Comment affronter un cinéma qui n'offre plus de prises ? L'insulter comme s'y fondre en douce, ne le met jamais en défaut, mais au contraire le renforce. Peut-être est-il encore possible, cependant, de s'en extraire en se fiant à tout ce qu'il ne contrôle plus, puisqu'il le singe. Loin des Modernes revenus de tout sans être allés nulle part, et tournant en rond dans le confort de leurs mises en abyme terminales, c'est peut-être l'émotion (excessive, déplacée, sidérante, tant elle pousse au crime et aux pleurs) qui offre encore ce salut.
léos carax
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MODERNITE (3)
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PARLOIRS
Dans les parloirs de cinéma,la grille qui sépare est une telle métaphore que les larmes montent aux yeux. Caresses furtives et promesses insensées, regards plantés qui ne cillent même plus, le gardien passe sans un mot.
L'autre toujours trop loin, même au cœur de l'étreinte, même au creux des souvenirs mêlés. L'autre qu'on n'a jamais vraiment rencontré. Le champ/contrechamp qui s'éternise ou s'emballe, des chuchotis sans conséquences, un dialogue pour la forme. Le silence depuis longtemps.
Un parloir où il n'y a rien à dire, où non seulement tout est joué d'avance, mais où il n'est même plus permis d'en rire. La prison d'un visage, de pommettes un peu trop hautes, de lèvres dessinées. Les mains crispées comme avant un coup, ou comme s'il était temps de regretter.
Et le gardien, comme un balancier.
Presqu'à la fin du Trou de Jacques Becker, cette rencontre entre Marc Michel et Catherine Spaak, dont c'est le tout premier rôle :
"J'ai envie, Nicole, si tu savais comme j'ai envie."
"Quand tu sortiras... On pourra."
"Toi aussi, tu en as envie ?"
Et elle, plus lasse qu'indignée, venant mettre un terme à la discussion : "Tu es bien curieux..."
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VIVRE SA VIE
Pour appréhender l'oeuvre de Godard, rien de mieux en somme que d'en suivre la chronologie. Le spectateur d'Eloge de l'amour ou de Notre musique, sans doute les deux plus beaux poèmes godardiens de ces dernières années, risque d'être décontenancé s'il n'a pas en tête l'évolution d'un cinéaste ayant toujours cherché, quasi-désespérément, à rester précis malgré les déconstructions qu'il faisait mine d'encenser (pour mieux les désarmer), à demeurer innocent en dépit des diverses pressions politiques et esthétiques qu'il eut à subir (avec lesquelles il ne cessa de jouer). La force du plan chez Godard, tient avant tout à la manière avec laquelle ceux qui le précèdent et ceux qui le suivent, l'entourent, c'est-à-dire l'exhaussent tout en l'utilisant. Il y a chez lui cette quête de l'harmonie classique, nécessité d'insertion des formes dans une chaîne de succession rigoureuse. Après les déstructurations de la modernité, il s'agit de recommencer à voir sans ludisme manipulateur, à étudier le monde en ses fracas sans jamais renoncer à la rigueur d'un langage. Les héros godardiens bafouillent, marmonnent ou pontifient, sans aucun doute, mais la mise en scène, exprimée sans affèteries inutiles, n'est jamais indistincte : pas un plan qui n'ait sa place ni une séquence sa cohérence formelle.
Ce classicisme, autrement dit cette recherche toujours plus poussée d'un rapport de sens entre les formes (plutôt que la jouissance de leurs conflagrations) n'a jamais été aussi évident que dans la période de ses récits linéaires, mais on peut tout aussi bien la mettre à jour dans ses films plus récents, à la diégèse émiettée. Vivre sa vie appartient bien sûr à la première époque, et c'est avec une grande émotion que l'on prend acte aujourd'hui de ce que l'on pourrait appeler sa rigueur lyrique. Ce silencieux commerce des âmes et des corps dans le marasme d'une ville agitée n'est rien d'autre que la chronique d'une mort annoncée, celle de la prostituée Nana (Anna Karina) bien sûr, celle d'une certaine idée des relations humaines également (non pas d'avant le profit, mais d'avant son incessante célébration), celle du couple Godard-Karina enfin, qui se délite davantage encore, nous semble-t-il, que dans Pierrot le fou tourné trois ans plus tard, ne serait-ce qu'en raison de ces regard-caméras d'autant plus cruels qu'ils sont mensongers.
