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  • L'HOMME QUI ARRETA D'ECRIRE (5/5)

    Quelle est la place d'un tel livre à un moment de l'histoire de la littérature où de toute évidence, selon les mots mêmes de l'auteur, la seule activité encore honorable est « d'écrire de l'impubliable pur » ? Ce roman est d'abord un viatique, celui grâce auquel un écrivain parvient en toute innocence à traverser l'enfer et prétendre au paradis, avec le lecteur à sa suite. Le lecteur, mais pas n'importe lequel : « j'écris pour le second lecteur, nous dit Nabe, celui qui ne se prend pas pour le lecteur. (...) Il faut que le lecteur s'identifie à moi et pas au lecteur sinon il est foutu ». Il est évident qu'il s'agit là de comprendre le parcours des narrateurs successifs de ses six romans précédents, et de tenter le même saut, ce qui n'a rien à avoir avec plagier ses admirations, singer ses dégoûts, pasticher son écriture, s'en faire une belle armure comme tant d'apprentis depuis le Régal (1). Cette épopée allégorique, avec ses tourmenteurs, ses traîtres, ses démons, ses spectres et ses bonnes âmes, chacun doit la vivre à son tour. Les allusions sont limpides et ludiques, qui nous montrent le chemin emprunté par Dante : l'Enfer parisien au parcours géographique circulaire, le guide dont le pseudo de blogueur est « Virgile », les différentes rencontres, comme autant de stations, avec les amis d'autrefois, la famille et les célébrités, cette jeune fille qui prend le relais de Virgile après le Purgatoire (la boîte échangiste ?), pour enfin atteindre la bien nommée place de l'Etoile autour de laquelle il s'agit de tourner, et puis cette échappée en banlieue, cette communion ultime avec le ciel, les étoiles, la Vierge et même Saint Bernard de Clairvaux, du moins dans une dernière pirouette puisqu'il s'agit d'un chien avec un tonneau accroché au collier, fin illuminée semblable à celle du Paradis, qui par un hasard merveilleux fait tout juste 686 pages (2)...

     Le parcours est bien fléché, mais ce n'est pas ce qui importe, les farces et attrapes disposés en douce par le narrateur tout au long de son périple nous l'ayant assez explicité. Ces jalons, c'est de la comédie, ce qui compte c'est le terme divin. Comme dans le proverbe, c'est bien la lune qu'il s'agit de regarder, et sans ciller. Un grand roman n'est là au fond que pour entériner de petites choses essentielles, leur donner du corps, éviter qu'elles ne deviennent anodines du fait justement de leur simplicité. Celui-ci ne tient, malgré son envergure, ses références et sa fièvre écrasantes, qu'à rappeler que la joie peut entamer l'aigreur, et que le narcissisme le plus haut en couleurs finit par déboucher sur l'humble quête de l'autre. Nous le savions déjà sans doute, nous en faisions même le vœu, mais encore fallait-il l'écrire ainsi. Les années 2000 ont enfin leur roman puisqu'elles sont finies. Quant à l'avenir, Nabe nous ouvre la marche : il est à la fois la mare accueillante et le pavé frondeur, il s'assomme et du coup nous réveille, éclabousse son caban framboise écrasée de toutes les ordures en activité, pour mieux les sauver, et nous à sa suite. On voit mal comment ne pas le remercier.

     

    (1) Marc-Edouard Nabe. Au Régal des vermines. Barrault, 1985

    (2) Dante Alighieri. La Divine comédie. L'Enfer ; Le Purgatoire ; Le Paradis (trois volumes). Le Club Français du Livre, 1964

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