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gabriel matzneff

  • RAOUL (WALSH), GEORGE (SANDERS), JEAN-PIERRE (MELVILLE) ET LES AUTRES... DANS MATULU

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        Matulu fut, entre 1971 et 1974, durant 30 numéros, un journal culturel détonnant, fondé par Michel Mourlet, quelques années après la disparition de la mythique revue Présence du cinéma. Michel Marmin, qui en fit partie, le décrit comme « un mélange sans complexe de hussardise et de franchouillardise, sur un fond de macmahonisme étendu à toute les créations de l’esprit ». François Kasbi en propose une anthologie qui mérite le détour (Editions de Paris), avant tout parce qu’elle donne le vertige. Quarante plus tard en effet, toutes les inquiétudes dont ce journal se faisait l’écho, se sont confirmées : la littérature agonise à force de fictions faibles et de style exsangue, le théâtre est enlisé dans les lieux communs de prestige, le cinéma ne va guère mieux. L’amnésie surtout, contamine chaque jour davantage une culture réduite à l’applaudissement frénétique de ceux qui font du bruit et la commémoration convenue de ceux qui se sont tus. Dans sa présentation, Kasbi décrit joliment cette aventure éditoriale : « c’est dans les marges précaires, clandestinement d’abord, que l’on invente, que l’on bricole les révolutions, que l’on fomente les coups d’État amoureux. Matulu est une marge, une niche, mais aussi un nid : après Matulu, nombre de ses collaborateurs (Martinet, Lourcelles, Marmin, Eibel, Mourlet, etc.) poursuivront avec succès leur carrières.. avec une dilection marquée pour la discrétion. On les retrouvera ici et là, toujours clandestins, toujours repérés, toujours attendus (ou espérés), guetteurs d’une certaine tradition, garants d’un futur éclairé ».

    La revue étant friande de listes gourmandes, de vagabondages poétiques et d’énumérations singulières, nous nous proposons de donner au lecteur l’envie de se procurer cette somme (434 pages !) à l’aide d’un abécédaire résolument subjectif :

     

    Adhésion

    Refusant tout sectarisme et jugeant un artiste sur la force de son art plutôt que sur les aléas de ses engagements, le journal fut accusé de tous les maux. Dans une mise au point parue dans le n°17, à l’occasion d’un dossier Rebatet, Michel Mourlet  précise que cela «n’implique en aucune façon de la part de Matulu une adhésion aux polémiques de Lucien Rebatet ni la nostalgie d’une époque que, de surcroît, nous n’avons pas vécue ». Mais comment convaincre la masse des critiques connivents, qui bien au contraire, ne vantent une œuvre que s'ils en repèrent l'idéologie ?

    Cinéma français

    A l’occasion de la mort de Jean-Pierre Melville, grand texte de Parvulesco dans le n°21, où il dénonce « ces jeunes larves fatiguées de ne pas être, qui dictent, aujourd’hui, dans le cinéma français, leur loi de subversion et de déchéance avantageuse. » « La morale intime de Melville, ajoute-t-il, est la morale secrète du samouraï, du guerrier mystique pour qui, indifférent quant à l’issue finale de son épreuve, seuls comptent le combat et la lumière invisible de ses armes. » Que rajouter sinon que les larves n’ont toujours pas éclos et que Melville n’a pas d’héritier ?

    Dissidence

    C’est le titre du tout premier éditorial de Mourlet, donnant le ton dès l’ouverture du n°1. L’intelligentsia de l’époque, qui à vrai dire, ne démérite pas devant celle d’aujourd’hui, se voit précisément mise en joue, car la revue déclare accueillir tous ceux qui seront aptes à « flairer à des distances considérables tout relent de snobisme, toute odeur de ridicule, tout parfum de tartuferie, toute effluve de contradiction ou d’absurdité, toute émanation si faible soit-elle de ce conformisme ahuri des élites contemporaines.»

    Hygiénisme

    La subversion portée en sautoir n’en était encore qu’à ses débuts. Bientôt, l’élite des insurgés allait sous couvert de codes bousculés, construire le salubre Empire du Bien. Jean-Pierre Martinet ne s’y était pas trompé, démontant dans le n°4, le pénible Souffle au coeur de Louis Malle : « Malle reste le ‘premier de la classe’, le ‘fort en thème’, et ce n’est pas l’Esprit de Mai, comme dirait ce cher Maurice Clavel, qui arrive à lui donner du génie. Il se veut libérateur, alors qu’il est anodin, tout au plus ‘hygiénique‘. »

    Itinéraire

    Bien plus que pour les gloires passées ou les succès certifiés du présent, les auteurs de Matulu ont un faible pour l’exigeante complexité des itinéraires. Celui, philosophique, littéraire et amoureux de Gabriel Matzneff ne pouvait qu’y être reconnu. L’écrivain lui-même, au n° 7, y revient dans un texte pétillant d’intelligence.

