Il y a un âge pour se tromper, et puis un autre pour recommencer.
Un âge pour ne choisir une femme que pour le regard que les autres posent sur elle, et non pour celui qu'elle pose sur vous. La pire des garces alors, pour peu que ses dents brillent, vous attrape dans le jeu de ses jambes, tandis que celle qui n'a ni la manière ni l'allure, reste dans l'ombre. Et de cette ombre, elle vous chérit. Elle vous chérit pour rien, par habitude. Elle vous pardonne tout, vous trouve des circonstances atténuantes, vous attend. Elle vous attend pour rien. La femme ni laide ni belle, celle dont les traits communs ne peuvent aiguiser l'envie des autres et n'ont donc pas l'attrait qu'il faut, la femme ni laide ni belle a une indulgence dont les hommes pressés, vite éblouis et vite repus, n'ont pas la moindre idée.
Comme Anne Alvaro chez Blier, M. m'a regardé en secret, six mois durant, faire de grands gestes et de fortes déclamations devant une jolie fille sans énigme. Lorsque je l'appris quelques années plus tard, grâce à un intermédiaire très bien attentionné, je me remémorai tous ces instants où mi-amusée mi-déçue, son regard s'était absenté, son geste s'était détourné, sa parole s'était suspendue. Malgré la finesse de ses mots et le charme entêtant de son rire, dans ce groupe d'une dizaine d'amis dont il ne reste quinze ans après plus rien, elle fut ma tache aveugle.
Il y a un âge pour se tromper, et un autre pour le regretter. Sauf que le regret ne sert à rien, et qu'il est même la preuve ultime que vous n'avez rien appris.