Vivre sa vie est à la fois un réquisitoire contre l'anomie moderne et une ode à la liberté féminine, liberté tragique comme il se doit. La coupe de cheveux de Nana la métamorphose en héritière de Loulou (Louise Brooks), cette autre victime de l'amour multiple, qui chez Pabst, souriait presque jusqu'au bout, et en grande soeur d'Anna (Juliette Binoche), qui devant Carax vingt-quatre ans plus tard, incarnera aussi cette lueur inespérée dans la pénombre des rixes promues et des règles effacées.
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PRESENTATION
C’est bien sous l’assaut des images les plus disparates, sous leur collision flamboyante comme leur énumération hypnotique, que le nihilisme contemporain est le plus à son aise, acceptant dans son relativisme absolu de faire allégeance à tout ce qui bat en brèche hiérarchies et structures, jouissant de la prolifération des signes irreliés. En réaction, les nouveaux discours idéologiques reposent sur la méfiance envers le culte des images sans lien, culte qui ne sert au bout du compte que la consommation de masse, et s’interdisent de penser le cinéma autrement qu’en se servant des films selon leur premier degré de lecture - à savoir leur scénario -, se passant donc aisément, pour appuyer leurs démonstrations, de leur vision réelle.
Il s’agit là des conséquences apparemment opposées d’une même «esthétique de fascination», pour reprendre l’expression de Raymond Abellio, qui engendre autant l’envoûtement enthousiaste que l’iconoclasme puritain, puisqu’elle sert une conception de l’art cinématographique dualiste, basée sur l’illusion d’un sujet extérieur à l’objet filmique (et donc autant amené à s’y soumettre qu’à le juger) quand il nous paraît au contraire important d’envisager la perception d’un film (à l’instar de celle du monde), comme le lieu d’une interdépendance où les images nous secondent dans leur progressif dépassement. À l'image du caméléopard inventé par Poe, que Charles Hirsch dans le Cahier de l'Herne consacré à Abellio identifie comme «un être dont les mouvances de formes et de couleurs s'enlèvent toujours, en dépit de leur apparente incohérence, sur la même et unique trame: la diversité du caméléon se fondant dans l'unité du léopard », sachant que celui-ci est doté d'une tête d'homme, ce qui suppose «une conscience propre à saisir l'unité de structure sous la multiplicité des formes».
Identifier la trame sous les motifs sans pour autant négliger ces derniers, voilà l’ambition de ce deuxième volet du Bréviaire de cinéphilie dissidente, qui s'emploie à célébrer l'antimodernité de Léos Carax ou la quête identitaire de Robert Guédiguian, dénoncer le conformisme de Klotz ou celui de Des Pallières, relier un plan du Plaisir d'Ophuls à son écho chez Antonioni, le Diable rencontré chez John Carpenter au Magicien du pays d'Oz, Calme Blanc à Titanic, c'est-à-dire refuser les films du vertige et du regard capté de force, au profit d'un cinéma de participation où le temps est enfin rendu, cinéma qui nous comprend puisque nous l'habitons.
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Tout comme la neige n'est que de la boue cachée aux regards, je sais bien que ceux qui ne cessent de sourire me montrent les dents.
Je me souviens que Marc Esposito, du temps où il était patron de Studio Magazine, en avait beaucoup voulu à Léos Carax d'avoir "enlaidi" Juliette Binoche pour Les Amants du Pont-Neuf... On ne peut assurément lui faire le même reproche : dans son Coeur des hommes, les tee-shirts et les blazers sont sciemment magnifiés.
