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  • POUR BERNARD MENEZ !

       

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        Lorsqu’on regarde un film avec Bernard Menez, aussi bien ses chefs d’œuvre (Pleure pas la bouche pleine (1973), Du côté d’Orouët (1973), Le Chaud lapin (1974), Maine Ocean (1986)), que ses navets (Les Charlots mousquetaires (1973), Pas de problème (1975), La Frisée aux lardons (1978)), il arrive toujours un moment où un étonnant transfert s’effectue. Une sorte de collision entre le moment du visionnage et cette époque précise que le comédien incarne ; ce monde d’avant où tout prenait encore un temps fou à s’avouer, où la valse-hésitation du désir et des regrets faisait tanguer. Soudain, nous imaginons Bernard Menez, ce « point culminant d’un certain type français, sans vulgarité ni complaisance », déambuler à nos côtés, effaré et gouailleur, découvrant entre autres désastres, cette immédiateté technique qui a, en si peu de temps, dégradé les rapports humains en routine marchande. Le transfert se révèle alors déflagration, car c’est lui, Menez, qui même au prix de grimaces forcées et de phrases grandiloquentes, démode notre temps. C’est lui, qui par sa diction, ses mains et son visage « d’oncle de province », dénude d’un coup tous les hérauts costumés du monde moderne. Après avoir vu un film avec Bernard Menez, il est ainsi bien difficile de revenir dans le monde d’aujourd’hui sans amertume. Le remarquable petit livre de Richard Millet ose affronter cela. Pour Bernard Menez (Léo Scheer, 2017) met à jour ce pouvoir, car c’en est un, de craqueler, par la seule vérité d’une présence, le vernis de l’époque. Gare alors à la mélancolie…

        Comme dans Le Corps politique de Gérard Depardieu (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Millet pourfend notre temps grâce au parcours d’un acteur sortant du lot. Les digressions y sont d’autant plus magnifiques qu’il s’avère au fil du livre qu’elles n’en sont pas. Tout s’organise en effet autour de « ce corps si français au cœur de notre mémoire menacée par l’hyper-connexion et le renoncement ». Millet énumère comme on se remémore, avec cette verve dans l’affliction qui le caractérise, traitant de la province et de la banlieue, des femmes qu’on peine à oublier, du rire des honnêtes gens face au ricanement bourgeois, de Philippe Noiret, de l’amour des femmes pour le tragique, de l’involution de la condition masculine, réduite aux séducteurs rembarrés et aux pères déclassés, du blé frémissant avant l’orage, des femmes que l’on manque, du « repli sur soi post-identitaire, éthico-narcissique, oeucuménique, dé-territorialisé »….

        Bernard Menez, ce Français moyen, ne signifie rien de moins que « la singularité de l’humain dressée contre l’humanisme bourgeois ». Il n’a pas d’héritiers. C’est-à-dire qu’il n’y a plus d’interprètes capables ainsi, sous le fard, d’être eux-mêmes effrontément (Millet a une très belle phrase à ce sujet : Menez serait ainsi « l’acteur même car seul à être soi sans en jouer »). La raison principale en est la disparition de ce cinéma insolent et fragile, celui qui savait magnifier les présences singulières, et sans rougir, faire preuve de sensibilité. Ce cinéma qui ne connaissait pas la honte, celui de Pascal Thomas ou de Jacques Rozier, Millet le célèbre avec éclat et nous ne pouvons que lui donner raison, révulsé comme lui par la standardisation soucieuse, l’ironie vaniteuse, le chiqué complaisant du cinéma contemporain. Il s’agit bel et bien de défendre les accents de vérité, contre le ton monocorde et dominateur des humoristes de garde comme des moralistes de cour. Convoquant aussi bien ces deux grands cinéastes que d’autres noms tout aussi recommandables, tels Cheyenne Carron, Bruno Dumont ou Hubert Viel, Millet s'enthousiasme pour la « beauté de ce cinéma qui paraît jouer avec l’improvisation et la contingence ». Ce qui unit ces cinématographies apparemment éloignées, c’est bien ce précieux décalage d’avec la norme, cette capacité à faire naître la grâce au détour d’un plan convenu, ce refus de se mêler aux films froids comme une Palme d’or, lesquels traquent sans relâche toute divagation, tant celle-ci risquerait de désarçonner un public gentiment choyé.  

