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juliette binoche

  • VIVRE SA VIE

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    Pour appréhender l'oeuvre de Godard, rien de mieux en somme que d'en suivre la chronologie. Le spectateur d'Eloge de l'amour ou de Notre musique, sans doute les deux plus beaux poèmes godardiens de ces dernières années, risque d'être décontenancé s'il n'a pas en tête l'évolution d'un cinéaste ayant toujours cherché, quasi-désespérément, à rester précis malgré les déconstructions qu'il faisait mine d'encenser (pour mieux les désarmer), à demeurer innocent en dépit des diverses pressions politiques et esthétiques qu'il eut à subir (avec lesquelles il ne cessa de jouer). La force du plan chez Godard, tient avant tout à la manière avec laquelle ceux qui le précèdent et ceux qui le suivent, l'entourent, c'est-à-dire l'exhaussent tout en l'utilisant. Il y a chez lui cette quête de l'harmonie classique, nécessité d'insertion des formes dans une chaîne de succession rigoureuse. Après les déstructurations de la modernité, il s'agit de recommencer à voir sans ludisme manipulateur, à étudier le monde en ses fracas sans jamais renoncer à la rigueur d'un langage. Les héros godardiens bafouillent, marmonnent ou pontifient, sans aucun doute, mais la mise en scène, exprimée sans affèteries inutiles, n'est jamais indistincte : pas un plan qui n'ait sa place ni une séquence sa cohérence formelle.  

    Ce classicisme, autrement dit cette recherche toujours plus poussée d'un rapport de sens entre les formes (plutôt que la jouissance de leurs conflagrations) n'a jamais été aussi évident que dans la période de ses récits linéaires, mais on peut tout aussi bien la mettre à jour dans ses films plus récents, à la diégèse émiettée. Vivre sa vie appartient bien sûr à la première époque, et c'est avec une grande émotion que l'on prend acte aujourd'hui de ce que l'on pourrait appeler sa rigueur lyrique. Ce silencieux commerce des âmes et des corps dans le marasme d'une ville agitée n'est rien d'autre que la chronique d'une mort annoncée, celle de la prostituée Nana (Anna Karina) bien sûr, celle d'une certaine idée des relations humaines également (non pas d'avant le profit, mais d'avant son incessante célébration), celle du couple Godard-Karina enfin, qui se délite davantage encore, nous semble-t-il, que dans Pierrot le fou tourné trois ans plus tard, ne serait-ce qu'en raison de ces regard-caméras d'autant plus cruels qu'ils sont mensongers.

    Vivre sa vie est à la fois un réquisitoire contre l'anomie moderne et une ode à la liberté féminine, liberté tragique comme il se doit. La coupe de cheveux de Nana la métamorphose en héritière de Loulou (Louise Brooks), cette autre victime de l'amour multiple, qui chez Pabst, souriait presque jusqu'au bout, et en grande soeur d'Anna (Juliette Binoche), qui devant Carax vingt-quatre ans plus tard, incarnera aussi cette lueur inespérée dans la pénombre des rixes promues et des règles effacées.

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  • UNE FEMME EST PASSEE

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    Il est difficile de savoir ce qui vous attache à une actrice, vous fait la suivre scrupuleusement dans chacun de ses rôles, vous oblige même parfois à supporter sa parole publique ou ses apparitions médiatiques. Parfois seulement, car il s'agit alors de la meilleure façon de briser l'envoûtement, celui qui vous avait fait prendre sa démarche et son regard pour une invitation, celui qui vous avait persuadé qu'elle était, au moins un peu, ce qu'elle jouait.

