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jean-claude brisseau

  • QUE LE DIABLE NOUS EMPORTE

     

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    Dans le cinéma français d’aujourd’hui, l’érotisme traverse une bien mauvais passe. La représentation de la sexualité se devant de remplir un certain nombre de critères acceptables par l’idéologie dominante, le spectateur n’est plus assailli que par des images didactiques, par conséquent inoffensives. Dans ce contexte asphyxiant, le cinéma prodigieusement libre de Jean-Claude Brisseau s’avère inespéré. Son dernier film, sorti un court moment dans quelques salles l’an dernier, Que le diable nous emporte, est une petite merveille d’autant plus précieuse qu’il faut une certaine obstination pour la dénicher sur la Toile... Le cinéphile persévérant découvrira une œuvre poétique d’une audace bien inactuelle, qui plus est non dénuée d’humour.

    A travers les chassés-croisés sentimentaux de trois femmes, le film propose un conte initiatique délicatement amoral, en ce sens qu’il se révèle absolument étranger aux vertus cardinales de l’époque, redonnant à la nudité, au désir, à l'union sexuelle, de la manière la plus littérale qui soit, leur dimension sacrée. Plus troublant encore pour notre époque de puritanisme pornographique, la logique augustinienne, assumée par Brisseau, du « Aime et fais ce que voudras », est brillamment mise à l’honneur, s'opposant de manière frontale à un cinéma qui ne sait plus montrer que l'envie ou la manipulation - à défaut d'amour- entre personnages, et qui célèbre moins leur volonté souveraine, qu'une soumission placide à quantité de déterminismes de classe et de caste jamais interrogés. Chez Brisseau, le monde intérieur exulte.

    Ce propos subversif est notamment servi par Fabienne Babe qui trente ans après le magistral De bruit et de fureur, retrouve avec éclat le réalisateur.

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  • 29

    A en croire la plupart des articles sur la question, l'intelligence serait caractérisée par la faculté de s'adapter aux situations nouvelles : l'idéologie du Progrès est décidément la plus tenace de toutes.

    Le lien entre De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau et Les Amants du Pont-Neuf de Carax, ce n'est pas juste l'exceptionnelle attention portée aux âmes en peine, c'est aussi cette bouleversante stylisation de la rage, ce sanglot monstrueux qui par politesse, se retient jusqu'à la grimace.

    Sur le site de promotion Ring (après le prophète Dantec, le messie Houellebecq, si le poisson change, la sauce reste la même), Marin de Viry insulte Nabe (dans un texte intitulé Extrême Crétin) parce que celui-ci a laissé entendre qu'il s'était fait "rouler dans la farine" par l'auteur de "La Carte et le territoire". Je crois qu'il y a moins manipulation dans tout cela qu'échange de bons procédés. Ainsi une bannière publicitaire sur le Ring rapporte-t-elle une phrase de Houellebecq vantant le dernier livre, ampoulé et longuet, de de Viry : depuis que j'ai lu "Le matin des abrutis", je me sens mieux. C'était bien la peine d'aller si mal si c'est pour guérir de la sorte.

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  • PAYSAGE (S)

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    Il est des films, des livres, des paysages et des individus, que l’on rencontre sans qu’ils aient sur nous la moindre influence consciente : ils glissent, nous parfument ou nous distraient un instant et puis s’en vont. Peut-être à leur manière nous construisent-ils, mais dans ce cas, sans que nous en ayons la moindre intuition. A l’inverse certaines œuvres, certains êtres et certains lieux nous fondent, en toute connaissance de cause, ils sont pour nous, dans une âme et un corps, ce qui marque et constitue. Durant ces vingt dernières années, les dix films français suivants ont réellement modifié (du moins en suis-je intimement persuadé, ce qui ne prouve rien, tant nous sommes aveugles à nous-mêmes) ma façon de comprendre mon passé, d’aborder l’autre et d’envisager l’après ; accessoirement, ils ont aussi transformé ma vision du cinéma, bousculant certaines hiérarchies et en confortant d’autres, me permettant de découvrir des films négligés ou rejetés, mais également de rendre négligeables des films jusque là respectés.

