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pierre drieu la rochelle

  • CONTRE LES NAUFRAGEURS

     

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       Christopher Gérard est un écrivain usant de phrases limpides et de mots qui font mouche, maniant l’ironie élégante sans rien renier d’un romantisme de bon aloi, n’ayant pas le paganisme théâtral et bruyant, mais fondant au contraire sur de solides convictions païennes, un art d’écrire et de lire qui ne succombe jamais à la lâcheté des modes, manière courageuse de rester égaré quand tant d’autres ont trouvé leur file d’attente, leur case, leur comptoir, dont ils ne bougeront plus, enfin réconfortés. Autant dire qu’il n’est pas tout à fait à sa place dans le milieu littéraire d’aujourd’hui. Celui-ci en effet ne sert plus que les intérêts d’une seule caste, comme il le rappelle en préambule de Quolibets, son « journal de lectures » : « hostile à toute quête du divin et allergique à toute verticalité, l’inconscient collectif se trouve ainsi modelé par une caste marchande propulsée au sommet et qui, par un phénomène d’inversion des valeurs, domine sans partage. Il était fatal qu’à la dictature d’une fonction correspondît la littérature exaltant ses idéaux ». Il en est une autre toutefois, souvent clandestine sinon méconnue, qui ose la hauteur, ne cherche ni la consolation facile ni le style sans raison, s’incline devant le Destin sans cesser pour autant d’être une « guerre intérieure » : cette littérature-là, Christopher Gérard l’honore par ses écrits, et ici par ses lectures, lesquelles de Ernst Jünger à Gabriel Matzneff et de Michel Déon à André Fraigneau, nous révèlent une autre voie que celle de la soumission ou de l’auto-apitoiement.

     

    Il y a ainsi dans Quolibets (dont le titre vient de l’expression latine originelle, Quod libet, « ce qui plaît »), de nombreux exercices d’admiration pour des écrivains majeurs et de merveilleux passeurs, « éducateurs d'âme» en ce qu’ils enseignent comment se détacher d’une société qui célèbre « le règne des sycophantes et des nouveaux quakers, la lâcheté des élites et la veulerie de la plèbe », comment lutter, en soi-même en premier lieu, contre « l’emprise grandissante de la matière qui, par essence, ravage et divise », comment aimer enfin, c’est-à-dire comment survivre, en cet âge noir qui voit « le déchaînement des forces de dissolution, de la Discorde aux noires prunelles décrite par Empédocle, et la liquéfaction globale de l’homme européen (mais aussi tutsi ou indien) ».

     

    Cette haute conception de la littérature nous emmène à la rencontre de quelques figures tutélaires comme Barbey d’Aurevilly, Drieu La Rochelle ou Stendhal, et nous offre de très belles pages consacrés à des auteurs aussi fulgurants que Guy Dupré, « fils de Mars », ou Dominique de Roux, « ombre fraternelle que l’on salue aux heures de doutes et de déréliction ». Christopher Gérard ne néglige pas pour autant nombre de ses contemporains, tout particulièrement ses compatriotes belges dont il sait goûter l’intense poésie, car sa grande qualité est de savoir demeurer attentif à tout ce qui diffère et à tout ce qui contrarie, c’est-à-dire non pas tant ce qui s’oppose (car le système raffole des obstacles dressés devant lui, les avalant sans peine puisqu’ils se sont érigés à sa mesure) que ce qui déroute ! Ainsi novellistes intrigants, romanciers prometteurs, critiques décalés, poètes secrets ou cinéastes audacieux ont-ils également droit de cité dans ce compendium, avec l’honneur d’être enrôlés à leur tour dans cette prestigieuse « Ligue contre les naufrageurs ».

     

    « Quand redeviendrons-nous homériques ? » se demande l’auteur de La source pérenne, ouvrant son recueil par un hymne à Apollon. Très certainement quand nous saurons créer et célébrer une littérature qui pour reprendre deux vers de cet hymne, « force à voir ce qui est, Clarté salutaire, franche Lumière », loin de l’obscurité moite et mensongère de l’autofiction, des colifichets miroitants du style, de la complaisance des romans pour rien, lesquels dispersent l‘esprit et gauchissent l’âme pour mieux nous livrer pieds et poings liés au Marché.

