinon du poujadisme cinématographique ? Ce type de réaction n’est cependant pas nouveau. A l’époque de la violente controverse autour d’Hernani, il y avait déjà des néo-classiques sourcilleux, trépignant contre ceux qui se permettaient de bouleverser les règles de bienséance stylistique. D’ailleurs lorsqu’Anne-Sophie Nogaret jugeait les contradictions de Godard dignes « d’un dingue ou d’un pervers », on était presque au mot près dans le registre du pompier Gérôme, traitant les Impressionnistes de bande de fous. Et lorsqu’on place, comme ces deux articles l'ont répété à l’envi, les films et les admirateurs de Godard dans une sorte de monde à part, aussi incompréhensible qu’odieux, on n’est pas très loin de la rhétorique de Pierre Lalo (Le Temps, 1913), s’escrimant contre Le Sacre du Printemps au nom du choix entre civilisation et barbarie...

    Mais après tout, que de tels bataillons, depuis tant d’années, soient encore aux trousses de l’auteur de chefs d’œuvre comme Vivre sa vie (1962), Sauve qui peut (la vie) (1980), Passion (1982), Hélas pour moi (1993) ou Notre musique (2003), est peut-être la preuve ultime de son irréfragable génie !

     

    (ce texte est paru dans le n°169 de la revue Eléments)

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