    Quelques jours avec moi, de Claude Sautet (88)

    Les maris les femmes les amants, de Pascal Thomas (89)

    Les patriotes d’Éric Rochant (94)

    Pola X de Léos Carax (99)

    Ainsi soit-il de Gérard Blain (00)

    L'Anglaise et le Duc d’Eric Rohmer (01)

    Éloge de l'amour de Jean-Luc Godard (01)

    Choses secrètes, de Jean-Claude Brisseau (02)

    Le Fils de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne (02)

    Flandres de Bruno Dumont (06)

    Je remercie tous ceux qui se sont pris au jeu et m’ont livré ainsi un pan de leur paysage cinématographique. Les voici, sans ordre particulier, inutile de préciser que cela change des consensus habituels ! (D’ores et déjà, je prie Richard G de me faire à nouveau parvenir sa liste : un souci informatique m’a fait disparaître ces données. Qu’il veuille bien m’excuser).


    Anaximandrake :

    De bruit et de fureur, Jean-Claude Brisseau (1988)
    Van Gogh, Maurice Pialat (1992)
    La Sentinelle, Arnaud Desplechin (1992)
    Les derniers jours d'Emmanuel Kant, Philippe Collin (1994)
    Conte d'été, Eric Rohmer (1996)
    Généalogie d'un crime, Raoul Ruiz (1997)
    Sicilia!, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (1999)
    Les Amants réguliers, Philippe Garrel (2005)
    Cœurs, Alain Resnais (2006)
    Ces rencontres avec eux, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (2006)

    Tlön :

    1) De Bruit et de fureur - Brisseau - 1988
    2) Nouvelle vague - Godard - 1990 (je sais c'est suisse !)
    3) Van Gogh - Pialat - 1991
    4) La Belle Noiseuse - Rivette -1991
    5) La Cérémonie - Chabrol - 1995
    6) La Servante aimante - Douchet - 1997
    7) On connait la chanson - Resnais - 1998
    8) Esther Khan - Desplechin - 2000
    9) La série des contes (hiver, printemps, été, automne) - Rohmer (je sais il y en a 4 !)
    10) De battre mon coeur s'est arrêté - Audiard - 2005

    Les outsiders :

    Les Patriotes - Rochant - 1994
    A ma soeur - Breillat - 1998
    St Cyr - Mazuy - 2000
    Ressources humaines - Cantet - 2000
    L'Anglaise et le Duc - Rohmer - 2001
    10 éme chambre - Depardon - 2004
    OSS 117. Le Caire nid d'espion - Hazanavicius – 2006


    Sébastien Carpentier :

    1 - Claude Sautet - Un cœur en hiver (1991)
    2 - Peter Watkins - La Commune (1999-2007)
    3 - Abdellatif Kechiche - La graine et le mulet (2007)
    4 - Jean-Claude Rappeneau - Cyrano de Bergerac (1990)
    5 - Michael Haneke - Caché (2005)
    6 - Laurent Cantet - Ressources humaines (1999)
    7 - Michel Deville - La maladie de Sachs (1999)
    8 - Krzysztof Kieslowski - La double vie de Véronique (1991)
    9 - Jacques Rivette - Ne touchez pas la hache (2007)
    10 - Jose Luis Guerin - Dans la ville de Sylvia (2008)

    On objectera peut-être que ni Watkins, ni Haneke, ni Kieslowski, ni Guerin ne sont français… Aussi rajoutè-je les films suivants en queue de liste :

    11 - Tony Gatlif - Gadjo dilo (1998)
    12 - André Téchiné - Loin (2001)
    13 - Robert Guédiguian - Le promeneur du Champ-de-Mars (2005)
    14 - Emmanuel Mouret - Un baiser s'il vous plaît (2007)

    Et comme je suis frustré de n'avoir pu faire figurer en bonne place la Promesse des Dardenne du fait de leur belgitude, je me console en rajoutant (hors compétition) un documentaire :

    HC - Raymond Depardon - 10ème Chambre, instants d'audience (2004)


    Damien:

    Histoire(s) du cinéma" (Jean-Luc Godard)
    (chef d'oeuvre incontestable, mais comme JLG est suisse et qu'il ne s'agit pas exactement d'un film, est-ce que c'est valable ?)

