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  • DEUX FOIS DUMONT

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    1) Hadewijch (2009)

    L'élégante revue Nunc propose, dans son numéro 40 paru ce mois, un abondant dossier sur Hadewijch d'Anvers, poètesse mystique du XIIIè siècle. J'ai eu l'honneur d'y participer, en traitant du film de Bruno Dumont, fable contemporaine qui recèle toutes sortes de liens avec les écrits de celle-ci.

     

    2) Ma Loute (2016)

    Chronique parue dans le magazine Eléments, numéro 161:

     

         Ma Loute est une représentation de la nature humaine à partir du Nord-Pas de Calais qui est ma terre » (1)

     

         En 1910, dans la baie de Wissant, une enquête sur des disparitions inexpliquées s’oriente vers les Van Pethegem, bourgeois consanguins, et les Brufort, pêcheurs cannibales. Présenté à Cannes et reparti sans trophée, Ma Loute de Bruno Dumont est une comédie macabre, une tragédie burlesque, une satire métaphysique, qui ne pouvait décemment plaire à un tel festival normatif.

        Contrairement à ce que clame une critique aussi bêtement lyrique que la diva interprétée par Binoche, le film n’est pas à « hurler de rire » et les réactions offusquées de spectateurs s’accumulent depuis la sortie… Le premier élément qui en effet déconcerte, c’est bien la part dévolue aux acteurs. Luchini est changé en histrion peinant à trouver le mot juste, Bruni Tedeschi en hystérique frigide, Binoche en mystique fantasque. Au force d’outrances, on réalise que ce n’est pas seulement à l’hénaurme caricature de bourgeois de Tourcoing qu’on assiste, mais bien à l’exacerbation de ces acteurs-mêmes, de leurs rôles passés comme de leur personnage public. Le premier scandale est bien là : faire de l’affectation de ces comédiens de renom, ni plus ni moins qu’une pantalonnade. En face, des gens du cru, avec une gueule marquée et des expressions sans apprêt, incarnent le peuple. Et parce que leur vérité éclate au grand jour face aux simagrées des compositions, se répète à nouveau l’offense de 1999, lorsque deux acteurs amateurs de L’humanité avaient reçu un prix d’interprétation, au grand dam des professionnels.

        Ainsi les louanges enflammées de la critique comme la réception outrée d’une partie du public, illustrent-elles surtout l’inhérente contradiction de l’esprit bourgeois, dont ce film est le savoureux révélateur. La bourgeoisie a toujours défendu ce qui est dénué de risque, mais l’évolution des sociétés l’amène aujourd’hui à vouloir se dédouaner de sa perpétuelle quête de confort. « Ceux qu'on appelle à l'occasion les ‘ nouveaux bourgeois’, dit Alain de Benoist, sont seulement ceux qui, dans un monde entièrement modelé par la mentalité bourgeoise, cherchent en caricaturant les anciennes moeurs aristocratiques (…) à marquer leur différence en cultivant une suridentité à part » (2). Ainsi le néo-bourgeois et celui qui n’a pas encore muté, le bourgeois à l’ancienne, s’affrontent-ils sur le dérangeant et le choquant, jubilatoire pour l’un mais toujours inacceptable pour l’autre, du moins jusqu’à ce que ce dernier réalise que ces nouveaux critères sont rentables, tant sur le plan symbolique que financier.

        Autre sujet de discorde en un temps où le nomadisme est une vertu et l’origine un poids, la géopoétique de Ma Loute. Dumont y poursuit en effet son exploration d’un univers géographique précis, des Monts des Flandres aux plages du Boulonnais, de l’embouchure de la Slack aux rues de Bailleul, comptant aussi bien les paysages que l’architecture, les accents que les visages. Il ne s’agit pas là d’une simple exaltation du terroir, mais bien de principes que n’aurait pas reniés Kenneth White, interrogeant le lieu, « nœud dans le flux universel » (3), guettant l’accord esthétique et spirituel entre un homme et une Terre. Comme la phrase cité en exergue le souligne, le souhait du cinéaste est bien d’aborder le territoire en tant qu’il nous fonde : « L’homme est une terminaison du paysage, précise-t-il, nous en sommes les parties mobiles » (4).