    Seuls certains rôles en effet comptent, et c'est bien cela qui rapproche cette naïve admiration cinéphile du sentiment amoureux : rien n'efface l'émotion de la première fois où l'on a saisi seul -où l'on a cru saisir seul- l'inquiétude d'un geste ou la volonté d'un pas, la grâce d'une posture ou l'hésitation d'un sourire, quand les autres autour, quand les spectateurs à côté, n'ont rien su voir. Peu importe tout ce qui se dévoile ensuite, tout ce qui se révèle sans surprise ni écart, tous ces parti-pris félicités d'avance et ces attentions désespérément communes, tous ces rôles attendus, ce déplaisant besoin de toujours mieux ressembler, puisqu'il y a eu, un jour, ce jardin découvert seul.

    Avoir été témoin d'une beauté fugitive sous le fard, d'une différence imperceptible sous la banalité du style, d'une bribe d'enfance derrière le sérieux d'une mimique convenue, d'une joie naïve soudain incontrôlée, réduisant à néant les simagrées de la désinvolture, c'est peut-être cela finalement qui lors d'émois amoureux comme à l'écran, m'a toujours rapproché des mêmes femmes, me faisant connaître des Claude Jade, des Juliette Binoche, des Donna Reed, des Mimsy Farmer et des Deborah Kerr, femmes douces à la beauté entêtante, au regard candide soudain noyé d'une peine incommensurable ou brouillé de désir, à la tendresse impérieuse et au silence opportun, femmes-enfants mues soudain par une volonté de fer, autant adolescentes rêveuses qu'amantes rêvées.

    Il y a une différence cependant : malgré le temps qui passe, je peux continuer à tout instant de croiser, sous son front buté, le regard chaviré de Véronique d'Hergemont dans L'Ile aux trente cercueils. Je peux retenir les larmes de l'Anna de Mauvais sang, poursuivre l'escapade d'Allonsanfan avec Francesca, tenter de réveiller le sourire de Soeur Clodagh du Narcisse Noir ou recevoir une fois encore le baiser de Mary Hatch dans La vie est belle. Le temps passé en compagnie de femmes réelles, et non plus de leur égrégore, aussi long et riche qu'ait été ce temps, ne m'appartient en revanche qu'à une seule condition : avoir su à l'époque conquérir l'instant, l'avoir débarassé de toutes ses contingences, même les plus poétiques, même les plus douloureuses, pour qu'il demeure mien à jamais. Et cela, au contraire des épiphanies toujours renaissantes de la machinerie cinéphilique, qui en sont justement les contre-feux, reste aléatoire. L'orgueil et l'impatience, la maladresse comme la dispersion, l'inconséquence en somme, s'emploient en effet à en rendre le succès bien hasardeux.

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    Le temps n’attend pas l’homme, et celui de la fin
    Moins que tout autre encore ; il est pressé, pressé
    D’une hâte surnaturelle et les instants
    Sont précieux, les instants sont des diamants
    Dont il est vain de vouloir faire une ancre aux montres,
    Un pivot pour le balancier du mécanisme
    Qui vous broie et fait un fantôme de vous
    Au lieu de vous laisser de moment en moment
    Les porter en collier ou comme une rivière.
    Votre instant est unique, et il est inusable ;
    Aussi le mien, et c’est pourquoi venez le prendre.

    Armel Guerne, Le rapt, in Rhapsodie des fins dernières.

     

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  • 94

    Ecouter Camille de Delerue, marcher un peu, penser au sourire gêné de cette fille éclatante, s'abriter du vent, lire quelques pages de poèmes violents et tristes, suivre des yeux une danseuse agile, rire au milieu de danseurs malhonnêtes, penser à cette fille pour qui l'on n'est rien, écouter Camille de Delerue, acquiescer en souriant, rester dans le vague, ironiser tout bas, passer devant celle qui saurait vous aimer et vous jeter dans la gueule d'une louve quelconque, marcher un peu.

    Il y a pire qu'un manichéen qui pérore : un relativiste qui se tait.

