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BELLES FAMILLES

 

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     Malgré toute l’estime que l’on garde pour Pierre Salvadori, il suffit de comparer, dans Hors de prix, sa manière de filmer les salons soyeux  et les façades rutilantes, à celle qu’utilise Jean-Paul Rappeneau, dans Belles familles, lorsqu’il s’agit de traverser des intérieurs non moins luxueux, pour bien comprendre la différence qui existe entre la comédie brinquebalante, faite de clichés combinés à l’esbroufe, et celle dont la mise en scène harmonise les parti-pris romanesques aux décors. L’insupportable nullité de la comédie française d’aujourd’hui, ce n’est pas uniquement les scénarios mesquins, les piètres acteurs de télé et les odieux comédiens-chansonniers, le découpage navrant autour de quelques saillies aussi insistantes que vulgaires, agencées sans rythme mais parfaitement calibrées pour un best-of Youtube, c’est surtout l’incapacité à suivre un personnage, au propre comme au figuré, le suivre dans ses mésaventures comme dans son évolution, doser la longueur d’un plan, mesurer l’ampleur d’un mouvement de caméra, avant tout en fonction de ce que celui-ci ressent.

Chez Rappeneau, on ne filme pas de la même façon un paysage s’il est traversé par un personnage enthousiaste ou rongé d’inquiétude. On ne cadre pas, de manière semblable et systématiquement fascinée, les banquettes moelleuses ou les grands espaces lumineux, si celui ou celle qui s’y attarde, souffre ou goûte enfin la paix. On ne découpe pas les déambulations urbaines avec les mêmes élans et les mêmes arrêts imposés, si celles-ci conduisent à l’errance ou aux retrouvailles. Dans ses films, il ne s’agit pas de considérer une île, une forêt, le dédale d’une ville ou les recoins d’une maison familiale, comme un simple terrain de jeu mais bien comme une carte d’interprétation. Revenir enfin chez soi ou s’échapper une fois encore, faire la peau à ses souvenirs ou bien leur succomber, tout ce qui anime en somme plupart des héros et héroïnes de Rappeneau (et se révèle magnifiquement exhaussé dans Belles familles), ce n’est pas simplement un jeu intellectuel, une alternative commode, une astuce de scénario, c’est surtout une manière de filmer ceux qui s’effondrent d’un coup ou partent en courant, embrassent en dépit du bon sens ou se battent à perdre haleine, en union étroite avec le lieu de leur rencontre, toujours modelé  à vue en fonction de l’émotion qu’il suscite.

La grande maison abandonnée de Belles familles, c’est aussi bien la France d’avant qu’un type de cinéma oublié, l’enfance enfuie ou tout ce qui en soi demeure irrésolu, c’est surtout le refuge où il est enfin possible d’échapper à la frénésie moderne, laquelle détruit inlassablement, en comblant le moindre silence et en grimant chaque souvenir, toute tentative de se remémorer, et ainsi de se connaitre enfin. Le film n’est ainsi fait que de rendez-vous écourtés en raison d’un  train à prendre, et de fugues insensées qui amènent à le rater, de conversations battues en brèche par la sonnerie des portables, et de dialogues cependant poursuivis par de bouleversants échanges de regards. D’une banale affaire de succession, d’un chassé-croisé amoureux et de quelques conflits familiaux, Rappeneau parvient à faire une fresque élégante sur notre rapport à la modernité. Par ses personnages qui contre toute attente s’immobilisent net ou bien cumulent les irruptions, ses situations qui sans prévenir se renversent ou se dramatisent, il articule la préservation de l’intime à l’élucidation des secrets, le retour sur soi contemplatif à la fébrilité intrusive, la quête des origines aux fuites en avant. Il montre ainsi que tout ce que l’on croyait avoir perdu, palpite encore.

S’il n’y aura plus jamais de champs là où les néons de la ville nouvelle clignotent, s’il n’est plus permis d’habiter la vaste maison d’autrefois quand le monde autour en condamne l’orgueilleuse solitude, il reste toujours possible de faire la paix avec son passé, c’est-à-dire, après l’avoir renié ou méconnu, d’accepter enfin qu’il nous guide. Si le vieux monde est de retour, c’est tout simplement parce qu’il n’avait pas tout faux.

 

Lien permanent 13 commentaires

Commentaires

  • Le téléphone portable nous a fait beaucoup de mal à nous autres les artistes du stylo-plume ! Alors voilà c'est peut-être la faute de la caméra numérique si tout va trop vite ... revenons à nos crayons !

  • j'aime beaucoup ce que tu écris dans tes deux premières paragraphes mais en même temps, ça me rend très sceptique: à part Les mariés de l'an II -vu dans des conditions exceptionnelles-, les films de Rappeneau m'ont toujours ennuyé à cause justement de leur style que je trouve mécanique et routinier. Le pire étant à mon avis atteint dans son avant-dernier, Bon Voyage, recyclage poussérieux et désincarné des vieux trucs de la comédie américaine.

    L'opposé étant pour moi Le diable par la queue où l'attention de Philippe de Broca aux lieux, tantôt émerveillée tantôt utilitaire, révèle moi un vrai tempérament de metteur en scène.