Sur Causeur, quelques mots pour rendre hommage à Parvulesco.
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A en croire la plupart des articles sur la question, l'intelligence serait caractérisée par la faculté de s'adapter aux situations nouvelles : l'idéologie du Progrès est décidément la plus tenace de toutes.
Le lien entre De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau et Les Amants du Pont-Neuf de Carax, ce n'est pas juste l'exceptionnelle attention portée aux âmes en peine, c'est aussi cette bouleversante stylisation de la rage, ce sanglot monstrueux qui par politesse, se retient jusqu'à la grimace.
Sur le site de promotion Ring (après le prophète Dantec, le messie Houellebecq, si le poisson change, la sauce reste la même), Marin de Viry insulte Nabe (dans un texte intitulé Extrême Crétin) parce que celui-ci a laissé entendre qu'il s'était fait "rouler dans la farine" par l'auteur de "La Carte et le territoire". Je crois qu'il y a moins manipulation dans tout cela qu'échange de bons procédés. Ainsi une bannière publicitaire sur le Ring rapporte-t-elle une phrase de Houellebecq vantant le dernier livre, ampoulé et longuet, de de Viry : depuis que j'ai lu "Le matin des abrutis", je me sens mieux. C'était bien la peine d'aller si mal si c'est pour guérir de la sorte.
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QUESTIONNAIRE
C'est chez Vincent que j'ai trouvé cet astucieux questionnaire auquel je m'empresse de donner suite !
1)Quel est votre second film favori de Stanley Kubrick ?
Lolita (La perversité mélancolique de Shelley Winters, l’affolement progressif de James Mason, l’effrayant bien que prévisible final)
2)Quelle est l'innovation la plus significative / importante / intéressante dans le cinéma de la dernière décade (pour le meilleur ou pour le pire) ?
Les plan-séquences métaphysiques de Bela Tarr.
3)Bronco Billy (Clint Eastwood) ou Buffalo Bill Cody (Paul Newman)?
Une courte préférence pour Paul Newman, sans raison valable
4)Meilleur film de 1949.
Le sang des bêtes, de Georges Franju, pour sa modernité glaçante.
5)Joseph Tura (Jack Benny) ou Oscar Jaffe (John Barrymore)?
Le premier d’entre eux, pour l’humour définitivement obsolète qu’il incarne.
6)Le style de mise en scène caméra au poing et cadre tremblé est-il devenu un cliché visuel ?
Uniquement lorsqu’il est utilisé pour mettre en scène des clichés narratifs.
7)Quel est le premier film en langue étrangère que vous ayez vu ?
Mad Max 2, en 1982, qui m’était interdit en raison d’une décapitation. Le devoir de désobéissance de l’adolescence entraîne un certain nombre de déconvenues esthétiques.
8)Charlie Chan (Warner Oland) ou Mr. Moto (Peter Lorre)?
Peter Lorre, par principe.
9)Citez votre film traitant de la seconde guerre mondiale préféré (période 1950-1970).
Les douze salopards, de Robert Aldrich (le film symboliste le plus trivial qui soit, et réciproquement)
10)Citez votre animal préféré dans un film.
Le Bull-Terrier Baxter m’avait bien plu à l’époque (1989), dans l’intelligent film de Jérôme Boivin qui semble avoir disparu.
11)Qui ou quelqu'en soit le fautif, citez un moment irresponsable dans le cinéma.
Le cinéma ne doit surtout pas être responsable.
12)Meilleur film de 1969.
La horde sauvage, de Sam Peckinpah, pour son antimodernité grinçante.13)Dernier film vu en salles, et en DVD ou Blu-ray.
La saison 2 des Soprano (dvd)
14)Quel est votre second film favori de Robert Altman ?
