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borgès

  • POP CONSPIRATION

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        L’histoire invisible, ses rapports occultes avec les événements officiels, ses sociétés secrètes tissant leurs toiles à l’ombre des dynasties, des guerres et des architectures, tout cela a engendré depuis fort longtemps une littérature incantatoire, soufflée à demi-mots énigmatiques, qui bien souvent sacrifie le verbe au profit de la révélation, atténuant la portée de cette révélation même puisque seul le style émeut, et ainsi peut faire bouger les lignes. A l’opposé de ces oeuvres pour happy few, une autre écriture, cette fois très répandue, tient à témoigner de l’évanescence morbide du monde, écriture pauvre et circulaire qui parce qu’elle relate la surface et la futilité, se veut aussi anodine que ce qu’elle met à jour.

     

    C’est ainsi trois défis qu’a relevé Arnaud Bordes dans la très belle surprise que constitue Pop conspiration : rendre poétique et lumineuse la plongée ordinairement ingrate dans la poussière des arcanes méta-historiques, donner une forme charmeuse à l’alanguissement post-moderne, relier enfin ces deux univers contradictoires, ces deux esthétiques contraires. Comme dans tout bon roman, c’est par l’entremise d’un personnage de femme qu’il parvient à ses fins : Annemarie Pop, si belle « en parka sous la pluie, dans la lumière des phares de scooters », au confluent de sociétés secrètes qui l’emploient ou la traquent, de leurs trop-pleins de raisons et de causes. Celle-ci s’avère porteuse d’une vacuité existentielle définitive, que ni les simagrées relationnelles, ni le chaos irrelié des musiques et des livres, ni même les meurtres accumulés, n’entament. Les complots les mieux orchestrés, les manigances les plus savantes, ne seraient rien en effet sans l’insensibilité nonchalante de ceux qui en forment à leur insu les rouages, et cette confrontation entre une Histoire réservée aux initiés et le morne quotidien d’êtres neutralisés, est la grande force de ce court roman, où se côtoient fracas épique et lentes ondulations de corps fascinés par la « luminosité derviche » d’écrans télés.

     

    Ce récit polyphonique multiplie et entremêle les témoignages à la première personne du présent. Une quinzaine de personnages, des années 60 jusqu’à l’automne 95, brossent ainsi le portrait d’une femme (interviennent son père, sa mère, celui qui la dépucela, celle qui fut une amie proche, ceux qui la (dé)formèrent et ceux qui la prirent en chasse, elle-même enfin durant l’été 89), mais également celui d’une époque contemporaine riche en effondrements, laquelle défile sous la houlette de deux officines s’affrontant depuis l’aube des temps, Morvan et Murcie (en témoignent les instructifs aveux de leurs responsables comme de leurs sbires). Si tous les chapitres sont datés, Pop conspiration ne nous livre cependant pas les événements dans leur chronologie, puisque cette dernière, comme le pensait Lénine, n’a aucune espèce d’importance. Murcie et Morvan ne s’opposent-ils pas à toute époque et en tous lieux ? Annemarie Pop n’est-elle pas la même dans la dépravation éparpillée de son adolescence ou la précision millimétrée des meurtres qu’elle finit par commettre ? Ceux qui « ne regardent jamais assez les filles danser sur la plage » n’ont-ils pas de tout temps été nostalgiques de ce qu’ils croient avoir laissé derrière ? On remarque assez vite cependant que chacun de ces chapitres, chacune de ces haltes temporelles, se relient malgré leur apparent désordre comme autant de moments-clés, conduisant inexorablement vers toute une série de ruptures : la fin d’un monde, la perte d’une innocence, une mort spirituelle ou bien physique.

     

    Avec ses phrases précieuses, ouvragées et sinueuses, qui ensorcellent avant soudain de couper court d’un trait glaçant, Pop Conspiration mâtine alors Jean Parvulesco d’Orchestral Manoeuvre in the Dark et altère ses labyrinthes borgésiens d’indolence macabre. Roman impressionniste et surdocumenté, tout en désespoir et légèreté, il dévoile l’âme féminine comme le parfum d’une époque à un moment bien précis : quand « en elle, on pressentait une profondeur, qui était peut-être aussi un vide ; une profondeur qu’eût creusé une frivolité ». Donnant à voir le charme désuet d’une cité balnéaire, à la fois refuge et tombeau, le roulis de solitudes versicolores, les fulgurances de sept meurtres effroyables ou les méandres du Get closer de Valérie Dore, il révèle la beauté crépusculaire d’un monde en perdition. Et c’est tout simplement déchirant.

     

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    Pop Conspiration, Arnaud Bordes. Editions Auda Isarn, 2013. 12 euros.

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