        Combien paraît anachronique, au temps du verbiage hautain, ce cinéma de paroles échangées, de déclamations romantiques et de chuchotis grivois, où « l’oralité dicte aux corps leur étonnante et inquiète liberté » ! Si les films d’aujourd’hui  se retrouvent muets, préférant les phrases creuses noyées sous les  cris de colère feinte  et les bafouillis rigolards, c’est qu’ils ne savent que trop bien que le verbe oblige, et qu’il faut savoir filmer les corps ainsi chargés de sens. Millet ne l’envoie pas dire  : « La langue décide des visages, comme les corps du déploiement de la voix, du surgissement de la poésie, du chant de l’individu, même le plus effacé, oui qui vacille au bord de soi, dans la marchandisation de l’être. C’est pourquoi la majeure partie des films français nous montre des êtres falots, errant parmi leurs songes et les mots d’ordre, comme entre la vie et la mort, des zombies de la précarité ontologique. »

    Pour Bernard Menez !

    Pour Richard Millet !

    Pour le cinéma des instants de grâce et l’implosion des simulacres !

     

    (ce texte a été publié dans le n°167 de la revue Eléments)

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  • RAOUL (WALSH), GEORGE (SANDERS), JEAN-PIERRE (MELVILLE) ET LES AUTRES... DANS MATULU

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        Matulu fut, entre 1971 et 1974, durant 30 numéros, un journal culturel détonnant, fondé par Michel Mourlet, quelques années après la disparition de la mythique revue Présence du cinéma. Michel Marmin, qui en fit partie, le décrit comme « un mélange sans complexe de hussardise et de franchouillardise, sur un fond de macmahonisme étendu à toute les créations de l’esprit ». François Kasbi en propose une anthologie qui mérite le détour (Editions de Paris), avant tout parce qu’elle donne le vertige. Quarante plus tard en effet, toutes les inquiétudes dont ce journal se faisait l’écho, se sont confirmées : la littérature agonise à force de fictions faibles et de style exsangue, le théâtre est enlisé dans les lieux communs de prestige, le cinéma ne va guère mieux. L’amnésie surtout, contamine chaque jour davantage une culture réduite à l’applaudissement frénétique de ceux qui font du bruit et la commémoration convenue de ceux qui se sont tus. Dans sa présentation, Kasbi décrit joliment cette aventure éditoriale : « c’est dans les marges précaires, clandestinement d’abord, que l’on invente, que l’on bricole les révolutions, que l’on fomente les coups d’État amoureux. Matulu est une marge, une niche, mais aussi un nid : après Matulu, nombre de ses collaborateurs (Martinet, Lourcelles, Marmin, Eibel, Mourlet, etc.) poursuivront avec succès leur carrières.. avec une dilection marquée pour la discrétion. On les retrouvera ici et là, toujours clandestins, toujours repérés, toujours attendus (ou espérés), guetteurs d’une certaine tradition, garants d’un futur éclairé ».

    La revue étant friande de listes gourmandes, de vagabondages poétiques et d’énumérations singulières, nous nous proposons de donner au lecteur l’envie de se procurer cette somme (434 pages !) à l’aide d’un abécédaire résolument subjectif :

     

    Adhésion

    Refusant tout sectarisme et jugeant un artiste sur la force de son art plutôt que sur les aléas de ses engagements, le journal fut accusé de tous les maux. Dans une mise au point parue dans le n°17, à l’occasion d’un dossier Rebatet, Michel Mourlet  précise que cela «n’implique en aucune façon de la part de Matulu une adhésion aux polémiques de Lucien Rebatet ni la nostalgie d’une époque que, de surcroît, nous n’avons pas vécue ». Mais comment convaincre la masse des critiques connivents, qui bien au contraire, ne vantent une œuvre que s'ils en repèrent l'idéologie ?