    Klapisch dans Paris, nous apprend que les clémentines, même en provenance des pays les plus divers, ne se battent pas entre elles, tranquillement côte à côte dans leurs cageots de fortune (si seulement les gens, eux aussi, etc...). Il nous rappelle également que les filles haussent les yeux au ciel lorsqu'elles reçoivent des textos, que Luchini sait danser comme un fou, que les maraîchers savent être dignes, que les boulangères sont racistes et qu'il faut vivre tant qu'il est temps (tant qu'on a la santé, hein !). Malgré son insondable bêtise et ses écoeurants complexes de classe, Paris n'arrive cependant pas une fois à prendre Juliette Binoche en défaut. Il est facile d'être remarquable chez Kieslowski ou Carax, infatigables créateurs de mythes, mais le demeurer chez Klapisch, désolant récupérateur de clichés, est bien la marque des plus grandes.  

     

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  • CAVALE

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    Il faut bien comprendre que pour ceux qui sont nés dans les années 70, la vie n'a pas été rose tous les jours ! Quitter l'enfance avec Mitterrand, être adolescent sous Séguéla, devenir adulte malgré Luc Besson au cinéma, Alexandre Jardin en librairie, Bernard-Henri Lévy partout ailleurs, demandait un effort constant, parfois même une certaine rectitude morale, pour ne pas se laisser entraîner c'est à dire sombrer. Pour ne pas devenir un requin branché durant les années 80, un salaud fun la décennie suivante, un relativiste débonnaire aujourd'hui ; pour ne pas dégobiller à longueur d'années les préceptes de plus en plus insistants de transparence, d'égalitarisme, de tolérance et de festoiements obligatoires. Houellebecq a sans doute tout dit de l'imposture et de la nocivité de ceux qui n'ont eu de cesse de tout saccager avec le sourire, mais pour ceux qui ont eu vingt ans au tout début des années 90, Houellebecq n'existait pas ; pour ne pas sombrer, il y avait L'Idiot International. Ce n'est alors sans doute pas un hasard si la première fois que j'ai croisé Arnaud Le Guern, dans l'éphémère revue Cartouches à la fin de ces années-là, je m'efforçais de taper sur un Jardin (Alexandre) pour mieux en célébrer un autre (Pascal), tandis qu'il se lançait dans une diatribe de haute volée contre Didier Daeninckx qui dénonçait à l'époque (sans doute avec beaucoup d'émotion) le « complot rouge-brun » au sein de L'Idiot. C'est d'ailleurs le ton de ce journal incendiaire que je retrouvais quelques années plus tard, d'abord dans la Stèle pour Edern du même Le Guern, hommage fasciné d'un écrivain pour l'un de ses maîtres, pour une liberté de penser et d'écrire bien anachronique ; puis dans Cancer !, revue qui retrouvait le goût de l'invective et la réjouissante absence d'allégeance aux soucieux démocrates comme aux abjects extrémistes, à laquelle il donna de beaux textes. Nous nous sommes croisés une seconde fois (toujours sans nous rencontrer) il y a quelques années, cette fois dans La Revue du cinéma. J'y égrenais des souvenirs de cinéphile amoureux, et lui au fond ne faisait pas autre avec ses « Héroïnes », portraits d'actrices magnifiques, c'est-à-dire magnifiées par ses mots. Ces convergences diverses suffisent sans doute à expliquer pourquoi j'étais particulièrement impatient de découvrir Du soufre au cœur : avec l'amour des femmes et la laideur du monde comme chevaux de bataille, prétextes aux envolées rythmiques, aux insultes grandioses, aux déclarations insensées, son attelage ne pouvait que se diriger vers le drame intérieur, c'est-à-dire le roman.