Streamers (1984) (Le plus grand film américain sur le Vietnam ?)15)Quelle est votre source indépendante et favorite pour lire sur le cinéma, imprimé ou en ligne ?
Les liens ci-contre, le dictionnaire de Jacques Lourcelles, la plume oubliée de critiques d’un autre âge (chez les bouquinistes)
16)Qui gagne ? Angela Mao ou Meiko Kaji ?
Absolument aucune idéé
17) Mona Lisa Vito (Marisa Tomei) ou Olive Neal (Jennifer Tilly)?
Le choix ne s’impose pas. Actrices très secondaires.
18)Citez votre film favori incluant une scène ou un décor de fête foraine.
Difficile d’oublier la séquence de Ministry of Fear de Lang, tournée en mémoire de M
19)Quel est à aujourd'hui la meilleure utilisation de la video haute-definition sur grand écran ?
L’Anglaise et le Duc, d’Eric Rohmer
20)Citez votre film favori qui soit à la fois un film de genre et une déconstruction ou un hommage à ce même genre.
Blood simple (Joel et Ethan Coen, 1984).
21)Meilleur film de 1979.
All that jazz, de Bob Fosse (son plus grand film et la plus belle prévision de la débandade de toute la décennie suivante)
22)Quelle est la plus réaliste / Sincère description de la vie d'une petite ville dans un film ?
Raining stones, 1993 (C’est la banlieue de Manchester, mais c'est bien une petite ville devant la caméra communautaire du très grand Ken Loach).
23)Citez la meilleure créature dans un film d'horreur (à l'exception de monstres géants).
L’orang-outang sans trucage de Link (Richard Franklin, 1986)
24)Quel est votre second film favori de Francis Ford Coppola ?
Peggy Sue got married, 1987 (son immense nostalgie contenue)
25)Citez un film qui aurait pu engendrer une franchise dont vous auriez eu envie de voir les épisodes.
Judex, de Georges Franju.26)Votre séquence favorite d'un film de Brian De Palma.
Le plan-séquence inaugural de The Bonfire of vanities, résumé définitif de la vacuité esthétique et morale de la fin du XXème siècle.
27)Citez votre moment préféré en Technicolor.
Pratiquement tous les plans du Narcisse noir, de Michael Powell (1947)
28)Votre film signé Alan Smithee préféré.
Jamais vu aucun.
29)Crash Davis (Kevin Costner) ou Morris Buttermaker (Walter Matthau)?
Films non vus. Kevin Costner sans raison valable.
30)Quel film post-Crimes et délits de Woody Allen préférez vous ?
Le suivant, Alice (1990), tendre hommage à Mia Farrow.
31)Meilleur film de 1999.
Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick (sans doute le film le plus anti-américain qui soit)
32)Réplique préférée.
«J’ai vu arriver cet insecte et c’était une balle » (Denis Lavant dans Mauvais sang de Léos Carax)
33)Western de série B préféré.
L’homme de l’Arizona, de Budd Boetticher (un souvenir imprécis mais tenace, le silence et le vide et puis soudain les déflagrations)
34)Quel est selon vous l'auteur le mieux servi par l'adaptation de son oeuvre au cinéma?
Maurice G. Dantec (sa tendance à la fois prétentieuse, schématique et brouillonne, notamment, est admirablement rendue)
35)Susan Vance (Katharine Hepburn) ou Irene Bullock (Carole Lombard)?
« Irene Bullock », sans la moindre hésitation
36)Quel est votre numéro musical préféré dans un film non musical ?
L’envol d’Anna Karina dans Vivre sa vie, de Jean-Luc Godard.
37)Bruno (Le personnage si vous n'avez pas vu le film, ou le film si vous l'avez vu) : une satire subversive ou un stéréotype ?
Pas de choix ici entre deux termes strictement équivalents. Toute subversion aujourd hui est un maniement roublard de stéréotypes.
38)Citez cinq personnes du cinéma, mortes ou vivantes, que vous auriez aimé rencontrer.
