Il est difficile de savoir ce qui vous attache à une actrice, vous fait la suivre scrupuleusement dans chacun de ses rôles, vous oblige même parfois à supporter sa parole publique ou ses apparitions médiatiques. Parfois seulement, car il s'agit alors de la meilleure façon de briser l'envoûtement, celui qui vous avait fait prendre sa démarche et son regard pour une invitation, celui qui vous avait persuadé qu'elle était, au moins un peu, ce qu'elle jouait.
Seuls certains rôles en effet comptent, et c'est bien cela qui rapproche cette naïve admiration cinéphile du sentiment amoureux : rien n'efface l'émotion de la première fois où l'on a saisi seul -où l'on a cru saisir seul- l'inquiétude d'un geste ou la volonté d'un pas, la grâce d'une posture ou l'hésitation d'un sourire, quand les autres autour, quand les spectateurs à côté, n'ont rien su voir. Peu importe tout ce qui se dévoile ensuite, tout ce qui se révèle sans surprise ni écart, tous ces parti-pris félicités d'avance et ces attentions désespérément communes, tous ces rôles attendus, ce déplaisant besoin de toujours mieux ressembler, puisqu'il y a eu, un jour, ce jardin découvert seul.
Avoir été témoin d'une beauté fugitive sous le fard, d'une différence imperceptible sous la banalité du style, d'une bribe d'enfance derrière le sérieux d'une mimique convenue, d'une joie naïve soudain incontrôlée, réduisant à néant les simagrées de la désinvolture, c'est peut-être cela finalement qui lors d'émois amoureux comme à l'écran, m'a toujours rapproché des mêmes femmes, me faisant connaître des Claude Jade, des Juliette Binoche, des Donna Reed, des Mimsy Farmer et des Deborah Kerr, femmes douces à la beauté entêtante, au regard candide soudain noyé d'une peine incommensurable ou brouillé de désir, à la tendresse impérieuse et au silence opportun, femmes-enfants mues soudain par une volonté de fer, autant adolescentes rêveuses qu'amantes rêvées.
Il y a une différence cependant : malgré le temps qui passe, je peux continuer à tout instant de croiser, sous son front buté, le regard chaviré de Véronique d'Hergemont dans L'Ile aux trente cercueils. Je peux retenir les larmes de l'Anna de Mauvais sang, poursuivre l'escapade d'Allonsanfan avec Francesca, tenter de réveiller le sourire de Soeur Clodagh du Narcisse Noir ou recevoir une fois encore le baiser de Mary Hatch dans La vie est belle. Le temps passé en compagnie de femmes réelles, et non plus de leur égrégore, aussi long et riche qu'ait été ce temps, ne m'appartient en revanche qu'à une seule condition : avoir su à l'époque conquérir l'instant, l'avoir débarassé de toutes ses contingences, même les plus poétiques, même les plus douloureuses, pour qu'il demeure mien à jamais. Et cela, au contraire des épiphanies toujours renaissantes de la machinerie cinéphilique, qui en sont justement les contre-feux, reste aléatoire. L'orgueil et l'impatience, la maladresse comme la dispersion, l'inconséquence en somme, s'emploient en effet à en rendre le succès bien hasardeux.
Le temps n’attend pas l’homme, et celui de la fin
Moins que tout autre encore ; il est pressé, pressé
D’une hâte surnaturelle et les instants
Sont précieux, les instants sont des diamants
Dont il est vain de vouloir faire une ancre aux montres,
Un pivot pour le balancier du mécanisme
Qui vous broie et fait un fantôme de vous
Au lieu de vous laisser de moment en moment
Les porter en collier ou comme une rivière.
Votre instant est unique, et il est inusable ;
Aussi le mien, et c’est pourquoi venez le prendre.
Armel Guerne, Le rapt, in Rhapsodie des fins dernières.
Commentaires
Beau et si bien senti.
J'aime aussi beaucoup Claude Jade, mais je n'ai connu que "des" Huppert et des Balasko...
Bien vu tout cela ! Il est parfois tellement dramatique d'entendre une actrice de talent s'exprimer sur ses films, sa vie, la vie, en voulant avoir l'air intelligente. Celles qui veulent le plus montrer leur intelligence sont celles qui débitent le plus de conneries, et l'on finit par se dire qu'on s'était trompés, alors que, oui, l'émotion que l'on avait ressentie devant telle ou telle scène où elles jouaient était bien réelle. - Ceci dit, et avant que l'on y voie de la misogynie, c'est la même chose dans le football : ballon au pied, le crétin des Alpes Ribéry est d'une intelligence rare.
A bientôt,
AMG.
Merci Marie-Hélène.
Il faut que vous y réfléchissiez Jean Petit : pourquoi des femmes aussi roides et antipathiques ?
Absolument cher Arnaud !
Anti-Fa ! Anti-Fa ! Anti-Femmes !