     

    Christopher Gérard nous donne la belle leçon de vie suivante : la meilleure façon de relever la tête est encore de savoir l’incliner sur certaines pages essentielles. Quolibets y incite avec éclat.

     

     

    Christopher Gérard, Quolibets, L'Age d'Homme, 2013, 223 pages.

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  • LONGUE VIE AU GRAND LIEVRE !

     

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    Dans l’univers étriqué de la chanson française, qui sue sur les rimes et louche sur le voisin, Murat est une sorte de miracle, ce que vient une fois de plus confirmer le dernier album en date, “Grand lièvre”, dont le titre ne reprend pas pour rien le nom d’une espèce en voie de disparition. Avec ses textes exigeants, jamais tire-larmes mais à la nostalgie tenace, Murat c’est l’anti-Aznavour ; avec ses expressions désuètes et ses lapsus anglais, son érotisme païen et son besoin inassouvi de héros, l’improbable croisement entre Ferré et Dylan.

    Si l’on rencontre, au fil de ses albums, « des citrons volages » et de « l’herbe têtue », « un voleur de rhubarbe » ou un « coeur hérissé de tessons », le chanteur n’en prend pas moins acte de ce qu’une partie du surréalisme a fait long feu, récupéré, et de quelle manière,  par l’hydre publicitaire. Son écriture se veut dès lors plus ambitieuse qu’une simple mise en relation de mots rares, qu’une facile mise à l’honneur de rapports incongrus entre les choses, toujours bâties sur les correspondances visuelles et entraînant ainsi pour celui qui les reçoit, passivité et commode mise à distance.C'est cela la tyrannie des images : creuser une froide distance sous l'apparence de la plus conviviale proximité, puisqu'on finit toujours par négliger ce que l'on a reconnu sans effort. Ainsi, plutôt que d’accepter comme tant d’autres le règne de l’optique, qui ne nous permet plus d’appréhender le monde autrement que par son image infiniment diffractée, Murat en développe une vision pluri-sensorielle  où l'on sent, touche et goûte ! En référence à l’haïku de Basho (« Le vieil étang/une grenouille saute dedans/le bruit de l’eau »), Kenneth White, dans Le Plateau de l’Albatros, se demandait pourquoi la plupart des haïku écrits par des Occidentaux sont si ternes, et faisait la réponse suivante : si les grenouilles sont abondantes (c’est-à-dire les images), il y manque le vieil étang, et par conséquent le bruit de l’eau : « il manque le fond, et la prise de contact de l’esprit avec ce fond ». Le bruit de l’eau, on peut le retrouver dans l’entreprise proprement géopoétique de Jean-Louis Murat, géopoétique au sens de son inventeur, Kenneth White, expliquant que ce qu’il nous faut aujourd’hui, « après la poétique des dieux et des mythes, de l’idéal et de la métaphysique, c’est une poétique de l’espace, de la terre, du monde ». Plutôt que se lamenter sur les refuges perdus, ou vanter les aventures prochaines, les chansons de Murat, et tout particulièrement celles de ce dernier album, témoignent de cet élan. Celui qui tente de vous conduire du lieu qui vous fonde à celui que l’on désire. Fidèle au premier mais consumé par le second, avec en retour la morsure, celle du temps et celle de l’Autre, la morsure qui entretient la douleur tout en ravivant le feu.