    Littérature

    Jacques Laurent, dans le n°10, déchire le voile universitaire qui recouvre la Littérature. Il y défend une toute autre vision, faisant la part belle au lyrisme, au panache et à la verve : « Je tiens Dumas, tout ‘populaire’ qu’il soit, pour un grand romancier et Camus pour un petit, tout ‘intellectuel’ qu’il se prétende. Nous laissons opérer ces professeurs en toute impunité parce que nous négligeons d’examiner et de critiquer leurs oeuvres. Ils exerceront tranquillement leur tyrannie sur les cerveaux adolescents tant que nous n’aurons pas appris à ces juges absurdes qu’ils risquent d’être jugés. »

    Moines

    En cet âge noir, où tout est méthodiquement dévasté, peut-on croire au retour des moines ? Tels ceux qui autrefois, apparemment à l’écart du monde, ont su transmettre en les calligraphiant les œuvres inestimables de l’Antiquité ? Michel Marmin les espère, mais face à lui, dans un entretien terrible, Montherlant demeure inflexible de pessimisme : « Je suis indigné constamment par le peu que je vois, le peu que je lis, le peu que j’entends du monde extérieur. Un monde que j’écarte de moi le plus possible, sinon je vivrais dans un dégoût continuel ».

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    Odeur

    A rebours des plumes incolores et des enfers aseptisés, Jean Dutourd, dans le n°11 a cet aphorisme : « une oeuvre, cela doit avoir une odeur puissante, comme une maison ou un appartement où on vit depuis longtemps et dont on n’ouvre pas beaucoup les fenêtres. »

    Paradoxe

    Dans sa très belle critique du Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls, Roland Duval dans le n°4, à travers l’estime qu’il porte tout autant au résistant Louis Grave qu’au collaborateur Christian de la Mazière, démontre que ce paradoxe n’est qu’apparent, une même hauteur morale s’y déployant : la fidélité à ce que l’on est. Le premier «  incarne la vraie France (…)  paisible, rurale, indéracinable. L’héroïsme en sabots, d’Arc, mais (lui) a sur son illustre devancière l’avantage de conserver sa belle simplicité et de n’être pas récupéré par le catéchisme ». Le second « revit sa folle aventure avec une telle lucidité et un tel détachement que la Collaboration cesse rétrospectivement d’être haïssable. Voilà une erreur exemplaire, aussi tranquillement assumée que l’héroïsme en sabots, par un homme qui sut aller jusqu’au bout de lui-même, et en revenir. »

    Rebatet

    Les deux étendards, somptueux récit, fut assurément le roman d’une époque, mais cette fois l’expression n’est pas usurpée. Rebatet, dans le n°17, reconnaît en effet son impuissance à récidiver un tel exploit, c’est-à-dire réussir à enfermer son temps, celui des années 60-70, dans une forme qui saurait lui faire rendre gorge : « Je ne suis pas arrivé à cerner ce monde-là. C’est peut-être justement une transposition dans le grotesque pur, dans le monstrueux pur, dans la fable, qui pourrait le cerner. Sur une époque comme la nôtre, il faudrait un bouquin qui corresponde à Pantagruel.»

    Sanders

    Dans le n°5, suite au suicide de George Sanders, acteur qui joua superbement les cyniques désenchantés, Jacques Lourcelles lui rend un hommage vibrant. Il rappelle que Sanders « représenta l’homme sur lequel n’ont aucune prise non seulement les vertus incarnées par les Cooper, Fonda, etc… mais aussi, et à plus forte raison, les images abusives et fabriquées de ces vertus, mises en avant pour asservir et enrégimenter les foules. »

    Transparence

    S’effacer en pleine exaltation spectaculaire, servir la beauté avec modestie plutôt qu’en vanter à hauts cris les ersatz, voilà qui n’est vraiment pas moderne. Cette transparence sur laquelle ne peut que se heurter l’air vicié du temps, cette rigueur qui en remontre au brouillage versicolore, Martinet la débusque, dans un article limpide du n°1, chez le poète vaudois Philippe Jaccottet.

    Valeurs

    Dans le n°3, Roland Duval, scénariste des meilleurs films de Pascal Thomas, en énumère douze pour le moins inactuelles et intempestives, se moquant crûment de celles qu’on voudrait lui imposer : « maintenant que le Travail est un boulet, la Famille une cage, et la Patrie un piège à cons, je ne crois plus à la formule du Maréchal. Et la devise révolutionnaire me paraît bien abstraite aujourd’hui que la Liberté est une fille de joie, l’Egalité la promotion des minables, et la Fraternité un rêve de boy-scout. »

    Zozos

    Lourcelles, dans le n°25 fait un parallèle éclairant entre ce merveilleux film de Pascal Thomas et Walsh : « Quand l’auteur de Marine let’s go évoque ces figures de baroudeurs et ces têtes de lard qui sont parmi ses personnages favoris, on l’entend murmurer : ‘Voilà les types que j’ai connus. Que valaient-ils ? Peut-être qu’ils ne valaient rien. Mais c’étaient les gens les plus sympathiques, les plus vivants du monde. Ils étaient aussi les derniers spécimens de leur race.’ Les Zozos sont à leur façon les arrière-petits-cousins, éloignés par l’âge et la distance, proches par le coeur, de ces ruffians. » Derniers spécimens ? Il est bien probable que l’expression s’applique tout autant aux flamboyants auteurs de ce fameux journal !...