    Du Souffre au coeur. Le programme qu'évoque joliment le titre s'avère d'une grande simplicité, ce qui n'est pas sans conséquences bouleversantes : « je bois pour oublier l'immonde et pour me souvenir du sourire des jeunes filles », nous explique un homme en cure de désintoxation au Val de Grâce, qui ne peut oublier une femme mais en rencontre néanmoins une autre. Les sourires de jeunes filles finissent toujours par se ternir, c'est d'ailleurs peut-être pour cela qu'on les guette, qu'on les entoure de mille précautions, qu'on les vénère jusqu'à la folie. Il faut bien s'en enivrer puisqu'il s'éteignent. Les sourires, on ne peut guère que s'en souvenir en effet, parce que sur le coup, tout entier dans la fièvre et la douleur, on les voit sans les voir, baumes inconscients, bonheurs furtifs : les jeunes filles sont toujours plus belles dans l'écrin de la mémoire, c'est là qu'on peut le mieux les déshabiller, les sortir de la gangue du contexte, ce contexte qui nous les a fait connaître mais qui peu à peu finit par les gâcher, les froisser, les diluer. Le contexte, c'est le présent, c'est la souffrance, celle de l'amour jamais assez haut placé, celles du côtoiement des autres toujours plus enjoués, le présent c'est « l'immonde ». Et « l'immonde » c'est cela : « la négation permanente de toute beauté, les silhouettes kärchérisées, la chasse aux excès, la parole sous cellophane, la parole dévitalisée... ». Cependant la jeune fille renaît toujours. Alors bien sûr ce roman n'est pas comme l'optimiste quatrième de couverture nous l'assure, « l'histoire d'une chute et d'une rédemption », mais il nous parle bien de renaissance, celle-ci comme chacun sait restant néanmoins le plus court chemin d'une mort à une autre. Renaissance, parce que dans le va-et-vient  incessant entre la vie des souvenirs et le surplace mortifère du présent, Le Guern parvient à déployer ce qu'il nomme son « art de la fugue ». Si de nombreuses manières le présent de plomb enlève au narrateur le ressort de son écriture ( « Au Val de Grâce, les mots ne sont pas à la fête. Passés par les armes des rêveries perdues, des espérances démantibulées ») et met à mal ses bonheurs de style (« J'allais accoucher d'une phase merveilleuse, Jevoitou m'interrompt »), dans cet univers hygiénique et bien rôdé, réplique du monde sinistre dont les hérauts se flattent d'être « à l'écoute du siècle, de ses impératifs de gaieté factice, d'entrain à haute valeur ajoutée », dans ce microcosme hospitalier, malgré tout, de multiples possibles peuvent naître.

    Aucune déprime complaisante ici, pas d'autofiction pleurnicharde ou de journal ennuyeux, juste le fil des jours qui précèdent ce moment, quand la jeune fille renaît une fois encore. Et c'est bien elle qui engendre ce rythme endurant, ces mots qui soudain cognent, ou se mettent à glisser, ces phrases altières et puis syncopées. « Djamila sur moi, j'étais en cavale » : au détour de cette phrase faussement anodine, tout est dit, la présence d'une femme pour mieux prendre congé, son sourire sur nous la nuit. Alors le lecteur, suspendu aux remémorations fiévreuses d'un écrivain qui perpétue sans doute le dandysme de Laurent et la verve de Blondin, mais surtout la nostalgie enfantine, à la fois malicieuse et mélancolique, de Vian, le lecteur pour quelques temps, oublie ce que devient la littérature, ce que deviennent les jeunes filles, ce qu'il devient. Il se laisse prendre au jeu de cet écrivain qui survit, qui insiste, qui surtout s'obstine à rêver sous le regard des matons qui passent, perdu à jamais dans le fouillis d'un panthéon en désordre, aussi beau et démodé qu'un jardin anglais.

    (Texte paru dans Le Magazine des Livres Juillet-Août 2010)

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  • QUESTIONNAIRE

    C'est chez Vincent que j'ai trouvé cet astucieux questionnaire auquel je m'empresse de donner suite !

    1)Quel est votre second film favori de Stanley Kubrick ?

