"Je serai à toi à la Noël...", m'avait-elle murmuré. Et puis Noël passa.
V. était le portrait craché de Jean Seberg et je crois bien que c'était sciemment qu'elle se coiffait comme elle. J'ai longtemps pensé que le français n'était pas sa langue maternelle (elle disait "la" Noël, "des" pantalons, et parlait encore de chandails ou de corsages en plein milieu des années 90), mais ces tournures n'étaient rien d'autre que les restes vieillots d'une éducation bourgeoise. Prodigieusement belle donc, et usant d'expressions démodées, elle faisait doublement fuir les hommes. A cette époque, j'aimais entourer de mots compliqués et de jugement paradoxaux, des goûts finalement très simples et des idées sur le monde qui ne l'étaient pas moins. Comme elle ne recherchait que cela (une forme sinueuse et chamarrée masquant un fond mal assuré), elle s'intéressa à moi. Au fil des mois, des Straub à Duras et d'Ulysse aux poètes roumains, nous laissions libre cours à la vanité de notre jeunesse. Nous haussions les épaules avec le plus grand des mépris face aux lignes claires, aux idées nues, aux oeuvres classiques, et gardions notre estime pour les styles les plus heurtés, les romans les plus illisibles, les films les plus lents : nous n'avions tout simplement pas trente ans. Parfois j'essayais quelque approche moins éthérée mais toujours elle me repoussait avec une drôle de tendresse, qui n'allait pas du tout avec ses lèvres légèrement gonflées et l'ardeur de son regard. Comme je me faisais avec le temps de plus en plus pressant, elle m'assura un jour que nous serions amants à Noël, comme une sorte de cadeau qu'elle me ferait. Et puis Noël passa.
1994 débuta sans que je la revis, et j'appris plus tard qu'elle avait quitté la France pour retrouver je ne sais qui dans les Highlands. Je ne cherchais pas à la rejoindre, d'autant que dans sa lettre d'adieu, pleine d'adjectifs inappropriés et de relatives enchaînées les unes aux autres, elle déclarait qu'elle avait préféré ne pas se donner à moi "car je méritais mieux que ça". Je ne sus jamais s'il y avait derrière cette sentence absurde, l'inquiétude d'une vierge, la névrose d'une femme frigide, ou bien plutôt un dégoût de soi des plus effrayants. Elle me fuyait en somme comme nous avions fui les lignes claires, les idées nues, les oeuvres classiques, comme je me fuyais moi-même, comme on fuit l'aveuglement d'une révélation.
C'est à cette époque que laissant tomber Joyce et Le Camion, je découvris le cinéma de Lang et la Comédie Humaine.
Commentaires
Très, très bien ce N°2, vraiment !
Combien il faut d'épreuves pour élaguer, simplifier, aller directement au sens...
J'aime cette Carte du Tendre en cours d'effacement, ces fêtes galantes inabouties, ces esquisses cinéphiliques ! Très bonne année à vous, Mr Maubreuil.
C'est très beau (et d'autant plus beau que ça en dit long).
Entre l'avoir et l'être la distance qui n'en finit jamais d'étonner...que de sortilèges monsieur Maubreuil et de rêves éveillés qui nous permettent d'enjamber les jours...Je lève mon verre à vos délicats écrits ...Bonne année.
Que d'entre-jambement plutôt ...
Merci Jeune Serment, voilà d'ailleurs un voeu pour cette année : se débarrasser des scories du style.
A vous aussi Jean Pierret ! Et merci de votre lecture.
Merci Sylvie, toujours heureux de vous voir par ici.
Bonne année également Laurence, je lève le mien à vos beaux instants pris sur le vif, sur votre si agréable blog.
Toujours opportun, iPidiblue, pour 2012, je vous demande de ne pas vous arrêter !
Ce blog est si gentil avec moi. Je vais continuer à venir ici encore et encore. Visitez mon lien ainsi.
Très bien, Toilettage, restez. Ce soir, même les robots ont droit au baiser sous le gui