    Cinéma français

    A l’occasion de la mort de Jean-Pierre Melville, grand texte de Parvulesco dans le n°21, où il dénonce « ces jeunes larves fatiguées de ne pas être, qui dictent, aujourd’hui, dans le cinéma français, leur loi de subversion et de déchéance avantageuse. » « La morale intime de Melville, ajoute-t-il, est la morale secrète du samouraï, du guerrier mystique pour qui, indifférent quant à l’issue finale de son épreuve, seuls comptent le combat et la lumière invisible de ses armes. » Que rajouter sinon que les larves n’ont toujours pas éclos et que Melville n’a pas d’héritier ?

    Dissidence

    C’est le titre du tout premier éditorial de Mourlet, donnant le ton dès l’ouverture du n°1. L’intelligentsia de l’époque, qui à vrai dire, ne démérite pas devant celle d’aujourd’hui, se voit précisément mise en joue, car la revue déclare accueillir tous ceux qui seront aptes à « flairer à des distances considérables tout relent de snobisme, toute odeur de ridicule, tout parfum de tartuferie, toute effluve de contradiction ou d’absurdité, toute émanation si faible soit-elle de ce conformisme ahuri des élites contemporaines.»

    Hygiénisme

    La subversion portée en sautoir n’en était encore qu’à ses débuts. Bientôt, l’élite des insurgés allait sous couvert de codes bousculés, construire le salubre Empire du Bien. Jean-Pierre Martinet ne s’y était pas trompé, démontant dans le n°4, le pénible Souffle au coeur de Louis Malle : « Malle reste le ‘premier de la classe’, le ‘fort en thème’, et ce n’est pas l’Esprit de Mai, comme dirait ce cher Maurice Clavel, qui arrive à lui donner du génie. Il se veut libérateur, alors qu’il est anodin, tout au plus ‘hygiénique‘. »

    Itinéraire

    Bien plus que pour les gloires passées ou les succès certifiés du présent, les auteurs de Matulu ont un faible pour l’exigeante complexité des itinéraires. Celui, philosophique, littéraire et amoureux de Gabriel Matzneff ne pouvait qu’y être reconnu. L’écrivain lui-même, au n° 7, y revient dans un texte pétillant d’intelligence.

    Littérature

    Jacques Laurent, dans le n°10, déchire le voile universitaire qui recouvre la Littérature. Il y défend une toute autre vision, faisant la part belle au lyrisme, au panache et à la verve : « Je tiens Dumas, tout ‘populaire’ qu’il soit, pour un grand romancier et Camus pour un petit, tout ‘intellectuel’ qu’il se prétende. Nous laissons opérer ces professeurs en toute impunité parce que nous négligeons d’examiner et de critiquer leurs oeuvres. Ils exerceront tranquillement leur tyrannie sur les cerveaux adolescents tant que nous n’aurons pas appris à ces juges absurdes qu’ils risquent d’être jugés. »

    Moines

    En cet âge noir, où tout est méthodiquement dévasté, peut-on croire au retour des moines ? Tels ceux qui autrefois, apparemment à l’écart du monde, ont su transmettre en les calligraphiant les œuvres inestimables de l’Antiquité ? Michel Marmin les espère, mais face à lui, dans un entretien terrible, Montherlant demeure inflexible de pessimisme : « Je suis indigné constamment par le peu que je vois, le peu que je lis, le peu que j’entends du monde extérieur. Un monde que j’écarte de moi le plus possible, sinon je vivrais dans un dégoût continuel ».

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    Odeur

    A rebours des plumes incolores et des enfers aseptisés, Jean Dutourd, dans le n°11 a cet aphorisme : « une oeuvre, cela doit avoir une odeur puissante, comme une maison ou un appartement où on vit depuis longtemps et dont on n’ouvre pas beaucoup les fenêtres. »

