Je ne suis plus certain de la couleur de ses yeux, hésite sur la présence de boucles d'oreilles et garde même un doute quant à l'orthographe exacte de son nom. Les matières et les formes du manteau qu'elle mettait l'hiver, du bandeau qui retenait ses cheveux, du pendentif qu'elle tenait haut placé autour de son cou, me sont également imprécises. Mais je me souviens encore de l'émoi violent suscité par les courbes de son pantalon de velours beige, semblable en tous points à celui d'Elizabeth Wiener dans La Prisonnière, sommet érotique du cinéma français.
C'est d'ailleurs à la façon retorse et blessante de Terzieff que je la traitais à l'époque, me moquant de son style, riant de ses travers, évitant de la rejoindre. Des allusions grivoises pour ne pas avoir à parler d'amour, des faux rendez-vous pour ne pas m'y retrouver seul, de l'insistance sur quelques défauts pour échapper au vertige. Car J. avait sur moi, sans le savoir, un pouvoir exorbitant : il m'était impossible de la regarder sans trembler.
Je me rends compte des années plus tard que ce pouvoir est toujours aussi vif, et me cacher derrière ce pantalon beige n'est plus qu'une piètre parade : je me souviens évidemment de chacun de ses traits, de chacun de ses mots. Il est des êtres qu'on préfère fuir plutôt que de leur être éternellement attaché, et c'est bien la leçon du film-testament de Clouzot : l'érotisme est bien souvent une lâcheté.