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jean seberg

  • CELLES QU'ON N'A PAS EUES (2/8)

    "Je serai à toi à la Noël...", m'avait-elle murmuré. Et puis Noël passa.

    V. était le portrait craché de Jean Seberg et je crois bien que c'était sciemment qu'elle se coiffait comme elle. J'ai longtemps pensé que le français n'était pas sa langue maternelle (elle disait "la" Noël, "des" pantalons, et parlait encore de chandails ou de corsages en plein milieu des années 90), mais ces tournures n'étaient rien d'autre que les restes vieillots d'une éducation bourgeoise. Prodigieusement belle donc, et usant d'expressions démodées, elle faisait doublement fuir les hommes. A cette époque, j'aimais entourer de mots compliqués et de jugement paradoxaux, des goûts finalement très simples et des idées sur le monde qui ne l'étaient pas moins. Comme elle ne recherchait que cela (une forme sinueuse et chamarrée masquant un fond mal assuré), elle s'intéressa à moi. Au fil des mois, des Straub à Duras et d'Ulysse aux poètes roumains, nous laissions libre cours à la vanité de notre jeunesse. Nous haussions les épaules avec le plus grand des mépris face aux lignes claires, aux idées nues, aux oeuvres classiques, et gardions notre estime pour les styles les plus heurtés, les romans les plus illisibles, les films les plus lents : nous n'avions tout simplement pas trente ans. Parfois j'essayais quelque approche moins éthérée mais toujours elle me repoussait avec une drôle de tendresse, qui n'allait pas du tout avec ses lèvres légèrement gonflées et l'ardeur de son regard. Comme je me faisais avec le temps de plus en plus pressant, elle m'assura un jour que nous serions amants à Noël, comme une sorte de cadeau qu'elle me ferait. Et puis Noël passa.

    James joyce, Ulysse, Fritz Lang, Marguerite Duras, Jean Seberg, Balzac,

    1994 débuta sans que je la revis, et j'appris plus tard qu'elle avait quitté la France pour retrouver je ne sais qui dans les Highlands. Je ne cherchais pas à la rejoindre, d'autant que dans sa lettre d'adieu, pleine d'adjectifs inappropriés et de relatives enchaînées les unes aux autres, elle déclarait qu'elle avait préféré ne pas se donner à moi "car je méritais mieux que ça". Je ne sus jamais s'il y avait derrière cette sentence absurde, l'inquiétude d'une vierge, la névrose d'une femme frigide, ou bien plutôt un dégoût de soi des plus effrayants. Elle me fuyait en somme comme nous avions fui les lignes claires, les idées nues, les oeuvres classiques, comme je me fuyais moi-même, comme on fuit l'aveuglement d'une révélation.

    C'est à cette époque que laissant tomber Joyce et Le Camion, je découvris le cinéma de Lang et la Comédie Humaine.

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