    « Ce monde, dans lequel je subis ce que je subis, ce monde moderne, enfin, diable ! que voulez-vous que j’y fasse ? » s’exclamait André Breton, dans le premier Manifeste du Surréalisme. En écho, sept décennies plus tard, Jean-Louis Murat dans Le fier amant de la terre assure : « dans ce monde moderne, je ne suis pas chez moi ». Bien sûr aujourd’hui comme hier, défier de ce qui nous enserre fait partie du jeu, mais les mots de Murat, la poésie si forte de ces mots-là, rendent bien inutiles les discussions autour de son style dandy, ses embardées misanthropes ou son cynisme accusé. Murat, c’est un homme qui vit loin de la ville, dans l’ombre changeante et les jardins chaotiques, et qui a développé au fil de chansons plus troublantes les unes que les autres, un rapport à la terre qui passe avant tout par la glorification de ses rythmes, l’errance parmi ses formes, la mélancolie d’une énergie tantôt transmise et tantôt refusée. Jeu élégant avec les mots d’hier, ajout de rires d’enfants, d’expressions en patois ou de chœurs, errance au creux d’histoires d’amour ramifiées (histoires avec des femmes mais aussi avec ses anciennes chansons dont les échos surgissent comme un jeu) : nous sommes bien à l’opposé de l’atomisation libérale, qui voit tant de moi(s) se presser de jérémiades en gâteries, sans se soucier de leur communauté, avide de novlangue universelle sur boîtes à rythmes interchangeables.

     Dans une chanson, il ne s’agit plus de juger ou de se plaindre, juste de se souvenir avant d’envisager ; simplement de se remémorer ce qu’on était, ce qu’on aimait, avant de se lancer à l’assaut d’une nouvelle âme, celle qu’on reforme à l’intérieur de soi après la peine, ou celle qu’on s’en va conquérir chez celle qui, sauf erreur, vous attend. Colliger les noms de villes et de rivières, de collines et de hameaux, d’Auvergne et d’ailleurs, qui dans les titres de ses chansons ou le secret de leurs couplets, composent ces « Terres de France » depuis trente ans, c’est les prendre alors pour ce qu’ils sont : les coutures précises d’un « ruban de mémoire qui se défait », quelque part entre Vaison-la-Romaine et Beaugency, Cabourg et Saint-Malo, Lyon et Genève, Tullière et Sanadoire, Pessade et Courbanges… Dans L’intermède romain, admirable nouvelle de Drieu, le narrateur qui se donnait le nom de « Cœur de lièvre » avouait enfin : « J’étais un lièvre tout seul dans un guéret, plein d’inquiétude vaine, défaillant de la volupté d’être inquiet pour rien (…) Je n’avais besoin que de cela, de cette seule joie, écouter le battement de mon cœur, cette confidence continue de la mort à la vie ». Il semble bien que ce soit cette confidence de la mort à la vie, source de joie grave, qui nous rend si précieux l’art de Jean-Louis Murat.

    (Une version de ce texte est parue dans le n° 41 de la revue Causeur)

     
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  • MELODIE EN SOUS-SOL

    Il y a peu, nous vivions le temps où l'on pouvait se rengorger de posséder la superbe anthologie de littérature érotique de Pauvert (alors que quelques décennies plus tôt, personne ne s'en serait vanté publiquement) mais où il était indécent de mentionner certains noms d'écrivains ou de poètes comme Brasillach. Aujourd'hui, nous vivons le temps où Sade est en Pléiade et où le Journal de Goebbels se vend en supérette. Il reste les révisionnistes (mais nous parlons de littérature) et les pédophiles qui décidément rechignent à se présenter à la barre du Spectacle, quoique Tony Duvert, si je ne m'abuse, a bien été publié aux peu clandestines Editions de Minuit. Il reste encore des auteurs ou des livres cependant, qu'il ne fait pas bon mettre sur le devant de sa bibliothèque. Il est facile de s'en rendre compte lors de la visite de connaissances voire d'amis, ou bien de commentateurs de blogs, comme Damien vient d'en faire l'expérience. Sa réponse est d'ailleurs exemplaire, et je fais d'avance mienne sa conclusion ("Ne craignez pas de tels livres. Méfiez-vous plutôt de votre bonne conscience d'honnête homme").

    Ainsi après le grand provocateur du Café, dont tout un chacun pourra par ailleurs s'instruire de la rigueur d'analyse, et le secret Docteur dont la cave est fort bien achalandée, voici quelques oeuvres des recoins peu corrects de ma bibliothèque :

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    Et puis enfin, mais sans image de couverture pour des raisons purement techniques, ce qui ne manque pas de sel, l'Eloge du con. Défense et illustration du sexe féminin, de Gérard Zwang, aux éditions La Musardine.

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