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OSBERT, DE CHRISTOPHER GERARD

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Christopher Gérard n’est certainement pas un thuriféraire de notre temps, un de ces "actionnaires de la firme Nouveau Monde", selon le mot de Muray, qui viennent sans cesse nous vanter, et dans n’importe quel domaine, progrès amnésique et inversions valorisantes. Plutôt que l’opposition frontale toutefois, inutile tant le système est entraîné à encaisser les chocs, ses romans et ses critiques littéraires cherchent toujours à suivre de près ce qui diverge, à célébrer ce qui contredit avec souplesse et s’échappe avec panache. Quand tous approuvent à gros bruit, il faut savoir nier en douceur, et quand la rebellion criarde et vaine s’invite à toute heure, prendre un congé imprévu.

 

Avec ces huit nouvelles animalières, Osbert et autres historiettes, Christopher Gérard nous convie avec légèreté à le suivre dans son pas de côté, tangente insolente à cet exécrable air du temps réglé comme du papier à musique. Comme chez Marcel Aymé et ses merveilleux Contes du chat perché, les bêtes y parlent. Chacun des récits donne la parole à la première personne aux animaux de compagnie, comme aux usagers familiers des parcs, des étangs et des rues, qui vivent auprès de cette "gent oublieuse et frivole" (p16), à la psychologie "si pleine de mystères et d’aberrations" (p54) : les hommes. Avec leur élégance et leur besoin de passer outre les frontières, ces animaux se révèlent le parfait antidote à notre "monde barbare et balisé" (p99) et dans le soin qu’ils mettent à préserver "la santé de leur âme, de leur corps et de leur esprit" (p51), en totale contradiction avec ce que nous sommes devenus, sous couvert de mots aussi pompeux que mensongers : "de vraies bêtes, avides et dépendantes, au cerveau rongé par les machines" (p44).

 

A la différence toutefois des contes moraux de Marcel Aymé, nul enfant innocent ici pour savoir pénétrer le monde des bêtes, pour recueillir leur mots, régler leurs dilemmes et s’enrichir de leurs vues. Celles de Christopher Gérard (chats faussement perdus avides de quiétude, ours d’appartement rêvant de neige et de saumons, moineau-observateur n’en perdant pas une miette) soliloquent sans jamais s’illusionner sur les interactions ponctuelles qu’elles peuvent élaborer avec les humains, ces êtres sur lesquels "on peut toujours compter quand il s’agit de céder à l’imposture". Derrière l’humour de certains passages (dont l’irrésistible bouledogue des services secrets anglais, qui réalise que désormais « il plafonne ») ne se cache pas longtemps un désespoir policé : tout s’est déjà tellement effondré…

 

Le tableau que dressent de nous ces animaux esthètes ou philosophes est alors sans pitié : nos plaisirs sont devenus vils et nos inquiétudes plus infantiles que jamais, à l’image de nos désirs grotesques et de nos paradis puérils, qu’Osbert, dans ce qui constitue sans doute, avec Ursus, la plus belle nouvelle du recueil, balaie d’un revers de patte, considérant la mort comme rien d’autre que "l’accomplissement d’un cycle éternel, impersonnel, dénué de toute morale comme de toute rétribution".

 

Bienheureux ceux qui sauront retrouver la sagesse d’Osbert, et bienheureux ceux qui une fois encore suivront les escapades littéraires de Christopher Gérard !

 

 

(Osbert et autres historiettes, Christopher Gérard, L'Age d'Homme, 2014, 105p)

 

Lien permanent 7 commentaires

Commentaires

  • Fables esthétiques des temps modernes, on a envie de s'y plonger dare dare

  • Merci infiniment, cher Ludovic Maubreuil, pour cette analyse aussi fine que généreuse de mes Historiettes !

  • Bigre !… Je n'aurai jamais du lire ça !… Il va encore falloir que je me distingue, tâche peu aisée après Ludovic !… Mon cher Christopher tu n'aurais jamais du m'envoyer ce lien. Je suis maintenant obligé de me fendre d'un titre vengeur "Réquisitoire contre l'humanité" (J'aime bien, celui-là, tiens…), "La critique animalière ce Christopher Gérard est-elle post-moderne ?", "De la bestialité chez les païens", et enfin "Pas une bête au monde…". Sans parler du fait que je suis piqué au vif, battu sur le poteau, comme disent les turfistes, ce qui est légèrement hors sujet, puisque d'après mes souvenirs, tu n'évoques pas le moindre canasson. C'est regrettable d'ailleurs, j'ai, au cours d'un récent séjour dans les îles britanniques, gagné vingt livres sterling grâce à Stuake Lily, qui a battu ses concurrents au sprint. Je m'égare, c'était une course de lévriers… Bref, tu me mets la pression, Christopher, comme disent les footballeurs qui ont une cervelle bcp plus réduite que tes oiseaux de compagnie.

  • (sourire)

    Oui, le premier titre est très bien !

  • Le camarade Marignac, pour une fois, n'a pas tort : le Directorat V a en effet décidé de "mettre la pression" sur cet agent qui, décidément, se la coule douce, sans doute corrompu par les blandices post-modernes (concept contre-révolutionnaire) et par les jeux de hasard des ploutocrates anglo-saxons. Un rapport complet est exigé pour Wagner II sous peine de séjour prolongé du côté de Vverkhoïansk.

  • Ce n'est donc pas un intellectuel concasseur de noix, vous nous le certifiez ?

  • Certifié !

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