    "Y aura-t-il de la neige à noël ?" (Sandrine Veysset)
    (la plus belle réussite, à ma connaissance, d'un cinéma réaliste tout entier dévoué à capter l'humain dans sa vérité)

    "L'anglaise et le duc" (Eric Rohmer)
    (très grand film historique, et jamais les nouvelles techniques de l'image n'ont été aussi bien utilisées pour reconstituer une époque)

    "Esther Kahn" (Arnaud Desplechin)
    (l'un des plus beaux films sur le théâtre et l'art de l'acteur)

    "Van Gogh" (Maurice Pialat)
    (simple et bouleversant, contre tous les clichés attendus et tous les pièges biographiques)

    "Ridicule" (Patrice Leconte)
    (oui oui, les cinéphiles peuvent aboyer, oui Leconte est un tâcheron, mais ce film restera pour la grâce des acteurs et l'excellence des dialogues de Remi Waterhouse, dans la lignée d'un cinéma très verbal : Duvivier, Carné-Prévert, etc.)

    "OSS 117 : Le Caire, nid d'espion "(Michel Hazanavicius)
    (tout simplement la meilleure comédie française de ces 20 dernières années)

    "Urgences" (Raymond Depardon)
    (Il faut au moins un documentaire dans cette liste. C'est celui-ci qui m'a le plus marqué)

    "Huit femmes" (François Ozon)
    (subtil, ironique, décalé, un grand film sur le mirage des apparences et les rapports de pouvoir, entre autres)

    Trouble every day (Claire Denis)
    (un des films les plus flippants que j'aie vus, ce qui est très rare dans le cinéma français)


    Skoteinos :

    Van Gogh, de Maurice Pialat
    Le garçu de Maurice Pialat
    L'Enfer de Claude Chabrol
    La Cérémonie de Claude Chabrol
    Betty de Claude Chabrol

    Dans les commentaires de la note précédente (Paysage), figurent les listes de Préau, d'Arnaud, de Jérôme, du Dr Orlof..
    Dans les commentaires de celle-ci, figure celle d'Isabelle, de Polyphème, d'Hyppogriffe, de Jacques Sicard, et de Montalte.

    Sur leur blog figurent ce matin, celles de Joachim, d'Edisdead, de Talmont et de Vincent.

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    Après avoir longuement parcouru ces divers palmarès, je me garderais bien d'en établir une quelconque synthèse, leur diversité prouvant justement, loin des consensus et des compromis, que l'hétérogénéité du cinéma français en est sa principale force. Je peux sans doute me tromper, mais je persiste à penser qu'une telle liste pour le cinéma américain ou asiatique, comme cela été soulevé dans les commentaires, comporterait beaucoup plus de films communs entre les participants ; tant qu'un tel questionnaire toutefois n'aura pas été soumis, ceci peut ressembler à une assertion gratuite.

    On pourra noter que le cinéaste le plus cité, et pour des films divers selon les intervenants, est Eric Rohmer, mais qu'Arnaud Desplechin n'est pas loin derrière, que Chabrol/Rivette/Resnais demeurent des valeurs sûres. Je suis heureux de voir la fortune de malaimés comme Léos Carax ou Bruno Dumont, plusieurs fois cités, et la très faible représentation de la mouvance tant acclamée, Assayas/Ozon/Honoré/Klapisch, cinéastes que je réunis peut-être arbitrairement ici, mais qui me semblent développer une démarche commune de "vouloir dire " et d'"à la manière de". L'impressionnante cohérence des univers de Brisseau ou de Guédiguian a ses admirateurs, mais il me semble être le seul à citer Gérard Blain et nous ne sommes que deux à penser à Pascal Thomas. Quant à Blier ou Corneau, ils sont aux abonnés absents, de même que la quasi-totalité des cinéastes féminins si l'on excepte Catherine Breillat. Enfin, les documentaires de Depardon sont plusieurs fois mentionnés.

    La richesse d'une telle confrontation de points de vue m'a en revanche rasséréné, ne serait-ce que parce que dans chacune de ces listes, un film m'est à chaque fois inconnu, et qu'il est à présent temps de les voir.

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