Il est d’usage aujourd’hui, pour n’importe quelle scène d’action, de rajouter après coup et numériquement de la vitesse au sein du plan, tout en rendant celui-ci instable par d’intempestifs mouvements de caméra, ce qui voudrait prétentieusement souligner l’incohérence des situations et la polyphonie du monde, mais qui a surtout pour conséquence d’en rendre les motifs proprement illisibles. Cette prolifération de formes sans lien apparaît alors, de la manière la plus paradoxale qui soit, totalement homogénéisée, s’écoulant dans un flux sans surprise ni appui.
A l’inverse, Kerrigan dans Clean Shaven, ne se sert que d’une alternance de champs/contrechamps à la vigueur peu commune pour donner du sens aux gros plans sur le visage ou le corps de son héros, soudain confrontés à l’environnement menaçant, en inserts ou en plans larges, qui l’assiège. De ce fait, le spectateur, partie prenante de ce chaos sensoriel, endure à son tour la juxtaposition jamais ordonnée mais toujours limpide de segments de sons et d’images, oppressante par leur étrange régularité.
(La suite sur Kinok)
Commentaires
Film absolument traumatisant, dont je me rappelle parfaitement malgré les 15 ans écoulés, et pour qui l'a vu, l'intitulé de votre note fait dans l'humour noir, comme finalement le titre original !
Je trouve très juste ce que vous développez dans votre article, à savoir cette opposition entre l'homogénéisation générée par le cinéma dit du flux, dont les images deviennent anodines, et la participation active que requiert un découpage rigoureux, qui sépare (et parfois relie) à bon escient.
Anodin, je cherchais un mot pour qualifier la première partie du Ché de Sodenbergh.
C'est exactement cela:découpage primaire, acteurs dans le paraitre, décors plats
Ou est donc passé le souffle épique... Est cela un cinéma de flux? En tout cas la salle ètait vide... Les grands posters qui ont décoré tant de murs... dégageaient bien plus d'émotions...
Vraiment une très, très belle critique, très juste. Je vais vous confier quelque chose : j'avais réclamé ce film (que j'aime beaucoup) mais heureusement qu'il n'est pas tombé entre mes mains : je n'aurais pas fait aussi bien que vous...
c'est très gentil Dr (mais vous vous trompez !)
Je n'ai toujours pas vu ce "Clean shaven" qui m'intrigue depuis quinze ans et ce d'autant plus que, du même Lodge Kerrigan, j'ai apprécié "Claire Dolan" et pris de plein fouet "Keane", l'un des films américains les plus forts réalisé ces dernières années. Votre texte semble montrer que le premier et le troisième possèdent cette qualité rare : nous faire entrer réellement pendant 90 minutes dans la tête de quelqu'un (et se sentir soudain au bord du gouffre).
Oui, Keane est une sorte de déclinaison de "Clean Shaven" : n'hésitez plus Edisdead !
Tout d'un coup m'est revenu "Bad boy Boby"un film australien je crois ...
Je ne le connais pas ...
Rolf de Herr une vision étonnante du formatage ...Un homme est enfermé pendant 35ans par sa mère sous prétexte d'un monde extérieur pourri .
Elle est pour lui le seul humain connu et il est pour elle son objet d'amour et de haine;libéré par l'arrivée du père il tue le couple procréateur et part à la découverte du monde avec son oeil à lui... autre...
Le casting est superbe et cette vision "déchainée" de l'homme est d'une justesse sans égal.
On passe en tant que spectateur sur des montagnes russes à toute vitesse; très belle vision" incarnée" de l'inconscient humain sans floriture...