        Dernière preuve de non-conformisme : le devenir de Billie Van Pethegem. Cette fille qui se déguise en garçon, ce garçon qui se travestit en fille, vit une idylle avec un pêcheur, du moins tant que celui-ci la croit fille. La postmodernité ne cesse de bâtir des tribus homogènes d’individus identiques, toujours conflictuelles entre elles. Puisque celui qui diffère n’a d’autre choix que d’être assimilé, c’est-à-dire nié, se met peu à peu en place le règne du queer. Simulant le cumul d’identités (alors que c’est n’en avoir aucune qui le caractérise), le queer est jugé seul capable de traverser les groupes et d’ainsi rendre leurs oppositions inoffensives. Or, l’indistinction ne peut en aucun cas abolir les antagonismes qu’au contraire elle fige. Le film le démontre à sa manière, en ne donnant pas à Billie le rôle du sauveur. Alors que doxa oblige, l’histoire d’amour formée entre les deux familles aurait dû briser leur logique endogamique, c’est au contraire la découverte de la nature de Billie qui sépare définitivement les deux camps. Dans Ma Loute, ce ne sont ni les doubles (sosies, jumeaux, couples incestueux), ni le trans, qui l’emportent, mais le duo. Celui des deux policiers dissemblables mais coopérants, dont la complémentarité réside justement dans l’affirmation de chaque identité propre. On ne peut mieux s’opposer à la tyrannie du Même comme à celle de l’indifférencié, conduisant toutes deux à la dissolution de l’altérité.

        On ne peut mieux franchir les digues du cinématographiquement correct, ce que Dumont réussit à merveille, conjuguant la ligne claire d’Hergé aux marines d’Eugène Boudin, les gags du Muet à l’art du bruitage de Tati, et d’absurdes bourgeois bunuéliens aux échanges de regards de Mort à Venise !

     

    1 - Entretien avec Bruno Dumont. www.lavoixdunord.fr, 14 Mai 2016

    2 - Alain de Benoist, Critiques-Théoriques, L’Age d’Homme, 2002

    3 - Kenneth White, Les affinités extrêmes, Albin Michel, 2009

    4 - Entretien avec Bruno Dumont, www.humanite.fr, 13 Mai 2016

     

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  • CINE-META-GRAPHIQUES

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    Dans le même esprit que Le cinéma ne se rend pas (Alexipharmaque, 2008), il s'agit d'un recueil d'articles publiés ici et là, mais également de textes inédits, tirés du blog ou de cahiers à spirales régulièrement noircis... 

    L'objectif n'est bien sûr pas d'offrir un ensemble disparate, n'ayant que leur auteur comme lien, mais de proposer à la fois une critique d'un certain cinéma moderne et une défense des quelques rares films qui s'extraient de son "esthétique de fascination". Qu’il s’agisse d’études trans­ver­sales au­tour de thé­ma­tiques ci­b­lées (1è­re ­par­tie), d’ar­ticles po­lé­m­iques liés à l’ac­tua­li­té (2ème par­tie), d’ana­lyses mé­t­a­po­li­tiques d’œuvres po­pu­laires ou mé­c­on­nues (3è­m­e ­par­tie), ces textes tentent de cé­l­é­b­rer le ci­né­ma qui ne s’en laisse pas comp­ter, qui ne prend pas ses spec­ta­teurs pour des es­t­hètes do­ciles et des con­som­ma­teurs sou­mis. Ac­ca­b­lé de lieux com­muns re­peints à neuf, d’idées reçues éri­gées en règles d’or, de formes vides fas­ci­nantes, le ci­né­ma ap­pa­raît sem­b­lable à la Gar­de Im­pé­ria­le ­cer­née par les troupes an­g­laises de Wel­ling­ton : tout comme elle, se­lon le mot du Gé­né­ral Mi­c­hel at­t­ri­bué à Cam­b­ronne, il est en train de mou­rir ; tout comme elle ce­pen­dant, il ne se rend pas. Sous les atours les plus dé­s­or­don­nés du style, la ri­gueur d’une re­p­ré­s­en­ta­tion ou la jus­tesse d’un rap­port d’images, ré­duisent en­core à néant le chaos des signes. Sous la nov­langue et les mots d’ordre, un lan­gage ré­siste.

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