Le cinéma de Carax est au confluent de la bluette et du pamphlet, de la lettre d'amour et du crachat, du sublime et du trivial, cette zone grise et rose où l'on agonit le monde d'injures pour une caresse, où l'on engage sa vie dans une étreinte. Pessimisme en verve, écoeuré flamboyant, son héros romantique accentue de films en films sa dégradation physique et vestimentaire, radicalise son désespoir et sa révolte, tuant désormais sciemment, et non par inadvertance, ceux dont la présence ou l'absence le blessent, se déclarant étranger au monde des compromissions et des trahisons. Au croisement improbable de Péguy et Dabadie, le dandy caraxien en veut au monde décrit par l'auteur de Notre jeunesse, "le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles." Il est aussi l'abandonné décrit dans l'Italien, "voleur, équilibriste, maréchal des logis, comédien, braconnier, empereur et pianiste", qui tout comme lui, ne cesse de dire, même mutique comme Langue Pendue ou jargonnant comme Merde, qu'il a connu des femmes, qu'elles lui ont tout pris, et qu'il en pleure encore.
Commentaires
Très bon résumé !
Oui, la référence au Romantisme et au Sublime est tout à fait juste chez Carax puisqu'on y découvre, à la fois l'antimodernité des romantiques, autrement dit une certaine détestation de la Logique et du Progrès, mais aussi, ce que la modernité a retenu du romantisme, et qui n'est pas la même chose, à savoir une certaine miévrerie adolescente. "Entre Péguy et Dabadie", la formule est provocatrice mais assez juste.
Il y a même un troisième romantisme chez Carax, que l'on entrevoit dans Mauvais sang et Pola X, en particulier dans sa perception du monde des forêts, et de ce qui s'y trame : le romantisme allemand !
Et c'est pour toutes ces raisons que vous venez de dire que je déteste, mais vraiment que je déteste, les films de Léos Carax. Romantique imbécile, candide extrémiste, innocent meurtrier, salopard total (qui préfère que sa copine reste aveugle pourvu que leur amour ne soit pas corrompu... par l'argent de l'opération), son héros (incarné en général par l'horripilant Denis Lavant) n'en finit pas de pleurer sur lui-même et de "nous" vomir dessus (mais qui est ce "nous" ?), de nous hurler sa blessure, de nous abrutir de sa révolte. Incapables de légèreté et d'humour, incapables de politesse, c'est-à-dire de désespoir, ses clodos et ses diables incarnent une poursuite du bonheur menée avec une telle prétention que l'on ne peut jamais les prendre en pitié. Bien au contraire, leur abject sens de la liberté "nous" rendrait fasciste. Mais c'est peut-être ça ce qu'ils veulent. - Vous n'aimez pas notre liberté car vous êtes incapable d'être libres. Vous ne nous aimez pas car vous n'aimez pas l'amour et la vie. Vous n'aimez pas notre innocence car vous ne pouvez pas sortir de votre culpabilité.
C'est vrai que quand on voit Merde, on a envie de le bastonner. Vous, je ne sais pas, mais moi, les innocents, j'allais dire, les prétendants, me rendent sadique.
Ah, cher Montalte, voilà une réaction sans fard !
"romantique imbécile", justement, en bon baudelairien, la revanche des sensibles contre les "intelligents" me plaît assez.
"candide extémiste", c'est encore la meilleure façon de faire grincer les cyniques (ce que vous n'êtes pas, je crois)
"innocent meurtrier" : le coupable est celui qui tout en tuant, ronge son frein et se flagelle.
La meilleure façon de lutter contre ce monde, n'est ni d'y hurler ni de s'y fondre en douce, c'est de s'en extraire dans l'émotion (qu'il ne comprend plus puisqu'il ne cesse de chercher à la singer) : comme Tati, comme Ferré, comme Carax, loin des modernes revenus de tout et tournant en rond dans leurs mises en abymes terminales, l'émotion (excessive, horripilante, abjecte tant elle pousse au crime et aux pleurs) "nous" sauve.