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VU DE DOS

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Je n'ai pas tellement compris pourquoi l'on parlait de classicisme concernant la mise en scène de Desplechin, dans Jimmy P. Celle-ci m'a semblé au contraire remplie de détails maniéristes, de ruptures de ton, d'affèteries et de tentations formalistes, de subjectivisme (le voyage en train du frère et de la soeur avec ses recadrages incessants ; le travelling à l'hôpital soudain orienté vers le plancher pour aboutir à la chambre de de l'Indien ivre mort sur le sol ; les rêves ; la déclaration face caméra de la maîtresse de Devereux etc...).

Jimmy P., c'est surtout un film qui altère l'harmonie classique, qui fait mine d'en suivre la structure pour mieux la déséquilibrer, qui grève chaque plan d'allusions psychanalytiques. On peut trouver cela séduisant ou gratuit, ou même les deux ensemble, mais au temps du style polymorphe et de l'esthétique irreliée, où tous les emprunts et tous les écarts sont admis, et même encouragés, puisqu'ils sont censés faire sens, qui peut vraiment prendre en compte -et donc regretter ou apprécier- cette altération, ce déséquilibre, ces allusions ? Qui peut encore se réjouir de la transgression ludique des codes quand ceux-ci sont depuis longtemps passés à la moulinette post-moderne ? Exemple parmi beaucoup d'autres : le curieux systématisme de scènes d'exposition de l'Indien, le suivant caméra à l'épaule, toujours de dos ; l'étonnant champ/contrechamp final lors de la rencontre de l'Indien avec sa fille, insistant avec excès sur la nuque et les épaules du père, lesquelles envahissent anormalement le plan ; l'inattendu réalisme de la ponction lombaire, préalable à l'encéphalographie gazeuse, dûment enregistrée étape par étape. Tout cela, allié au nombre incalculable de fois où l'Indien tourne les talons face au spectateur ou aux femmes de sa vie, s'intégrant de façon assez pesante dans une symbolique du dos plus que convenue (symbolique autour du passé méconnu, de ce qu'on ne peut voir de soi, de ce que l'on supporte à défaut d'en avoir une vison claire etc...). La complexité de la technique cinématographique (toujours très maîtrisée chez Desplechin), apparaît ainsi au service du simplisme conceptuel, comme de l'explicitation réitérée par le discours.

Cette insistance, ces redondances, cette lourdeur allusive, forment alors une écriture bien identifiable, faussement classique donc, jouant avec cette parenté, mais qui finit par aboutir à une sorte d'académisme freudien vaguement distancié, vaguement prétentieux, assez vain finalement, puisqu'on en ressort à peine interrogé et déjà guéri.

Lien permanent 12 commentaires

Commentaires

  • ça change de l'ahurissant conformisme critique autour de ce film, la palme au Nouvel Obs qui nous assure que Jimmy P "dévoile les fondations croupies d'une société", alors qu'il n'a jamais vraiment ce sous-texte politique !

  • Très bien vu cet excès de "dos" !!! Finalement c'est cela qu'on demande aux critiques : de regarder le film plutôt que de broder sur le dossier de presse.

  • "assez vain finalement, puisqu'on en ressort à peine interrogé et déjà guéri."

    C'est que je reproche effectivement au film : un dispositif replié sur lui-même et "fermé" (l'analyse et son petit théâtre). Rien n'adviendra vraiment (à part quelques dérapages que je trouve réussis) si ce n'est cette "guérison" prévisible et sans réelle surprise...

  • oui déjà guérie... j'avais mis le doigt sur le montage qui me semblait douloureux... mais pas assez rapide dans ma perception pour accuser les dents de la prise de vue... quand aux journalistes qui se baffrent de dossiers de presse et de petits fours ils perdent peu à peu la notion de leur schéma corporel et gare aux chambranles des portes... une très joli moment de viennoiseries quand même avec la construction d'Amalric qui joue avec dextérité de l'écoute et de l'échange avec cet indien Dedos...bien sympa ce Devereux roumain un peu oublié...

  • Oui, j'ai lu ce texte Ténia, un contresens d'anthologie : le critique y décèle de la part des médecins américains du racisme anti-indien...

    Merci Jeanna-Marie, si seulement en effet, le réalisateur se taisait sur ses intentions, que l'on puisse regarder un film en toute...subjectivité !

    Oui, Doc, je vous suis sur toute votre critique, ou presque. le dispositif de Desplechins, c'est qu'il fait au cinéma ce qu'on entend souvent lorsqu'on aborde le sujet de la psychanalyse : ceux qui en ont fait une s'imaginent des spécialistes de la chose, un peu comme si celui qui a eu la rougeole se prenait pour un infectiologue.

    Oui, Laurence, il faut d'ailleurs lire les bouquins de Devereux, et de sons disciple Tobie Nathan, souvent passionnants.

  • Despleschins n'est peut-être pas un con, quoi que la question puisse se poser, mais c'est à coup sûr un escroc.

    Bien à toi,

    AMG.

    (Et pas d'accord, cher Dr Orlof : "Rois et reine", que c'est pénible !)

  • Oh Tobie Nathan est très fort en communication...

  • Oui, cher Arnaud, l'escroquerie me paraît avérée !

  • Ah cher "Café du commerce" (que je suis heureux de retrouver ici !), je n'ai plus qu'un souvenir très vague de "Rois et reine" mais je crois que j'avais aimé la manière dont Desplechin arrivait à rendre romanesque des destinées très ordinaires de personnages a-priori peu attachants. A revoir, peut-être...

  • Le problème c'est que dans mon souvenir ces personnages étaient aussi peu attachants a posteriori qu'a priori. J'avais vu le film dans une séance en présence de Despleschin, et la façon dont il encensait le personnage incarné par Emmanuelle Devos, que j'avais trouvé fort pénible, m'avait fait comprendre que nous n'étions pas du tout sur la même longueur d'ondes - ce qui bien sûr n'est pas la même chose que ce que je lui reproche plus globalement, à savoir d'être ennuyeux et d'intimider les critiques (mais pas les bons blogueurs) qui ont peur de passer à côté du génie de l'époque.

  • Merci d'évoquer ici la matière du film, plutôt que son discours ! Sa forme plutôt que ses intentions ! Finalement c'est ce que font les critiques (même brillamment comme Buster ici : http://theballoonatic.blogspot.fr/2013/09/jimmy-p.html), se trouver embarquer dans un type de cinéma qui énonce, qui discourt, qui annonce, qui scénarise et déscénnarise, mais qui pour cela se limite à une petite esthétique, lisse et convenue. On ne juge pas un film sur ses intentions ! Ni sur ce qu'il veut dire ! Mais sur ce qu'il dit !

  • Je suis bien d'accord avec vos trois dernières phrases Ava. Mais j'aime assez la critique mesurée de Buster, qui d'ailleurs si vous la lisez bien, s'appuie aussi sur la structure du film et non pas uniquement sur les intentions de l'auteur, qui c'est vrai, ont tendance, dans la réception de Jimmy P;, à masquer ce qui nous est vraiment montré (à tenter de le rendre en somme bien plus profond qu'il n'est). Plus largement, il y a un vrai problème avec la Critique qui voit dans certains films, un cheminement se faire jour, des rapprochements se caractériser, des écarts subtils se révéler, alors même que le film (et pas son scénario !) déballe grossièrement, sans nuance, et à grands renforts de signaux clignotants, ce cheminement, ces rapprochements, ces écarts !...

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