    Paradoxe

    Dans sa très belle critique du Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls, Roland Duval dans le n°4, à travers l’estime qu’il porte tout autant au résistant Louis Grave qu’au collaborateur Christian de la Mazière, démontre que ce paradoxe n’est qu’apparent, une même hauteur morale s’y déployant : la fidélité à ce que l’on est. Le premier «  incarne la vraie France (…)  paisible, rurale, indéracinable. L’héroïsme en sabots, d’Arc, mais (lui) a sur son illustre devancière l’avantage de conserver sa belle simplicité et de n’être pas récupéré par le catéchisme ». Le second « revit sa folle aventure avec une telle lucidité et un tel détachement que la Collaboration cesse rétrospectivement d’être haïssable. Voilà une erreur exemplaire, aussi tranquillement assumée que l’héroïsme en sabots, par un homme qui sut aller jusqu’au bout de lui-même, et en revenir. »

    Rebatet

    Les deux étendards, somptueux récit, fut assurément le roman d’une époque, mais cette fois l’expression n’est pas usurpée. Rebatet, dans le n°17, reconnaît en effet son impuissance à récidiver un tel exploit, c’est-à-dire réussir à enfermer son temps, celui des années 60-70, dans une forme qui saurait lui faire rendre gorge : « Je ne suis pas arrivé à cerner ce monde-là. C’est peut-être justement une transposition dans le grotesque pur, dans le monstrueux pur, dans la fable, qui pourrait le cerner. Sur une époque comme la nôtre, il faudrait un bouquin qui corresponde à Pantagruel.»

    Sanders

    Dans le n°5, suite au suicide de George Sanders, acteur qui joua superbement les cyniques désenchantés, Jacques Lourcelles lui rend un hommage vibrant. Il rappelle que Sanders « représenta l’homme sur lequel n’ont aucune prise non seulement les vertus incarnées par les Cooper, Fonda, etc… mais aussi, et à plus forte raison, les images abusives et fabriquées de ces vertus, mises en avant pour asservir et enrégimenter les foules. »

    Transparence

    S’effacer en pleine exaltation spectaculaire, servir la beauté avec modestie plutôt qu’en vanter à hauts cris les ersatz, voilà qui n’est vraiment pas moderne. Cette transparence sur laquelle ne peut que se heurter l’air vicié du temps, cette rigueur qui en remontre au brouillage versicolore, Martinet la débusque, dans un article limpide du n°1, chez le poète vaudois Philippe Jaccottet.

    Valeurs

    Dans le n°3, Roland Duval, scénariste des meilleurs films de Pascal Thomas, en énumère douze pour le moins inactuelles et intempestives, se moquant crûment de celles qu’on voudrait lui imposer : « maintenant que le Travail est un boulet, la Famille une cage, et la Patrie un piège à cons, je ne crois plus à la formule du Maréchal. Et la devise révolutionnaire me paraît bien abstraite aujourd’hui que la Liberté est une fille de joie, l’Egalité la promotion des minables, et la Fraternité un rêve de boy-scout. »

    Zozos

    Lourcelles, dans le n°25 fait un parallèle éclairant entre ce merveilleux film de Pascal Thomas et Walsh : « Quand l’auteur de Marine let’s go évoque ces figures de baroudeurs et ces têtes de lard qui sont parmi ses personnages favoris, on l’entend murmurer : ‘Voilà les types que j’ai connus. Que valaient-ils ? Peut-être qu’ils ne valaient rien. Mais c’étaient les gens les plus sympathiques, les plus vivants du monde. Ils étaient aussi les derniers spécimens de leur race.’ Les Zozos sont à leur façon les arrière-petits-cousins, éloignés par l’âge et la distance, proches par le coeur, de ces ruffians. » Derniers spécimens ? Il est bien probable que l’expression s’applique tout autant aux flamboyants auteurs de ce fameux journal !...

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     (article publié dans le numéro 169 de la revue Eléments)

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  • CELLES QU'ON N'A PAS EUES (1/8)

    Plutôt que de claironner nos conquêtes (avec un peu de cynisme pour dissimuler la vanité) ou pleurer sur nos amours mortes (la rouerie pointant déjà son nez sous la peine), il faut sans doute un peu d'inconscience pour évoquer, comme dans l'émouvant film de Pascal Thomas, "celles qu'on n'a pas eues".

