Polisse est un film assez dégoûtant.
D'abord parce que dans la lignée des films-français-réalistes-et-sans-concessions-sur-le-quotidien-des-policiers-qui-sont-des-hommes-et-des-femmes-comme-les-autres-avec-leurs-périodes-de-doutes-mais-aussi-leur-héroïsme-méconnu, il tient à marquer sa différence non pas dans la manière de filmer (aucune surprise ici, nous aurons droit aux huis-clos enfumés, teigneux ou rigolards cadrés au plus près et aux échappées caméra à l'épaule, en mission ou en boîte de nuit), non pas dans le principe de mêler tête d'affiche et seconds couteaux dans la même quête obscène de phrases-chocs, de scènes-clefs, de révélations délicates et de running-gags, mais dans la surenchère scénaristique : on se permettait de taper sur "l'Arabe" dans L627 parce que derrière l'Arabe, il y avait le dealer : on se permet donc de taper sur "l'Arabe" dans Polisse, parce que derrière l'Arabe il y a l'intégriste (catharsis banale de cinéastes courageusement engagés dans l'antiracisme confusionnel); le Petit Lieutenant mourrait en mission sans prévenir ? Ici un membre de la brigade se suicidera juste avant le clap de fin (das le prochain, on peut logiquement s'attendre à ce qu'un policier en tue un autre, ah non, déjà fait)
Mais c'est surtout le découpage qui reste le plus abject, chosisssant pour certaines histoires, pour certaines victimes, le passage bref devant les enquêteurs (quand il s'agit d'enfiler des perles sociétales et surtout balayer tout le spectre des cas cliniques car le film tient beaucoup à nous rassurer sur sa démarche de vérité, sur la solidité de ses assises documentaires), et puis pour d'autres, la longue séquence prétexte aux pétages de plomb, aux accès de larmes, aux fous-rires, prétexte uniquement à cela d'ailleurs : ainsi la séparation entre le fils et la mère car celle-ci ne trouve pas de foyer pouvant les prendre ensemble, est-elle assurée dès lors que le film s'arrête dix bonnes minutes sur le sujet. Polisse ne cesse ainsi d'osciller entre la froideur du calcul statistique et l'obscénité du regard intrusif (il faut voir le resserrement lentement progressif du cadre sur l'enfant qui hurle de douleur), catalogue de faits bruts servant d'alibis aux complaisantes microfictions mélodramatiques. Plus encore que cette alternance, il y a aussi l'odieux montage alterné qui contredit d'ailleurs le mouvement même du film, jusque là en flux tendu chronologique avec points de vue exclusifs des membres de la Brigade, montage alterné qui insère entre deux enquêtes quelques saynètes sur un couple distingué, dans son intérieur luxueux, et dont on devine peu à peu l'inavouable secret (le père couche avec sa fille). Le suspens qui est ici mis en place (à quel moment la femme va intervenir, quels gestes ou quelles mimique entre le père et sa fille vont nous en dire long, comment va se passer l'arrestation, est-ce qu'au moins Joeystarr va se défouler sur le gars parce que là, franchement, on sera prêt à tout lui passer au ténébreux Joey) atteint ainsi les limites de la manipulation du spectateur, comme n'importe quel film de Joël Schumacher, d'autant que le pédophile se révélera bien entendu protégé par les puissants et qu'il en rajoutera dans le scandaleux en se vantant. Cinématographiquement insauvable, il n'est là que pour justifier la gifle du policier qui soulage toute la salle, vraiment révoltée que de tels individus existent.
Polisse est ainsi un film prétentieux, mais surtout retors, qui se sert d'histoires certes vraies mais désincarnées par la schématisation, la moquerie (l'atroce scène avec la gamine reconnaissant exécuter des fellations pour un portable et dont toute l 'équipe se moque) ou la sacralisation inappropriées, dans le but ultime de sertir les histoires d'amour et de famille de la réalisatrice.
La sociologie dévoyée comme ingrédient à l'auto-apitoiement sentimental, la scénarisation du réel comme contrechamp à l'inestimable fiction de soi. On ne peut faire plus désespérément moderne.