  • j'aime beaucoup ce que tu écris dans tes deux premières paragraphes mais en même temps, ça me rend très sceptique: à part Les mariés de l'an II -vu dans des conditions exceptionnelles-, les films de Rappeneau m'ont toujours ennuyé à cause justement de leur style que je trouve mécanique et routinier. Le pire étant à mon avis atteint dans son avant-dernier, Bon Voyage, recyclage poussérieux et désincarné des vieux trucs de la comédie américaine.

    L'opposé étant pour moi Le diable par la queue où l'attention de Philippe de Broca aux lieux, tantôt émerveillée tantôt utilitaire, révèle pour moi un vrai tempérament de metteur en scène.

  • Pas trop goûté Bon Voyage non plus, en effet tournant à vide. J'aime beaucoup les premiers de Broca en revanche, celui que tu cites, et les Caprices de Marie. J'ai revu il n'y a pas longtemps La Vie de château et Le Hussard, de Rappeneau, et cela ne m'a pas paru mécanique

  • « L’insupportable nullité de la comédie française d’aujourd’hui, ce n’est pas uniquement les scénarios mesquins, les piètres acteurs de télé et les odieux comédiens-chansonniers, le découpage navrant autour de quelques saillies aussi insistantes que vulgaires, agencées sans rythme mais parfaitement calibrées pour un best-of Youtube […] ». On voudrait bien être plus nuancé, peut-être plus tolérant, mais l'on voit bien que cela n'est plus possible. Partout, et dans cette forme de cinéma en particulier, règnent les odieux. Et ce mot n'est pas excessif. Mais d'où vient, aujourd'hui, le sentiment d'accablement qui nous saisit ? Sentiment d'être cerné, submergé par la niaiserie, par le complot tacite des fronts de bœuf et des ricaneurs réunis ?
    « […] s’il n’est plus permis d’habiter la vaste maison d’autrefois quand le monde autour en condamne l’orgueilleuse solitude, il reste toujours possible de faire la paix avec son passé, c’est-à-dire, après l’avoir renié ou méconnu, d’accepter enfin qu’il nous guide. Si le vieux monde est de retour, c’est tout simplement parce qu’il n’avait pas tout faux. ». Votre article est splendide, Ludovic, et il ne faut pas craindre de le secouer, même s'il est plein de larmes… (cf Henri Calet).

  • Merci Patrick. Votre avis, etvotre vision, vous le savez, comptent beaucoup pour moi

  • Une explication de texte s'impose cher Pierre !

  • Où êtes-vous, Ludovic ? Lassitude ? Doute ? Difficultés passagères ? Songez tout de même que vous n'en avez pas terminé avec le cinématographe.
    J'ai vu le dernier de la série Rocky, Apollo, de Sylvester Stallone. Je suis le travail de Stallone depuis La Taverne de l'enfer (Paradise Alley), son goût des déclassés, sa peinture d'une humanité sauvée puis perdue par la force, le combat, son attention aux paumés. Rocky I est un excellent film, Rocky II vaut pour les séances d'entraînement dans une salle qui sent la sueur. La suite est beaucoup moins bonne, mais le dernier opus est remarquable. Il aura créé un personnage, l'aura fait entrer dans la légende américaine, l'aura suivi jusqu'à sa « rédemption». Le premier Rambo était un vrai film d'action, très bien mené, avec, comme « héros » négatif, une sorte de réprouvé d'état, un ancien du Viêt Nam , la suite est souvent grotesque, mais je donne tout Spielberg pour quelques Stallone.
    Je vous salue, Ludovic.

  • Oui, cher Patrick, un peu de lassitude vis à vis du blog en effet, mais je devrais y revenir malgré tout prochainement ! N'ayant en fait jamais vu de film de Stallone, vos appréciations m'incitent à y aller voir !

  • La lassitude est un sentiment très honorable, et dont il faut respecter les effets. Je souhaite néanmoins qu'elle ne vous tienne pas éloigné trop longtemps de votre blogue, qui m'est précieux. Vous reprocherez sans doute à Stallone des procédés hollywoodiens sentimentaux, des facilités, mais on peut voir, surtout, dans l'ensemble de ses deux séries principales, Rocky et Rambo, un vrai feuilleton américain, la faille ouverte de deux héros « subalternes », qui tentent leur seconde chance. À bientôt, Ludovic

  • Encore une chose : Alain Delon est souffrant, on le savait depuis quelque temps déjà, mais là, cela semble sérieux. Songez que cet acteur (il différenciait lui-même l'acteur du comédien) exceptionnel, n'a plus paru dans aucun film seulement acceptable depuis Les Acteurs, de Bertrand Blier (2000). On dit que les metteurs en scène et les producteurs redoutent son caractère, sa versatilité… Mauvais argument : personne, dans ce cinéma français, n'aura été capable d'imaginer le dernier grand rôle crépusculaire d'un acteur aussi convaincant, et de le lui proposer avec assez de conviction pour emporter sa décision ! Mais il est vrai que nous ne verrons sans doute pas avant longtemps un nouveau film de Leos Carax, et que nous ne reverrons peut-être plus un nouveau film de Jean-Claude Brisseau.

  • Oui, personne en effet n'en aura été capable, et tout comme vous cela me désole...

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