Léos Carax, Jean-Pierre Melville, Peter Greenaway, Jacques Tati, Juliette Binoche (pour parler poésie, politique, et puis ne plus parler)
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DANDY
Le cinéma de Carax est au confluent de la bluette et du pamphlet, de la lettre d'amour et du crachat, du sublime et du trivial, cette zone grise et rose où l'on agonit le monde d'injures pour une caresse, où l'on engage sa vie dans une étreinte. Pessimisme en verve, écoeuré flamboyant, son héros romantique accentue de films en films sa dégradation physique et vestimentaire, radicalise son désespoir et sa révolte, tuant désormais sciemment, et non par inadvertance, ceux dont la présence ou l'absence le blessent, se déclarant étranger au monde des compromissions et des trahisons. Au croisement improbable de Péguy et Dabadie, le dandy caraxien en veut au monde décrit par l'auteur de Notre jeunesse, "le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles." Il est aussi l'abandonné décrit dans l'Italien, "voleur, équilibriste, maréchal des logis, comédien, braconnier, empereur et pianiste", qui tout comme lui, ne cesse de dire, même mutique comme Langue Pendue ou jargonnant comme Merde, qu'il a connu des femmes, qu'elles lui ont tout pris, et qu'il en pleure encore.
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PAYSAGE (S)
Il est des films, des livres, des paysages et des individus, que l’on rencontre sans qu’ils aient sur nous la moindre influence consciente : ils glissent, nous parfument ou nous distraient un instant et puis s’en vont. Peut-être à leur manière nous construisent-ils, mais dans ce cas, sans que nous en ayons la moindre intuition. A l’inverse certaines œuvres, certains êtres et certains lieux nous fondent, en toute connaissance de cause, ils sont pour nous, dans une âme et un corps, ce qui marque et constitue. Durant ces vingt dernières années, les dix films français suivants ont réellement modifié (du moins en suis-je intimement persuadé, ce qui ne prouve rien, tant nous sommes aveugles à nous-mêmes) ma façon de comprendre mon passé, d’aborder l’autre et d’envisager l’après ; accessoirement, ils ont aussi transformé ma vision du cinéma, bousculant certaines hiérarchies et en confortant d’autres, me permettant de découvrir des films négligés ou rejetés, mais également de rendre négligeables des films jusque là respectés.
Quelques jours avec moi, de Claude Sautet (88)
Les maris les femmes les amants, de Pascal Thomas (89)
Les patriotes d’Éric Rochant (94)
Pola X de Léos Carax (99)
Ainsi soit-il de Gérard Blain (00)
L'Anglaise et le Duc d’Eric Rohmer (01)
Éloge de l'amour de Jean-Luc Godard (01)
Choses secrètes, de Jean-Claude Brisseau (02)
Le Fils de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne (02)
Flandres de Bruno Dumont (06)
Je remercie tous ceux qui se sont pris au jeu et m’ont livré ainsi un pan de leur paysage cinématographique. Les voici, sans ordre particulier, inutile de préciser que cela change des consensus habituels ! (D’ores et déjà, je prie Richard G de me faire à nouveau parvenir sa liste : un souci informatique m’a fait disparaître ces données. Qu’il veuille bien m’excuser).
Anaximandrake :
De bruit et de fureur, Jean-Claude Brisseau (1988)
Van Gogh, Maurice Pialat (1992)
La Sentinelle, Arnaud Desplechin (1992)
Les derniers jours d'Emmanuel Kant, Philippe Collin (1994)
Conte d'été, Eric Rohmer (1996)
Généalogie d'un crime, Raoul Ruiz (1997)
Sicilia!, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (1999)
Les Amants réguliers, Philippe Garrel (2005)
Cœurs, Alain Resnais (2006)
Ces rencontres avec eux, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (2006)
Tlön :
1) De Bruit et de fureur - Brisseau - 1988
2) Nouvelle vague - Godard - 1990 (je sais c'est suisse !)