    Lolita (La perversité mélancolique de Shelley Winters, l’affolement progressif de James Mason, l’effrayant bien que prévisible final)

    2)Quelle est l'innovation la plus significative / importante / intéressante dans le cinéma de la dernière décade (pour le meilleur ou pour le pire) ?

    Les plan-séquences métaphysiques de Bela Tarr.

    3)Bronco Billy (Clint Eastwood) ou Buffalo Bill Cody (Paul Newman)?

    Une courte préférence pour Paul Newman, sans raison valable

    4)Meilleur film de 1949.

    Le sang des bêtes, de Georges Franju, pour sa modernité glaçante.

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    5)Joseph Tura (Jack Benny) ou Oscar Jaffe (John Barrymore)?

    Le premier d’entre eux, pour l’humour définitivement obsolète qu’il incarne.

    6)Le style de mise en scène caméra au poing et cadre tremblé est-il devenu un cliché visuel ?

    Uniquement lorsqu’il est utilisé pour mettre en scène des clichés narratifs.

    7)Quel est le premier film en langue étrangère que vous ayez vu ?

    Mad Max 2, en 1982, qui m’était interdit en raison d’une décapitation. Le devoir de désobéissance de l’adolescence entraîne un certain nombre de déconvenues esthétiques.

    8)Charlie Chan (Warner Oland) ou Mr. Moto (Peter Lorre)?

    Peter Lorre, par principe.

    9)Citez votre film traitant de la seconde guerre mondiale préféré (période 1950-1970).

    Les douze salopards, de Robert Aldrich (le film symboliste le plus trivial qui soit, et réciproquement)

    10)Citez votre animal préféré dans un film.

    Le Bull-Terrier Baxter m’avait bien plu à l’époque (1989), dans l’intelligent film de Jérôme Boivin qui semble avoir disparu. 

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    11)Qui ou quelqu'en soit le fautif, citez un moment irresponsable dans le cinéma.

    Le cinéma ne doit surtout pas être responsable.

    12)Meilleur film de 1969.

    La horde sauvage, de Sam Peckinpah, pour son antimodernité grinçante.

    13)Dernier film vu en salles, et en DVD ou Blu-ray.

    La saison 2 des Soprano (dvd)

    14)Quel est votre second film favori de Robert Altman ?

    Streamers (1984) (Le plus grand film américain sur le Vietnam ?)

    15)Quelle est votre source indépendante et favorite pour lire sur le cinéma, imprimé ou en ligne ?

    Les liens ci-contre, le dictionnaire de Jacques Lourcelles, la plume oubliée de critiques d’un autre âge (chez les bouquinistes)

    16)Qui gagne ? Angela Mao ou Meiko Kaji ?

    Absolument aucune idéé

    17) Mona Lisa Vito (Marisa Tomei) ou Olive Neal (Jennifer Tilly)?

    Le choix ne s’impose pas. Actrices très secondaires.

    18)Citez votre film favori incluant une scène ou un décor de fête foraine.

    Difficile d’oublier la séquence de Ministry of Fear de Lang, tournée en mémoire de M

    19)Quel est à aujourd'hui la meilleure utilisation de la video haute-definition sur grand écran ?

    L’Anglaise et le Duc, d’Eric Rohmer

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    20)Citez votre film favori qui soit à la fois un film de genre et une déconstruction ou un hommage à ce même genre.

    Blood simple (Joel et Ethan Coen, 1984).

    21)Meilleur film de 1979.

    All that jazz, de Bob Fosse (son plus grand film et la plus belle prévision de la débandade de toute la décennie suivante)

    22)Quelle est la plus réaliste / Sincère description de la vie d'une petite ville dans un film ?

    Raining stones, 1993 (C’est la banlieue de Manchester, mais c'est bien une petite ville devant la caméra communautaire du très grand Ken Loach).

    23)Citez la meilleure créature dans un film d'horreur (à l'exception de monstres géants).

    L’orang-outang sans trucage de Link (Richard Franklin, 1986)

    24)Quel est votre second film favori de Francis Ford Coppola ?

