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LE ROUGE EST MIS

"J'ai mis le signal rouge" prévient incidemment Mark Lewis dans Peeping Tom, qui ferme alors le plateau d'enregistrement aux importuns par cette lumière indiquant qu'un tournage est en cours. Il y a en effet donné rendez-vous à une jeune danseuse qu'il souhaite filmer, c'est-à-dire tuer, puisque sa caméra est sa seule arme.

Cette remarque en apparence anodine est en fait un signal pour tout spectateur habitué aux drames de l'oeuvre passé de Michael Powell, où la couleur rouge s'avérait régulièrement annonciatrice de mort. Dans ce même film, la jupe de la prostituée assassinée en plein générique d'ouverture est d'ailleurs rouge, tout comme l'estrade où la danseuse peut maintenant, face au voyeur, débuter son numéro. Cette danseuse jouée par Moira Shearer, la Victoria Page des Chaussons rouges, condamnée comme l'héroïne du conte, par le simple fait de porter ces chaussons-là, à mourir en les gardant aux pieds.
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Toutefois, cet insistant symbolisme se déchaîne surtout dans la dernière partie du Narcisse Noir, quand soeur Ruth, peu à peu gagné par la folie, se maquille outrageusement, lentement, lascivement, d'un rouge à lèvre incisif. Sa brève rencontre énamourée avec le colon Dean s'était d'ailleurs déjà terminée par son évanouissement, représenté par un fondu au rouge avant le vacillement. Plus tard ce seront ses yeux comme bordés de sang qui apparaîtront en gros plan, juste avant qu'elle ne quitte son habit de religieuse pour revêtir une robe de la même couleur violente, annonçant l'issue du drame, sa vertigineuse chute dans le vide. A l'instar de la jeune sauvageonne Hazel Woodus de Gone to earth, habillée de manière identique lors de la chasse à courre finale, elle aussi terminée par une chute mortelle.

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C'est par le rouge que Powell exprime le mieux son érotisme morbide, par ses objets et ses accessoires de séduction utilisés juste avant les derniers instants (le miroir de poche de soeur Ruth est également rouge), lui qui ne propose jamais (sauf in extremis dans A matter of life and death) d'histoires d'amour qui finissent bien, lui qui ne sait jamais séparer la contemplation de sa brutale interruption, et qui fort logiquement finit un jour par conter l'histoire tragique d'un meurtrier utilisant une caméra-épée, dont le miroir retourné permet à la victime de se regarder mourir.

Lien permanent 10 commentaires

Commentaires

  • Très juste, Ludovic. Le rouge : passion, désir, érotisme, sang. Tiens, envie de revoir Le Narcisse Noir. Justement, le DVD me fait de l'oeil depuis quelques jours.

  • J'aime beaucoup la narration des premières vingt minutes qui passe d'un protagoniste à l'autre de manière très fluide.

  • Je n'ai pas vu, ignare que je suis, Peeping Tom, ni le Narcisse Noir, mais" Les Chaussons Rouges" me semble à ce jour un film inégalé sur la Danse un peu d'ailleurs et entre parenthèses comme "Le Rouge et le Noir me semble un roman inégalé...Dans mon souvenir , il y a longtemps que je ne l'ai pas vu, il décrit parfaitement le travail et l'ascèse du corps dansant dans la luxuriance de la couleur et du mouvement.
    Je le rapprocherai d'Ophuls peut être "La Ronde"... et pourquoi pas de certaines symphonies de Malher dans la virtuosité de l'émotion produite...

  • Oui, Laurence, le rapprochement de Powell et d'Ophüls est très juste, quand le mouvement EST l'émotion.

    (je vous conseille le Narcisse noir, film d'ailleurs très musical, histoire que vous restiez sur une meilleure impression qu'avec le Houellebecq !)

  • Finement observé Mr Maubreuil !...Ah, Victoria Page, que d'émois adolescents devant ses pliés !

  • Je viens de revoir "La Renarde", film sublime au sens antimoderne du terme...Après la couleur rouge, il faudrait que vous nous parliez des escaliers chez Powell !

  • Ah Jennifer Jones cette actrice a souvent joué dans des films intéressants et La Renarde au vu du synopsis me semble rentrer dans cette catégorie Décidément les Anglo-saxons ont le chic pour décrire...vision toujours anthropologique de la société plustot fonctionnaliste ... Comparer ce film au très beau livre de David Garnett "La femme changée en renard"...

  • Oui, Mr Poix, Powell traite en effet du sublime à pratiquement chaque film.

    Jean-P : et le Voyeur fait un sort émouvant à cet émoi...

    Belle comparaison, enocre une fois, laurence.

  • Son film "Je sais où je vais" aussi se finit bien (elle sait si bien qu'elle est à la tête des joueurs de cornemuses pour aller cueillir son prince en son château)

  • Oui Isabelle (quel film merveilleux !), certains Powell, in extremis, réunissent les personnages dans une fusion commune, amoureuse ou autre, mystique parfois (comme dans "Un Conte de Canterbury"), mais il me semble qu'après "Une question de vie ou de mort" (il faudrait revoir les dates) le propos est bien plus désenchanté.

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