3) Van Gogh - Pialat - 1991
4) La Belle Noiseuse - Rivette -1991
5) La Cérémonie - Chabrol - 1995
6) La Servante aimante - Douchet - 1997
7) On connait la chanson - Resnais - 1998
8) Esther Khan - Desplechin - 2000
9) La série des contes (hiver, printemps, été, automne) - Rohmer (je sais il y en a 4 !)
10) De battre mon coeur s'est arrêté - Audiard - 2005
Les outsiders :
Les Patriotes - Rochant - 1994
A ma soeur - Breillat - 1998
St Cyr - Mazuy - 2000
Ressources humaines - Cantet - 2000
L'Anglaise et le Duc - Rohmer - 2001
10 éme chambre - Depardon - 2004
OSS 117. Le Caire nid d'espion - Hazanavicius – 2006
Sébastien Carpentier :
1 - Claude Sautet - Un cœur en hiver (1991)
2 - Peter Watkins - La Commune (1999-2007)
3 - Abdellatif Kechiche - La graine et le mulet (2007)
4 - Jean-Claude Rappeneau - Cyrano de Bergerac (1990)
5 - Michael Haneke - Caché (2005)
6 - Laurent Cantet - Ressources humaines (1999)
7 - Michel Deville - La maladie de Sachs (1999)
8 - Krzysztof Kieslowski - La double vie de Véronique (1991)
9 - Jacques Rivette - Ne touchez pas la hache (2007)
10 - Jose Luis Guerin - Dans la ville de Sylvia (2008)
On objectera peut-être que ni Watkins, ni Haneke, ni Kieslowski, ni Guerin ne sont français… Aussi rajoutè-je les films suivants en queue de liste :
11 - Tony Gatlif - Gadjo dilo (1998)
12 - André Téchiné - Loin (2001)
13 - Robert Guédiguian - Le promeneur du Champ-de-Mars (2005)
14 - Emmanuel Mouret - Un baiser s'il vous plaît (2007)
Et comme je suis frustré de n'avoir pu faire figurer en bonne place la Promesse des Dardenne du fait de leur belgitude, je me console en rajoutant (hors compétition) un documentaire :
HC - Raymond Depardon - 10ème Chambre, instants d'audience (2004)
Damien:
Histoire(s) du cinéma" (Jean-Luc Godard)
(chef d'oeuvre incontestable, mais comme JLG est suisse et qu'il ne s'agit pas exactement d'un film, est-ce que c'est valable ?)
"Y aura-t-il de la neige à noël ?" (Sandrine Veysset)
(la plus belle réussite, à ma connaissance, d'un cinéma réaliste tout entier dévoué à capter l'humain dans sa vérité)
"L'anglaise et le duc" (Eric Rohmer)
(très grand film historique, et jamais les nouvelles techniques de l'image n'ont été aussi bien utilisées pour reconstituer une époque)
"Esther Kahn" (Arnaud Desplechin)
(l'un des plus beaux films sur le théâtre et l'art de l'acteur)
"Van Gogh" (Maurice Pialat)
(simple et bouleversant, contre tous les clichés attendus et tous les pièges biographiques)
"Ridicule" (Patrice Leconte)
(oui oui, les cinéphiles peuvent aboyer, oui Leconte est un tâcheron, mais ce film restera pour la grâce des acteurs et l'excellence des dialogues de Remi Waterhouse, dans la lignée d'un cinéma très verbal : Duvivier, Carné-Prévert, etc.)