    Inconscience car parler de l'échec sans en tirer "une leçon de vie pour aller de l'avant", ou au contraire -car les attelages les plus contradictoires tiennent désormais lieu de morale publique- sans se lamenter bruyamment, paraît difficilement audible : battants et victimes, ces Janus face caméra, viennent sans cesse nous donner des conseils ou mauvaise conscience, et nous rappeler d'une même voix qu'une certaine distance n'est tout simplement plus tenable. Evoquer celles-ci cependant, sans crânerie déplacée ni plainte intempestive, peut servir à fixer une dernière fois avant l'oubli ce qui aurait pu avoir lieu, mais qui a fui.

    Voici en quelque sorte notre devoir de mémoire.

    celles qu'on n'a pas eues, pascal thomas, mother of tears, dario argento

    J. avait cette faculté qu'ont les enfants de se croire cachés lorsqu'ils regardent ailleurs. Elle s'absentait ainsi lorsqu'une discussion l'ennuyait ou la mettait mal à l'aise, comme Sarah Mandy qui dans Mother of tears, ce très beau film d'horreur sur l'enfance inconsolable et le pouvoir qui en découle, parvient à disparaître littéralement aux yeux de ses poursuivants lorsqu'elle s'efforce de ne plus penser à rien. J., bien souvent, ne pensait à rien. Elle avait alors ce regard profond qui laissait croire qu'elle avait tout compris de vous. Il était difficile de ne pas chercher en retour à la connaître mieux, mais il n'y avait rien à chercher : J., tout comme Sarah Mandy, se laissait porter par d'indistinctes bribes de drames et de joies inouïs, dont elle ne savait plus démêler la part du rêve, du conte et du souvenir. Il n'était pas question pour elle d'en parler, tout juste de les évoquer mystérieusement, en versant de temps à autre une larme les yeux rieurs. Elle se mit à fréquenter, quelques mois après notre maladroite rencontre, un poète adepte de longues marches qui citait Blanchot dans le texte (il lui avait offert un podomètre) ; j'ignore si leurs randonnées demeuraient silencieuses. Ensuite elle partit pour Vienne et peut-être y vit-elle encore.

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  • MORTS AUX IDIOTS

    Il existe une guerre transversale à la plupart des conflits contemporains, celle qui oppose les intelligents aux sensibles. A l'appui des seconds, si facilement écrasés par les rationnels, les raisonneurs, les experts, tous ceux qui calculent méthodiquement et programment sans scrupules, résistent une certaine littérature et certains films. La Dilettante, de Pascal Thomas, par exemple, revu il y a quelques jours, qui exalte si bien les fidélités anachroniques ; les poèmes de Kenneth White, également, insistant sur des riens, louant de beaux et brefs instants.

    Et puis ce texte de Bruno Deniel-Laurent, intitulé Morts aux idiots, dans le numéro de juin de Causeur, qui n'est malheureusement actuellement accessible en ligne que sur Facebook, mais qui le sera prochainement sur le site de l'auteur, et qui constitue une belle gifle aux intelligents de toute obédience. 

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  • PAYSAGE (S)

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    Il est des films, des livres, des paysages et des individus, que l’on rencontre sans qu’ils aient sur nous la moindre influence consciente : ils glissent, nous parfument ou nous distraient un instant et puis s’en vont. Peut-être à leur manière nous construisent-ils, mais dans ce cas, sans que nous en ayons la moindre intuition. A l’inverse certaines œuvres, certains êtres et certains lieux nous fondent, en toute connaissance de cause, ils sont pour nous, dans une âme et un corps, ce qui marque et constitue. Durant ces vingt dernières années, les dix films français suivants ont réellement modifié (du moins en suis-je intimement persuadé, ce qui ne prouve rien, tant nous sommes aveugles à nous-mêmes) ma façon de comprendre mon passé, d’aborder l’autre et d’envisager l’après ; accessoirement, ils ont aussi transformé ma vision du cinéma, bousculant certaines hiérarchies et en confortant d’autres, me permettant de découvrir des films négligés ou rejetés, mais également de rendre négligeables des films jusque là respectés.

