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L'UNIVERS DE LAGUIONIE

   

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    Avec neuf courts et cinq longs-métrages, Jean-François Laguionie est l'un des grands cinéastes français de films d’animation. Durant les années 60, il a fait partie des jeunes créateurs dont s’est entouré Paul Grimault, et son premier court-métrage, La Demoiselle et le violoncelliste (1965), est produit par l’auteur du Roi et l’oiseau. Quelques papiers découpés et le Concerto en ré d’Edouard Lalo suffisent à créer une atmosphère à la fois onirique et indolente, laquelle demeurera jusqu’à ses derniers films, sa plus sûre signature. Laguionie n’a pas son pareil en effet, pour distordre ce qui semble aller de soi, contester ce qui ne souffre pas discussion, infuser dans le réel une logique mouvante appartenant aux rêves. Il est tout aussi attentif à ne pas précipiter l’action sans raison valable, à permettre la lente maturation de ses personnages tout en en magnifiant l’errance. On le voit, nous sommes ici bien loin des rassurantes cavalcades disneyennes... Le spectateur de Laguionie doit prendre son temps, goûter l’instant, accepter les emportements soudains comme les silences prolongés. La vigueur d’un orage ne suppose pas nécessairement un drame tout proche ; le sable qui se glisse dans les interstices d’une cité abandonnée n’augure pas à coup sûr d’une présence menaçante. C’est l'étrangeté, ou l’humilité, d’un moment comme d’une image, leur poésie cachée en somme, qu’il importe d’affronter.

    A coté d’élégants dessins animés pour enfants, comme Le Château des singes (1999) ou L'île de Black Mor (2004), qui apportent des nuances et des interrogations à des territoires aussi normés que l’aventure de pirates ou la fiction animalière anthropomorphe, Jean-François Laguionie est l’auteur de deux chefs d’œuvre, Gwen, le livre de sable (1985) et Le Tableau (2011). Dans le premier, épopée post-apocalyptique, la société est scindée en deux groupes : les uns peuplent le désert et jouent parmi de gigantesques objets ménagers, dont ils ignorent la signification ; les autres, habitant une ville fantomatique, célèbrent fascinés le culte d’une sorte de catalogue Manufrance. La critique de la société de consommation, avec ses rites débilitants det ses désastres toujours recommencés, apparaît sans équivoque. Mais ce qui rend poignant ce premier long-métrage, élaboré avec quelques amis dans un village des Cévennes, c’est qu’il contient assez d’illogisme et de mélancolie pour en faire une ode désenchantée à la liberté de jeu et la beauté du don. Le second est un bijou métaphorique sur l’acte de création, le déterminisme social, le besoin d’édicter des règles et de tracer des frontières mais aussi le désir de les questionner. Avec une palette de couleurs faisant se rejoindre Derain et Chagall, des visages et des volutes hérités de Matisse, Laguionie met en scène une vivifiante lutte des castes entre les Toupins (qui comme leur nom l’indique ont fait le plein de couleurs), les Pafinis (que le peintre en effet n’a pas terminés) et les Reufs (simples ébauches au crayon).

   Cette œuvre originale et indépendante démontre que le cinéma d’animation en France ne se résume pas aux piteux décalques américains ou aux fatigantes facéties de Kirikou

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