"OSS 117 : Le Caire, nid d'espion "(Michel Hazanavicius)
(tout simplement la meilleure comédie française de ces 20 dernières années)
"Urgences" (Raymond Depardon)
(Il faut au moins un documentaire dans cette liste. C'est celui-ci qui m'a le plus marqué)
"Huit femmes" (François Ozon)
(subtil, ironique, décalé, un grand film sur le mirage des apparences et les rapports de pouvoir, entre autres)
Trouble every day (Claire Denis)
(un des films les plus flippants que j'aie vus, ce qui est très rare dans le cinéma français)
Skoteinos :
Van Gogh, de Maurice Pialat
Le garçu de Maurice Pialat
L'Enfer de Claude Chabrol
La Cérémonie de Claude Chabrol
Betty de Claude Chabrol
Dans les commentaires de la note précédente (Paysage), figurent les listes de Préau, d'Arnaud, de Jérôme, du Dr Orlof..
Dans les commentaires de celle-ci, figure celle d'Isabelle, de Polyphème, d'Hyppogriffe, de Jacques Sicard, et de Montalte.
Sur leur blog figurent ce matin, celles de Joachim, d'Edisdead, de Talmont et de Vincent.
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Après avoir longuement parcouru ces divers palmarès, je me garderais bien d'en établir une quelconque synthèse, leur diversité prouvant justement, loin des consensus et des compromis, que l'hétérogénéité du cinéma français en est sa principale force. Je peux sans doute me tromper, mais je persiste à penser qu'une telle liste pour le cinéma américain ou asiatique, comme cela été soulevé dans les commentaires, comporterait beaucoup plus de films communs entre les participants ; tant qu'un tel questionnaire toutefois n'aura pas été soumis, ceci peut ressembler à une assertion gratuite.
On pourra noter que le cinéaste le plus cité, et pour des films divers selon les intervenants, est Eric Rohmer, mais qu'Arnaud Desplechin n'est pas loin derrière, que Chabrol/Rivette/Resnais demeurent des valeurs sûres. Je suis heureux de voir la fortune de malaimés comme Léos Carax ou Bruno Dumont, plusieurs fois cités, et la très faible représentation de la mouvance tant acclamée, Assayas/Ozon/Honoré/Klapisch, cinéastes que je réunis peut-être arbitrairement ici, mais qui me semblent développer une démarche commune de "vouloir dire " et d'"à la manière de". L'impressionnante cohérence des univers de Brisseau ou de Guédiguian a ses admirateurs, mais il me semble être le seul à citer Gérard Blain et nous ne sommes que deux à penser à Pascal Thomas. Quant à Blier ou Corneau, ils sont aux abonnés absents, de même que la quasi-totalité des cinéastes féminins si l'on excepte Catherine Breillat. Enfin, les documentaires de Depardon sont plusieurs fois mentionnés.
La richesse d'une telle confrontation de points de vue m'a en revanche rasséréné, ne serait-ce que parce que dans chacune de ces listes, un film m'est à chaque fois inconnu, et qu'il est à présent temps de les voir.
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ELLE
Les exercices d’admiration ne servent à rien.
A peine à nous persuader que celui ou celle qui fascine, gouverne et empêche de fuir, garde pour un temps notre regard inquiet dans son sillage.
Et pourtant, nous ne vivons pas uniquement avec les morts, mais avec tous ceux qu’il est impossible de saisir à la gorge, afin de connaître enfin leur haleine et leur peur. Nous sommes nés pour subir le joug d’une femme absente ou d’un homme pressé, et la concorde comme le partage ne viennent jamais qu’après, lorsqu’ils ne sont plus attendus ni même souhaités.
Juliette Binoche ne sera jamais cette icône deneuvienne, entre paraphes et parfums, que les couvertures de Gala ou de Télérama désirent avec leur habituel mépris nous vendre, car elle est avant tout l’adolescente Anna chez Carax, floue puis extrêmement précisée, chuchotante en noir et bleu, éclatant de rire avant de songer. Elle est Michèle ensuite, sur le fil, presque arrachée, et dont la danse en saccades ne peut finir sans un cri. Elle est Tereza enfin, semblable à celle que nous serrions dans nos bras pour sa première fois, celle-là même qui pleurant de plaisir, n’avait pas assez de mots pour nommer cette ombre qui déjà glissait sous la porte : l’enfance.