    Peggy Sue got married, 1987 (son immense nostalgie contenue)

    25)Citez un film qui aurait pu engendrer une franchise dont vous auriez eu envie de voir les épisodes.

    Judex, de Georges Franju.

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    26)Votre séquence favorite d'un film de Brian De Palma.

    Le plan-séquence inaugural de The Bonfire of vanities, résumé définitif de la vacuité esthétique et morale de la fin du XXème siècle.

    27)Citez votre moment préféré en Technicolor.

    Pratiquement tous les plans du Narcisse noir, de Michael Powell (1947)

    28)Votre film signé Alan Smithee préféré.

    Jamais vu aucun.

    29)Crash Davis (Kevin Costner) ou Morris Buttermaker (Walter Matthau)?

    Films non vus. Kevin Costner sans raison valable.

    30)Quel film post-Crimes et délits de Woody Allen préférez vous ?

    Le suivant, Alice (1990), tendre hommage à Mia Farrow.

    31)Meilleur film de 1999.

    Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick (sans doute le film le plus anti-américain qui soit)

    32)Réplique préférée.

    «J’ai vu arriver cet insecte et c’était une balle » (Denis Lavant dans Mauvais sang de Léos Carax)

    33)Western de série B préféré.

    L’homme de l’Arizona, de Budd Boetticher (un souvenir imprécis mais tenace, le silence et le vide et puis soudain les déflagrations)

    34)Quel est selon vous l'auteur le mieux servi par l'adaptation de son oeuvre au cinéma?

    Maurice G. Dantec (sa tendance à la fois prétentieuse, schématique et brouillonne, notamment, est admirablement rendue)

    35)Susan Vance (Katharine Hepburn) ou Irene Bullock (Carole Lombard)?

    « Irene Bullock », sans la moindre hésitation

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    36)Quel est votre numéro musical préféré dans un film non musical ?

    L’envol d’Anna Karina dans Vivre sa vie, de Jean-Luc Godard.

    37)Bruno (Le personnage si vous n'avez pas vu le film, ou le film si vous l'avez vu) : une satire subversive ou un stéréotype ?

    Pas de choix ici entre deux termes strictement équivalents. Toute subversion aujourd hui est un maniement roublard de stéréotypes.

    38)Citez cinq personnes du cinéma, mortes ou vivantes, que vous auriez aimé rencontrer.

    Léos Carax, Jean-Pierre Melville, Peter Greenaway, Jacques Tati, Juliette Binoche (pour parler poésie, politique, et puis ne plus parler)

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  • ELLE

    Les exercices d’admiration ne servent à rien.
    A peine à nous persuader que celui ou celle qui fascine, gouverne et empêche de fuir, garde pour un temps notre regard inquiet dans son sillage.

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    Et pourtant, nous ne vivons pas uniquement avec les morts, mais avec tous ceux qu’il est impossible de saisir à la gorge, afin de connaître enfin leur haleine et leur peur. Nous sommes nés pour subir le joug d’une femme absente ou d’un homme pressé, et la concorde comme le partage ne viennent jamais qu’après, lorsqu’ils ne sont plus attendus ni même souhaités.
    Juliette Binoche ne sera jamais cette icône deneuvienne, entre paraphes et parfums, que les couvertures de Gala ou de Télérama désirent avec leur habituel mépris nous vendre, car elle est avant tout l’adolescente Anna chez Carax, floue puis extrêmement précisée, chuchotante en noir et bleu, éclatant de rire avant de songer. Elle est Michèle ensuite, sur le fil, presque arrachée, et dont la danse en saccades ne peut finir sans un cri. Elle est Tereza enfin, semblable à celle que nous serrions dans nos bras pour sa première fois, celle-là même qui pleurant de plaisir, n’avait pas assez de mots pour nommer cette ombre qui déjà glissait sous la porte : l’enfance.