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     (article publié dans le numéro 169 de la revue Eléments)

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  • CONTRE LES NAUFRAGEURS

     

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       Christopher Gérard est un écrivain usant de phrases limpides et de mots qui font mouche, maniant l’ironie élégante sans rien renier d’un romantisme de bon aloi, n’ayant pas le paganisme théâtral et bruyant, mais fondant au contraire sur de solides convictions païennes, un art d’écrire et de lire qui ne succombe jamais à la lâcheté des modes, manière courageuse de rester égaré quand tant d’autres ont trouvé leur file d’attente, leur case, leur comptoir, dont ils ne bougeront plus, enfin réconfortés. Autant dire qu’il n’est pas tout à fait à sa place dans le milieu littéraire d’aujourd’hui. Celui-ci en effet ne sert plus que les intérêts d’une seule caste, comme il le rappelle en préambule de Quolibets, son « journal de lectures » : « hostile à toute quête du divin et allergique à toute verticalité, l’inconscient collectif se trouve ainsi modelé par une caste marchande propulsée au sommet et qui, par un phénomène d’inversion des valeurs, domine sans partage. Il était fatal qu’à la dictature d’une fonction correspondît la littérature exaltant ses idéaux ». Il en est une autre toutefois, souvent clandestine sinon méconnue, qui ose la hauteur, ne cherche ni la consolation facile ni le style sans raison, s’incline devant le Destin sans cesser pour autant d’être une « guerre intérieure » : cette littérature-là, Christopher Gérard l’honore par ses écrits, et ici par ses lectures, lesquelles de Ernst Jünger à Gabriel Matzneff et de Michel Déon à André Fraigneau, nous révèlent une autre voie que celle de la soumission ou de l’auto-apitoiement.

     

    Il y a ainsi dans Quolibets (dont le titre vient de l’expression latine originelle, Quod libet, « ce qui plaît »), de nombreux exercices d’admiration pour des écrivains majeurs et de merveilleux passeurs, « éducateurs d'âme» en ce qu’ils enseignent comment se détacher d’une société qui célèbre « le règne des sycophantes et des nouveaux quakers, la lâcheté des élites et la veulerie de la plèbe », comment lutter, en soi-même en premier lieu, contre « l’emprise grandissante de la matière qui, par essence, ravage et divise », comment aimer enfin, c’est-à-dire comment survivre, en cet âge noir qui voit « le déchaînement des forces de dissolution, de la Discorde aux noires prunelles décrite par Empédocle, et la liquéfaction globale de l’homme européen (mais aussi tutsi ou indien) ».

     

    Cette haute conception de la littérature nous emmène à la rencontre de quelques figures tutélaires comme Barbey d’Aurevilly, Drieu La Rochelle ou Stendhal, et nous offre de très belles pages consacrés à des auteurs aussi fulgurants que Guy Dupré, « fils de Mars », ou Dominique de Roux, « ombre fraternelle que l’on salue aux heures de doutes et de déréliction ». Christopher Gérard ne néglige pas pour autant nombre de ses contemporains, tout particulièrement ses compatriotes belges dont il sait goûter l’intense poésie, car sa grande qualité est de savoir demeurer attentif à tout ce qui diffère et à tout ce qui contrarie, c’est-à-dire non pas tant ce qui s’oppose (car le système raffole des obstacles dressés devant lui, les avalant sans peine puisqu’ils se sont érigés à sa mesure) que ce qui déroute ! Ainsi novellistes intrigants, romanciers prometteurs, critiques décalés, poètes secrets ou cinéastes audacieux ont-ils également droit de cité dans ce compendium, avec l’honneur d’être enrôlés à leur tour dans cette prestigieuse « Ligue contre les naufrageurs ».

     

    « Quand redeviendrons-nous homériques ? » se demande l’auteur de La source pérenne, ouvrant son recueil par un hymne à Apollon. Très certainement quand nous saurons créer et célébrer une littérature qui pour reprendre deux vers de cet hymne, « force à voir ce qui est, Clarté salutaire, franche Lumière », loin de l’obscurité moite et mensongère de l’autofiction, des colifichets miroitants du style, de la complaisance des romans pour rien, lesquels dispersent l‘esprit et gauchissent l’âme pour mieux nous livrer pieds et poings liés au Marché.

     

    Christopher Gérard nous donne la belle leçon de vie suivante : la meilleure façon de relever la tête est encore de savoir l’incliner sur certaines pages essentielles. Quolibets y incite avec éclat.

     

     

    Christopher Gérard, Quolibets, L'Age d'Homme, 2013, 223 pages.

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  • REBELLES

    Quel peut bien être le lien entre Gabriel Matzneff et Julien Gracq, Riccardo Freda et Johnnie To, Jean-Pierre Martinet et Edgar Poe ?

    Leur présence au sein du nouvel Eléments, bien évidemment, dont le dossier est consacré à la floraison ininterrompue de révoltes, à la multiplication miraculeuse des rebelles, c'est-à-dire à l'absence de contestation réelle du système.

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