    Quelques jours avec moi, de Claude Sautet (88)

    Les maris les femmes les amants, de Pascal Thomas (89)

    Les patriotes d’Éric Rochant (94)

    Pola X de Léos Carax (99)

    Ainsi soit-il de Gérard Blain (00)

    L'Anglaise et le Duc d’Eric Rohmer (01)

    Éloge de l'amour de Jean-Luc Godard (01)

    Choses secrètes, de Jean-Claude Brisseau (02)

    Le Fils de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne (02)

    Flandres de Bruno Dumont (06)

    Je remercie tous ceux qui se sont pris au jeu et m’ont livré ainsi un pan de leur paysage cinématographique. Les voici, sans ordre particulier, inutile de préciser que cela change des consensus habituels ! (D’ores et déjà, je prie Richard G de me faire à nouveau parvenir sa liste : un souci informatique m’a fait disparaître ces données. Qu’il veuille bien m’excuser).


    Anaximandrake :

    De bruit et de fureur, Jean-Claude Brisseau (1988)
    Van Gogh, Maurice Pialat (1992)
    La Sentinelle, Arnaud Desplechin (1992)
    Les derniers jours d'Emmanuel Kant, Philippe Collin (1994)
    Conte d'été, Eric Rohmer (1996)
    Généalogie d'un crime, Raoul Ruiz (1997)
    Sicilia!, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (1999)
    Les Amants réguliers, Philippe Garrel (2005)
    Cœurs, Alain Resnais (2006)
    Ces rencontres avec eux, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (2006)

    Tlön :

    1) De Bruit et de fureur - Brisseau - 1988
    2) Nouvelle vague - Godard - 1990 (je sais c'est suisse !)
    3) Van Gogh - Pialat - 1991
    4) La Belle Noiseuse - Rivette -1991
    5) La Cérémonie - Chabrol - 1995
    6) La Servante aimante - Douchet - 1997
    7) On connait la chanson - Resnais - 1998
    8) Esther Khan - Desplechin - 2000
    9) La série des contes (hiver, printemps, été, automne) - Rohmer (je sais il y en a 4 !)
    10) De battre mon coeur s'est arrêté - Audiard - 2005

    Les outsiders :

    Les Patriotes - Rochant - 1994
    A ma soeur - Breillat - 1998
    St Cyr - Mazuy - 2000
    Ressources humaines - Cantet - 2000
    L'Anglaise et le Duc - Rohmer - 2001
    10 éme chambre - Depardon - 2004
    OSS 117. Le Caire nid d'espion - Hazanavicius – 2006


    Sébastien Carpentier :

    1 - Claude Sautet - Un cœur en hiver (1991)
    2 - Peter Watkins - La Commune (1999-2007)
    3 - Abdellatif Kechiche - La graine et le mulet (2007)
    4 - Jean-Claude Rappeneau - Cyrano de Bergerac (1990)
    5 - Michael Haneke - Caché (2005)
    6 - Laurent Cantet - Ressources humaines (1999)
    7 - Michel Deville - La maladie de Sachs (1999)
    8 - Krzysztof Kieslowski - La double vie de Véronique (1991)
    9 - Jacques Rivette - Ne touchez pas la hache (2007)
    10 - Jose Luis Guerin - Dans la ville de Sylvia (2008)

    On objectera peut-être que ni Watkins, ni Haneke, ni Kieslowski, ni Guerin ne sont français… Aussi rajoutè-je les films suivants en queue de liste :

    11 - Tony Gatlif - Gadjo dilo (1998)
    12 - André Téchiné - Loin (2001)
    13 - Robert Guédiguian - Le promeneur du Champ-de-Mars (2005)
    14 - Emmanuel Mouret - Un baiser s'il vous plaît (2007)

    Et comme je suis frustré de n'avoir pu faire figurer en bonne place la Promesse des Dardenne du fait de leur belgitude, je me console en rajoutant (hors compétition) un documentaire :

    HC - Raymond Depardon - 10ème Chambre, instants d'audience (2004)


    Damien:

    Histoire(s) du cinéma" (Jean-Luc Godard)
    (chef d'oeuvre incontestable, mais comme JLG est suisse et qu'il ne s'agit pas exactement d'un film, est-ce que c'est valable ?)