Juliette Binoche possède cette vulgarité bienveillante dans le rire, et cette douleur stoïque dans les yeux, qui nous la font aimer d’avance, même si son sourire capte mieux qu’aucun autre l’attention des journalistes les plus aveuglés. Elle est cette femme dont l’énigme ne se résout pas, et tous les limiers tournant bruyamment autour d’elle, pour l’aduler, et la huer, et s’en repaître, et l’aimer quand même, tournent pour rien ; Binoche est à la fois la Julie de Kieslowski et l’Anna Barton de Malle : veuve, couverte d’hommes, seule à jamais. Elle démontre, s’il en était besoin, que le cinéma est bien cette entreprise thaumaturgique qui nous fait prendre les soubrettes et les souillons pour l’Eternelle Sophia, jusqu’à se persuader que celle-ci réside en nous, comme Grémillon d’ailleurs n’a jamais cessé de l’affirmer (mais qui peut bien perdre son temps à écouter Grémillon ?). La Femme est une instance intérieure et ses multiples avatars n’existant pas davantage que le rêve d’un autre.
Lorsque Juliette Binoche se met à parler lentement, en appuyant sur les nasales d’une lèvre légèrement enflée, il n’y a plus à tergiverser : elle est ensemble, et jusqu’au vertige, la naïve petite polonaise devenue icône médiatique, le garçon manqué tout à sa joie de se savoir impudique, la femme d’affaire se troublant en mère dévorée. Je ne connaîtrai jamais le son de sa voix lorsqu’elle est enrhumée, l’odeur de sa peau lorsqu’elle est impatiente, les reflets sur son cou quand il pleut, et cependant cette fille filmée, aussi futile, aussi exaspérante, aussi profonde que tant d’autres, me semblera toujours vraie. Elle est dans le vrai, sans effort ni nuance, avec excès, obscénité même, alors que nous cessons de soulever avantageusement le coin des tapis, de scruter avec la pire vanité leurs motifs et leurs dessins. Elle a cette insouciance retenue qui se moque de tous les leurres du filigrane.
En somme, il n’y a pas de quoi pavoiser. Comment se défaire d’une emprise que l’on a réclamée puis cultivée ? La regarder à la télévision ? La croiser dans un festival au bras d’une quelconque ordure post-moderne en frac ? Voilà certainement ce qui pourrait l’avilir, la polluer, la faire chuter de la statue de Pauline, bouleversante, blanche et cernée, jusqu’à la débrouillarde Juliette B., comédienne. Mais l’arrière-monde veille. Il n’attend qu’une seconde d’inattention, c’est-à-dire vingt-quatre images d’affilée, pour nous agripper, nous retourner, nous livrer une fois encore à ces Mères qui rôdent, infiniment enveloppantes. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est déjà appelée trois fois Anne, chez Carax, Malle, Mighella (quelle descente !).
Je la vois de films en films, refaire patiemment les mêmes gestes, ses bougies à la main pour détailler Rembrandt ou les fresques d’une église, sa précipitation lors de batailles de mousse à raser ou de polochons, ses rires pour rien (Juliette Binoche ne rit jamais à bon escient), ses sourcils à peine froncés quand elle est folle de rage impuissante, son regard sombre et embué, embué comme personne avant elle, se ce n’est Falconetti peut-être, ou Donna Reed. Des vignettes de Leconte au chromo de Kurys, de la subtilité de Chantal Akerman aux sketches de Danielle Thompson, du cinéma malencontreux de Gitaï au brouillon mystique de Ferrara, de l’insignifiant Quelques jours en septembre jusqu’aux pensums verbeux d’Assayas ou de Klapisch, qui dégorgent à gros traits leur moraline, elle est toujours inconnue dans la lumière et dans « son meilleur rôle depuis longtemps », tout à la fois aînée et cadette, proie et traqueuse, drôle et renfermée. Admirable.