Les formes générées par la technique cinématographique ne produisent un si puissant effet de reconnaissance (dû à l’enregistrement) que pour mieux en nier les conséquences (via sa grammaire, pourtant sommaire).
Que ce soit par le moyen du plan séquence, qui pousse jusqu’à la facticité du simulacre la continuité du monde apparent, ou par le moyen du montage, qui fait éclater et disperse aux quatre coins ladite continuité – c’est toute la croyance qu’on peut placer dans la réalité qui, au cinéma, n’est justement plus qu’une croyance, foi du charbonnier sujette à poussière.
Sans que jamais un vent illusionniste soulève et remodèle cette poussière dans le sens d’une réalité seconde et autrement plus réelle, comme l’Ezéchiel de la Bible l’affirme ou comme le formulent les mathématiques quand elles soutiennent le sensible par le quantique. L’imaginaire, les fantasmes, le rêve, les fantômes, la fiction, les arrière-pays, l’au-delà, les chimères, soudain sans appui concret, faute de fondements matériels, ne sont même plus raclures qu’on balaie.
Pour autant, un film, si par exception il serre cœur et tempes, aussi nihiliste en son principe que tout film puisse être, et c’est peu dire qu’il l’est, n’est au service d’aucun rien, ce qui serait à nouveau reconstruire, être l’agent de quelque chose, se remettre au boulot, toujours sale boulot. Un film, plus justement une suite de cadres mobiles est une singularité, à savoir une forme détachée de tout.
(Jacques Sicard)
Commentaires
Comment se fait-il que, lorsque j'ouvre votre page, dès la lecture du titre je devine qu'il s'agit d'un texte signé J. Sicard ? Suis--je le seul de vos lecteurs à qui cela arrive ?
C'est que vous êtes une sorte d'habitué, à qui rien n'échappe ! (pour Abellio et Husserl, je vous propose l'ordre suivant : Méditations cartésiennes du second suivi de la Stucture absolue et de Manifeste de la nouvelle gnose du premier (mais le tout après sa trilogie romanesque !)
Mais de qui sont les titres qui sont extraits des ciné-poèmes ?
Ce ciné-poème est le plus difficile que j'ai pu lire. Le plus apparemment détaché du film référence (comme "une forme détachée de tout")
Je cherche le lien avec la note précédente, où placerais-je l'incise ?
Je choisis les titres en puisant dans le texte même, et en tenant d'extraire quelques mots, une expression, qui en expriment l'un des sens possibles. Oui Octobre serre "coeur et tempes" et peut-être par là-même vide-t-il le vide même dont il est, comme tout film, porteur.
Merci de ces indications ! J'ai déjà lu le "Manifeste", il est sur ma table, prêt à être exploité à mon comptoir, mais j'avoue ne pas savoir trop comment m'en servir. Peut-être qu'un passage par Husserl me clarifierait certaines choses. Bien à vous !
Etonnante remarque car, pour ma part, je me suis justement surpris, lisant dans l'oubli d'une telle possibilité, à n'avoir cette fois pas reconnu qu'il s'agissait d'un texte de Jacques Sicard, avant d'en découvrir la signature !
Il est vrai, cher Préau, que ce texte résonne assez bien avec d'autres plus anciens publiés sur Cinématique !