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la possibilité d'une île

  • ENTRE LE CIEL ET L'EAU

    Ce qui soutient la foi, c'est le doute. Aborder un roman, c'est aussi le remettre en question. Il en est des critiques littéraires comme des personnalités, certaines pleines comme un oeuf, cartésiennes et conquérantes, n'ont pas assez de place pour se mettre en scène et servent en général un discours univoque ; d'autres, hasardeuses et ramifiées, en déséquilibre constant, finissent par toucher le coeur même du sujet, par le révéler.

    A une saine distance de l'agitation médiocratique, il m'a semblé intéressant de livrer ici, dans le désordre de leur association, les intuitions et les interrogations également profondes d'une lectrice autour de La possibilité d'une île, roman magnifique dont elle aborde en passant, sans sérénité inopportune, quelques gouffres. Bienvenue dans le labyrinthe.

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    Les têtes de chapitres, en Daniel1,1, Daniel1,2  Daniel1,19 ...ou Daniel24,1  Daniel24,2  Daniel25,15  (etc)  sont visuellement très connotées. On pourrait citer un passage du livre de Houellebecq, préciser la source exactement, ce faisant à la manière d'un chapitre de la Bible, et c'est une sensation trouble et forte.
    En dépit du détachement constant de Daniel1 au sujet de cette secte des élohimites ("Je n'avais jamais entendu parler de ces conneries" Daniel1,9), l'accumulation de termes connotés active de la même manière nos esprits ductiles (ou bien c'est que je suis - encore ? - un minimum conditionnée à réagir à certains termes). Puis Daniel... (dans la fosse aux lions ?).

    Esther, Marie... voire un Vin(gt)cent qui distribuerait les bienfaits.  La temporalité qui comprend les différents récits nous est aussi une durée familière : environ deux mille ans (elle est évoquée une fois  : "Je ne comprenais pas ce qui lui faisait penser que cette histoire vieille de deux millénaires, concernant des humains de l'ancienne race" Daniel25,17). Certes Houellebecq n'emploie pas le mot Apocalypse, mais invente des moments effrayants comme La première Grande Diminution, le Grand Assèchement (qui se connote ensuite tout autrement de lui-même en lisant ceci : "Le Retour de l'Humide sera le signe de l'avènement des Futurs" Daniel24,9),  la double explosion nucléaire aux pôles etc.
    Je cherche encore mon chemin. je ne sais si cela court parallèlement/inversement ou en désordre par rapport au récit biblique, je cherche. Ce ne sont peut-être que des emprunts, des ponts intellectuels et spirituels.
     
    L'image du Père (le premier prophète a soixante cinq ans  - Daniel1,10 -,  il est assassiné) est utilisée à des fins de propagande, son Fils caché ("visage aigu, intelligent, un regard étrangement intense, presque mystique" Daniel1,10) joue de leur miraculeuse ressemblance et devient le Père, il devient enfin le Créateur reconnu qu'il n'avait pas réussi à être auparavant et oeuvre avec Savant à concevoir ceux qui deviendront les Futurs.
    (Savant, Humoriste, Flic ... Zinoviev, Les hauteurs béantes ?)
    (Flic, je rêve ou Houellebecq s'est payé le Jérome Prieur de Corpus Christi ?)
     
    C'est Isabelle qui pourrait être la "mère" de la Soeur Suprême ? (ou Susan mais uniquement par homophonie)
     
    Cet enchâssement - partiel - des commentaires de Daniel24 puis 25 sur le récit originel (originel à double titre) de Daniel1 est très troublant aussi, il sourd à partir de quelques mots du début : "Je ne souhaite pas vous tenir en dehors de ce livre ; vous êtes, vivants ou morts, des lecteurs"  -vous, lecteurs, l'adresse est sans ambiguïté - laquelle phrase naît de la page précédente consacrée à Harriet Wolff (la fable symbolisait selon elle "la position de l'écrivain qui est la mienne").
    Fâcheux incipit qui pose ce livre à venir comme une métaphore de... tout livre ? Et je trouve Daniel1-Houellebecq très finement second degré en faisant de ce meurtre aux motifs profondément classiques  (jalousie/passion/oedipien ou les trois ?), de même que tout bon livre s'appuie sur ce type de motifs simples -  ce crime crée une rupture et devient le point de départ de son désir de consigner par écrit le récit de sa vie : "Je compris alors pourquoi les éminences grises, et même les simples témoins d'un événement historique dont les déterminants profonds sont restés ignorés du grand public, éprouvent à un moment ou à un autre le besoin de libérer leur conscience, de coucher ce qu'ils savent sur le papier." Daniel1,18.

