« Tout comprendre, c’est tout mépriser ». Nietzsche ne se borna pas à être le contempteur du nihilisme. Il en fut aussi l’ange. Disposition qui cristallisa notamment dans l’évocation de l’Art. « La vérité est laide : nous avons l’Art pour que la vérité ne nous fasse pas périr ». « L’existence et le monde ne sont justifiés qu’en tant que phénomène esthétique. »
Comment le nihilisme nietzschéen s’accomplit-il au cinéma ? Quand tout se répète, non selon le toujours neuf éternel retour mais l’usant retour du même. Quand la monotonie du montré est redoublée par le montreur. Quand le quotidien de l’homme de somme : l’obsession du feu, l’eau cherchée au puits de plein vent, l’enfilage taiseux des couches de vêtements, la charrette et son cheval qui renâcle sous le fouet, le plein jour comme un degré de l’ombre, le travail le travail le travail le travail le travail, la flamme à la mèche, l’escabeau à la fenêtre, la poignée de secondes installée à demeure, les ongles qui épluchent les patates brûlantes, l’oubli de la facilité qu’il y aurait à mourir – quand ledit quotidien est vu à travers les mêmes cadrages, les mêmes distances, les mêmes rythmes, les mêmes angles, le même découpage. Quand tout se passe comme dans un assemblage mécanique animé d’un mouvement de friction de deux pièces métalliques que rien ne distingue, sinon que l’une est plus dure, plus abrasive. Quand la forme use le fond, à le faire disparaître, et qu’elle reste seule, vêtue d’un gris magnifique entre le fer et la perle.
(Jacques Sicard)