    "Y aura-t-il de la neige à noël ?" (Sandrine Veysset)
    (la plus belle réussite, à ma connaissance, d'un cinéma réaliste tout entier dévoué à capter l'humain dans sa vérité)

    "L'anglaise et le duc" (Eric Rohmer)
    (très grand film historique, et jamais les nouvelles techniques de l'image n'ont été aussi bien utilisées pour reconstituer une époque)

    "Esther Kahn" (Arnaud Desplechin)
    (l'un des plus beaux films sur le théâtre et l'art de l'acteur)

    "Van Gogh" (Maurice Pialat)
    (simple et bouleversant, contre tous les clichés attendus et tous les pièges biographiques)

    "Ridicule" (Patrice Leconte)
    (oui oui, les cinéphiles peuvent aboyer, oui Leconte est un tâcheron, mais ce film restera pour la grâce des acteurs et l'excellence des dialogues de Remi Waterhouse, dans la lignée d'un cinéma très verbal : Duvivier, Carné-Prévert, etc.)

    "OSS 117 : Le Caire, nid d'espion "(Michel Hazanavicius)
    (tout simplement la meilleure comédie française de ces 20 dernières années)

    "Urgences" (Raymond Depardon)
    (Il faut au moins un documentaire dans cette liste. C'est celui-ci qui m'a le plus marqué)

    "Huit femmes" (François Ozon)
    (subtil, ironique, décalé, un grand film sur le mirage des apparences et les rapports de pouvoir, entre autres)

    Trouble every day (Claire Denis)
    (un des films les plus flippants que j'aie vus, ce qui est très rare dans le cinéma français)


    Skoteinos :

    Van Gogh, de Maurice Pialat
    Le garçu de Maurice Pialat
    L'Enfer de Claude Chabrol
    La Cérémonie de Claude Chabrol
    Betty de Claude Chabrol

    Dans les commentaires de la note précédente (Paysage), figurent les listes de Préau, d'Arnaud, de Jérôme, du Dr Orlof..
    Dans les commentaires de celle-ci, figure celle d'Isabelle, de Polyphème, d'Hyppogriffe, de Jacques Sicard, et de Montalte.

    Sur leur blog figurent ce matin, celles de Joachim, d'Edisdead, de Talmont et de Vincent.

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    Après avoir longuement parcouru ces divers palmarès, je me garderais bien d'en établir une quelconque synthèse, leur diversité prouvant justement, loin des consensus et des compromis, que l'hétérogénéité du cinéma français en est sa principale force. Je peux sans doute me tromper, mais je persiste à penser qu'une telle liste pour le cinéma américain ou asiatique, comme cela été soulevé dans les commentaires, comporterait beaucoup plus de films communs entre les participants ; tant qu'un tel questionnaire toutefois n'aura pas été soumis, ceci peut ressembler à une assertion gratuite.

    On pourra noter que le cinéaste le plus cité, et pour des films divers selon les intervenants, est Eric Rohmer, mais qu'Arnaud Desplechin n'est pas loin derrière, que Chabrol/Rivette/Resnais demeurent des valeurs sûres. Je suis heureux de voir la fortune de malaimés comme Léos Carax ou Bruno Dumont, plusieurs fois cités, et la très faible représentation de la mouvance tant acclamée, Assayas/Ozon/Honoré/Klapisch, cinéastes que je réunis peut-être arbitrairement ici, mais qui me semblent développer une démarche commune de "vouloir dire " et d'"à la manière de". L'impressionnante cohérence des univers de Brisseau ou de Guédiguian a ses admirateurs, mais il me semble être le seul à citer Gérard Blain et nous ne sommes que deux à penser à Pascal Thomas. Quant à Blier ou Corneau, ils sont aux abonnés absents, de même que la quasi-totalité des cinéastes féminins si l'on excepte Catherine Breillat. Enfin, les documentaires de Depardon sont plusieurs fois mentionnés.

    La richesse d'une telle confrontation de points de vue m'a en revanche rasséréné, ne serait-ce que parce que dans chacune de ces listes, un film m'est à chaque fois inconnu, et qu'il est à présent temps de les voir.

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