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    La métaphore de "la position de l'écrivain" ce serait donc que tout livre est fait d'accidents, d'événements majeurs (de bifurcation écrit-il une fois jusqu'à  "L'homme allait bifurquer ; il allait se convertir" Daniel1,27), du regard croisé des autres, les lecteurs, et donc de lectures et de commentaires ?
    Tout livre serait fait aussi (en cela il est paradoxalement traditionnel) de mensonge : "le mensonge m'apparaissait à présent dans toute son étendue (...) et Vincent avait raison : mon récit de vie, une fois diffusé et commenté allait mettre fin à l'humanité telle que nous la connaissons" Daniel1, 27. Et pour la métaphore de l'écrivain, voir les mots juste après  : "c'est à juste titre que Vincent avait discerné en moi les capacités d'un espion et d'un traître". Sauf que Daniel1 pense avoir découvert une terrible vérité  (tout est mensonge) jusqu'à ce qu'il découvre que tous le savent. Les infimes différences (la plus petite différence majeure) sont contenues dans les récits successifs qui sont faits, les commentaires et les nouveaux récits servent à l'édification des Futurs. "Ce message ne m'était pas spécifiquement destiné, il n'était à vrai dire destiné à personne : ce n'était qu'une manifestation supplémentaire de cette volonté absurde, présente chez les humains, et restée identiques chez leurs successeurs, de témoigner, de laisser une trace." Daniel25, commentaire final, épilogue.    

    C'est dans l'énoncé des sketches et scenarios trash que Michel Houellebecq est le plus cynique. Dans l'évocation d'Isabelle et Esther, puis de lui-même, qu'il est le plus noir.  
    Le récit de Daniel1, qui est encore très marqué pour nous lecteurs de 2010 (on pourrait songer à faire un index des personnalités... - cruel Houellebecq qui place en exergue de certains chapitres des citations d'illustres... inconnus), ce récit de Daniel-Houellebecq que deviendra-t-il en 2040 ? Après ?
    Mais alors  ... Les 22 commentaires manquants rejoindront ceux de Daniel24 et Daniel 25 ? Cette idée est effrayante pour ce qui a trait à la vision de l'humanité de Michel Houellebecq, oui.
     
     

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     La possibilité d'une île. La possibilité d'une/il ? "Les Futurs contrairement à nous, ne seront pas des machines, ni même véritablement des êtres séparés. Ils seront un, tout en étant multiples. Rien ne peut nous donner une image exacte de la nature des Futurs." Daniel25, commentaire final, épilogue.

    Importance nouvelle de la poésie dans ce livre de Houellebecq. Les premières pages du roman sont visuellement parcellaires et livrent aussi les premiers vers, ils sont un message de Marie22. Fâcheux titre... issu, en toute splendeur de l'ultime poème de Daniel1, la Poésie qui est toute première ïle ? Ce poème, ce vers, qui déclenche selon Daniel25 le départ de Marie23, cette île est pure idée car la mer a disparu de la surface de la Terre.
    Poësis, pouvoir du Verbe. Grèce, îles.
     
    Je crois que l'île est ce livre lui-même, que Houellebecq a chargé métaphoriquement son roman du pouvoir de faire bifurquer l'humanité en narrant le pire, pour que nous décidions de faire advenir une autre humanité. Lecteurs qui commentons, nous sommes presque déjà des néo-humains, faisons advenir l'Humanité et non les Futurs.   "J'ai retrouvé le sens de la Parole ; les cadavres et les cendres guideront mes pas, ainsi que le souvenir du bon chien Fox" Daniel25, commentaire final, épilogue.

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  • APRES L'HISTOIRE

    Le couple et la famille représentaient le dernier îlot de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l’individu du marché. (Michel Houellebecq, Les particules élémentaires)

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    Après avoir entendu aussi bien les louanges d’avant Extension du domaine de la lutte que les cris d’orfraie d’après Les Particules élémentaires et surtout Plateforme, il est assez vite apparu que Michel Houellebecq n’avait jamais été vraiment lu par ceux qui faisaient profession d’étudier ses écrits, lesquels se sont donc successivement crus permis de voir chez ce grand écrivain, qui laisse loin derrière lui les auto-fictions frileuses, les auto-célébrations mornes et les pamphlétaires sans mesure, une forme nouvelle d’esthétiquement correct (comme une sorte de Cioran policé, aimablement contemporain) puis à l’inverse, un mixte bavard de cynisme et de misogynie (tel un Céline qui bénéficierait d’une scandaleuse impunité sociale). Et c’est exactement la même chose qui est arrivée avec son film, La possibilité d’un île, manifestement non vu par ceux qui se sont plaint de « la laideur des décors » ou de son « absence de rythme », l’affublant de l’injure suprême de « série Z », qui révélait sans équivoque non pas seulement leur méconnaissance du cinéma mais surtout leur haine de celui-ci une fois les panthéons bien installés.

    (La suite, ici)

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