J'avais presque dix ans, elle sans doute à peine plus.
R. était blonde mais sa mère avait l'habitude de parsemer sa chevelure de papiers colorés, ce qui lui donnait un air féérique et mystérieux. Ses parents étaient royalistes, ce qui à l'aube des années 80 était déjà un gros mot. R., prénom rare, prétexte aux moqueries, mais propice aux longues rêveries, et pour cela le meilleur viatique qui soit. Sa voix douce mais sans réplique, ses bras qui bougeaient à peine lorsqu'elle marchait, ses yeux qui je crois n'ont jamais cillé en ma présence, tout cela me plaisait et m'effrayait, tout cela me faisait la guetter, derrière les hauts murs du petit manoir que ses parents possédaient en Touraine, à deux pas de chez moi.
Elle ressemblait beaucoup à cette autre petite fille que je devais découvrir vingt ans plus tard, dans Opération peur de Mario Bava, fantôme enfantin, aux petits rires étouffés, au regard inquisiteur, aux jeux troublants, qui me fit aussitôt penser à elle, me donnant envie de savoir ce qu'elle était devenue. Je ne l'avais connue que trois étés consécutifs : nous nous étions épiés, puis apprivoisés, nous avions échangé quelques mots, même une caresse sur le haut de la joue, elle m'avait mis de force dans la main une pierre ovale et blanche, je me souviens encore de son haleine de menthe. Le quatrième été, elle ne vint pas, alors que j'étais cette fois prêt à tout ; les années suivantes, mes vacances eurent lieu ailleurs. Et je l'oubliai, ou peut-être le feignis, jusqu'à la vision de ce film.
Retournant en Touraine, je ne trouvai alors qu'un manoir abandonné, envahi d'orties et de sureaux. Par un carreau cassé, une effraie presque rousse s'envola, qui me fit sursauter puis divaguer.