    Juliette Binoche possède cette vulgarité bienveillante dans le rire, et cette douleur stoïque dans les yeux, qui nous la font aimer d’avance, même si son sourire capte mieux qu’aucun autre l’attention des journalistes les plus aveuglés. Elle est cette femme dont l’énigme ne se résout pas, et tous les limiers tournant bruyamment autour d’elle, pour l’aduler, et la huer, et s’en repaître, et l’aimer quand même, tournent pour rien ; Binoche est à la fois la Julie de Kieslowski et l’Anna Barton de Malle : veuve, couverte d’hommes, seule à jamais. Elle démontre, s’il en était besoin, que le cinéma est bien cette entreprise thaumaturgique qui nous fait prendre les soubrettes et les souillons pour l’Eternelle Sophia, jusqu’à se persuader que celle-ci réside en nous, comme Grémillon d’ailleurs n’a jamais cessé de l’affirmer (mais qui peut bien perdre son temps à écouter Grémillon ?). La Femme est une instance intérieure et ses multiples avatars n’existant pas davantage que le rêve d’un autre.

    Lorsque Juliette Binoche se met à parler lentement, en appuyant sur les nasales d’une lèvre légèrement enflée, il n’y a plus à tergiverser : elle est ensemble, et jusqu’au vertige, la naïve petite polonaise devenue icône médiatique, le garçon manqué tout à sa joie de se savoir impudique, la femme d’affaire se troublant en mère dévorée. Je ne connaîtrai jamais le son de sa voix lorsqu’elle est enrhumée, l’odeur de sa peau lorsqu’elle est impatiente, les reflets sur son cou quand il pleut, et cependant cette fille filmée, aussi futile, aussi exaspérante, aussi profonde que tant d’autres, me semblera toujours vraie. Elle est dans le vrai, sans effort ni nuance, avec excès, obscénité même, alors que nous cessons de soulever avantageusement le coin des tapis, de scruter avec la pire vanité leurs motifs et leurs dessins. Elle a cette insouciance retenue qui se moque de tous les leurres du filigrane.

    En somme, il n’y a pas de quoi pavoiser. Comment se défaire d’une emprise que l’on a réclamée puis cultivée ? La regarder à la télévision ? La croiser dans un festival au bras d’une quelconque ordure post-moderne en frac ? Voilà certainement ce qui pourrait l’avilir, la polluer, la faire chuter de la statue de Pauline, bouleversante, blanche et cernée, jusqu’à la débrouillarde Juliette B., comédienne. Mais l’arrière-monde veille. Il n’attend qu’une seconde d’inattention, c’est-à-dire vingt-quatre images d’affilée, pour nous agripper, nous retourner, nous livrer une fois encore à ces Mères qui rôdent, infiniment enveloppantes. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est déjà appelée trois fois Anne, chez Carax, Malle, Mighella (quelle descente !).

    Je la vois de films en films, refaire patiemment les mêmes gestes, ses bougies à la main pour détailler Rembrandt ou les fresques d’une église, sa précipitation lors de batailles de mousse à raser ou de polochons, ses rires pour rien (Juliette Binoche ne rit jamais à bon escient), ses sourcils à peine froncés quand elle est folle de rage impuissante, son regard sombre et embué, embué comme personne avant elle, se ce n’est Falconetti peut-être, ou Donna Reed. Des vignettes de Leconte au chromo de Kurys, de la subtilité de Chantal Akerman aux sketches de Danielle Thompson, du cinéma malencontreux de Gitaï au brouillon mystique de Ferrara, de l’insignifiant Quelques jours en septembre jusqu’aux pensums verbeux d’Assayas ou de Klapisch, qui dégorgent à gros traits leur moraline, elle est toujours inconnue dans la lumière et dans « son meilleur rôle depuis longtemps », tout à la fois aînée et cadette, proie et traqueuse, drôle et renfermée. Admirable.

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