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D'UN ECUEIL L'AUTRE

Au sein du mouvement surréaliste, le débat sur les pois sauteurs, apparemment anodin, est essentiel. Devant ces graines agitées de soubresauts inattendus, alors que Roger Caillois plaidait pour qu'on les coupe en deux afin de résoudre l'énigme, André Breton s'écria "surtout pas !", préférant en conserver le mystère.

C'est là sans doute une illustration du conflit entre la mystique et la gnose, entre l'émerveillement de l'enfance et la rationalité de l'adulte, la magie et la technique, le romantisme et le positivisme : face au monde, à ses sortilèges et à ses stratagèmes, doit-on se laisser captiver, se laisser ravir, s'en remettre à l'extase ou au contraire se ressaisir, ne cultiver que l'enstase (selon le néologisme de Mircea Eliade). Faut-il laisser le Moi se fondre avec exaltation dans le Tout ou bien reconstruire le monde en soi ?

Dans le regard que nous portons sur l'autre sexe ou sur une oeuvre d'art, la fascination crée la fois la souffrance de la sujétion et l'engouement poétique : nous dépendons de la femme ou du film dont nous refusons d'analyser les pouvoirs, mais dans le même temps nous jouissons de leur aura. A l'inverse, la distanciation s'oppose à la dépossession de soi mais également à l'émotion : les films disséqués comme les femmes comprises ne nous contraignent plus mais dans le même temps nous quittent irrémédiablement, le bonheur de leur rencontre est à jamais perdu.

Il n'existe pas de juste milieu : dans le plaisir de l'emportement et le ravissement des sens, la contrainte est à son comble ; dans la joie de la maîtrise et la quête analytique, la solitude est définitive.

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Lien permanent 10 commentaires

Commentaires

  • Vous êtes décidément en forme !

    Cela me fait penser à Fellini, qui à sa manière hésite aussi entre ces deux attitudes, entre le néo-réalisme sans fioritures et l'onirisme débridé. Ce sont peut-être ses films qui ne tranchent pas qui sont ce juste milieu, et ses plus beaux ...

  • Faut-il casser ses joujoux ? Vieille question, il y a deux écoles, ceux qui tapent sur les jouets pour leur faire rendre l'âme et ceux qui les mettent dans les vitrines en pensant que cela les conservera pour l'éternité.

  • Je pense alors à Il bidone et la Dolce Vita, Bel-ami, vous avez raison, il me semble dire davantage que la Strada ou Satyricon pour prendre deux extrêmes.

    Très belle métaphore, iPidiblue.

  • C'est intéressant ce que vous écrivez. Mais ne pourrait-on pas voir également une troisième voie, carrément idéaliste qui supposerait que la connaissance ne détruise pas l'objet étudié. Mais qu'au contraire, le savoir plutôt qu'éloigner rapproche. Il s'agirait alors d'une rencontre. Et plus d'un fantasme ou d'une science qui sont également des impasses.
    Il me semble qu'on jouit mieux si l'on sait à quoi, ou à qui on a affaire.

  • C'est justement cette troisième voie que je cherche, pradoc, mais je ne parviens pas encore à y croire. Quand on sait à quoi l'on jouit, n'est-on pas déjà dans un retrait de...spectateur ?

  • (sinon pendant que j'y suis, j'aime bien votre blog, je crois que je vous l'ai déjà dit, tantôt d'une poésie hermétique et tantôt presque suffocant de réalisme !)

  • - La gnose est le nom que l'Eglise a donné (et continue de donner) aux sciences ou théologies chrétiennes sur lesquelles elle n'exerce pas de contrôle ; mais en même temps, jusqu'à ce que l'Eglise meure en tant qu'autorité de contrôle scientifique et soit remplacée dans ce rôle par l'Etat progressivement, elle s'est toujours "adaptée" à ces "gnoses" extérieures, et c'est même sans doute ce qui explique qu'elle ait tenu le coup aussi longtemps : sa souplesse ou sa perméabilité ; le dogmatisme intransigeant apparaît dans l'Eglise romaine au XIXe siècle alors qu'elle est déjà dans un état de mort cérébrale avancé.

    - Le rapprochement que vous faites entre la sexualité et l'art, je le répète, exclut l'art chrétien aussi bien que l'art classique, ce qui n'est quand même pas une mince part. Pour prendre un exemple, la peinture de Giotto ne s'adresse pas à l'instinct du spectateur mais cherche à provoquer son intelligence. L'intention sexuelle, comme Baudelaire le relève, elle est chez celui qui peint des feuilles de vigne sur le plafond de la Sixtine et non pas chez Michel-Ange lui-même (le plus "sexuel" à la limite dans l'art de Michel-Ange, c'est son architecture, mais elle l'est moins que l'architecture gothique).
    Le retournement cocasse auquel on assiste dans la culture petite-bourgeoise contemporaine, c'est que certains critiques d'art (je pense notamment à R. Enthoven, l'ex. de Carla Bruni, sorte de réincarnation de curé janséniste) se déclarent choqués par une peinture, celle de la Renaissance, la plus scientifique et la moins sexuelle qui soit.

  • Ce que j'appelle la gnose-et je crois l'employer justement- est justement cette alliance entre la jouissance et la contemplation, qui ne sont pas antithétiques par nature . Le point de vue analytique est un point de vue de boucher : son but est de démembrer, de produir de l'utile, de morceler pour assimiler, bref d'exténuer la différence, de produire un aliment, une source d'énergie, une matière première : c'est le point de vue technique .

    Le désir sexuel est présent dans l'exhibition de la chair, et il ne faudrait pas considérer les manifestations de culpabilité ou de puritanisme comme les seules manifestations du sexuel, qui n'est pas d'ailleurs seulement instinctif mais d'âme et d'esprit ; le désir en lui même n'est pas essentiellement du bas, de l'obscur, du honteux ; Dieu désire, et l'homme le désire comme la femelle désire le mâle, selon Thomas, qui ajoute que l'orgasme était plus intense avant le péché . Le désir de l'intelligence est de savoir, et ce désir est analogue au désir sexuel, comme une puissance globale . C'est la pauvreté de nôtre pensée du désir qui crée des antinomies gratuites, ou plutôt payantes, je dirais coûteuses .
    bien à vous!

  • Merci vincent, je vais méditer tout cela.

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