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mauvais sang

  • VIVRE SA VIE

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    Pour appréhender l'oeuvre de Godard, rien de mieux en somme que d'en suivre la chronologie. Le spectateur d'Eloge de l'amour ou de Notre musique, sans doute les deux plus beaux poèmes godardiens de ces dernières années, risque d'être décontenancé s'il n'a pas en tête l'évolution d'un cinéaste ayant toujours cherché, quasi-désespérément, à rester précis malgré les déconstructions qu'il faisait mine d'encenser (pour mieux les désarmer), à demeurer innocent en dépit des diverses pressions politiques et esthétiques qu'il eut à subir (avec lesquelles il ne cessa de jouer). La force du plan chez Godard, tient avant tout à la manière avec laquelle ceux qui le précèdent et ceux qui le suivent, l'entourent, c'est-à-dire l'exhaussent tout en l'utilisant. Il y a chez lui cette quête de l'harmonie classique, nécessité d'insertion des formes dans une chaîne de succession rigoureuse. Après les déstructurations de la modernité, il s'agit de recommencer à voir sans ludisme manipulateur, à étudier le monde en ses fracas sans jamais renoncer à la rigueur d'un langage. Les héros godardiens bafouillent, marmonnent ou pontifient, sans aucun doute, mais la mise en scène, exprimée sans affèteries inutiles, n'est jamais indistincte : pas un plan qui n'ait sa place ni une séquence sa cohérence formelle.  

    Ce classicisme, autrement dit cette recherche toujours plus poussée d'un rapport de sens entre les formes (plutôt que la jouissance de leurs conflagrations) n'a jamais été aussi évident que dans la période de ses récits linéaires, mais on peut tout aussi bien la mettre à jour dans ses films plus récents, à la diégèse émiettée. Vivre sa vie appartient bien sûr à la première époque, et c'est avec une grande émotion que l'on prend acte aujourd'hui de ce que l'on pourrait appeler sa rigueur lyrique. Ce silencieux commerce des âmes et des corps dans le marasme d'une ville agitée n'est rien d'autre que la chronique d'une mort annoncée, celle de la prostituée Nana (Anna Karina) bien sûr, celle d'une certaine idée des relations humaines également (non pas d'avant le profit, mais d'avant son incessante célébration), celle du couple Godard-Karina enfin, qui se délite davantage encore, nous semble-t-il, que dans Pierrot le fou tourné trois ans plus tard, ne serait-ce qu'en raison de ces regard-caméras d'autant plus cruels qu'ils sont mensongers.

    Vivre sa vie est à la fois un réquisitoire contre l'anomie moderne et une ode à la liberté féminine, liberté tragique comme il se doit. La coupe de cheveux de Nana la métamorphose en héritière de Loulou (Louise Brooks), cette autre victime de l'amour multiple, qui chez Pabst, souriait presque jusqu'au bout, et en grande soeur d'Anna (Juliette Binoche), qui devant Carax vingt-quatre ans plus tard, incarnera aussi cette lueur inespérée dans la pénombre des rixes promues et des règles effacées.

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  • UNE FEMME EST PASSEE

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    Il est difficile de savoir ce qui vous attache à une actrice, vous fait la suivre scrupuleusement dans chacun de ses rôles, vous oblige même parfois à supporter sa parole publique ou ses apparitions médiatiques. Parfois seulement, car il s'agit alors de la meilleure façon de briser l'envoûtement, celui qui vous avait fait prendre sa démarche et son regard pour une invitation, celui qui vous avait persuadé qu'elle était, au moins un peu, ce qu'elle jouait.

    Seuls certains rôles en effet comptent, et c'est bien cela qui rapproche cette naïve admiration cinéphile du sentiment amoureux : rien n'efface l'émotion de la première fois où l'on a saisi seul -où l'on a cru saisir seul- l'inquiétude d'un geste ou la volonté d'un pas, la grâce d'une posture ou l'hésitation d'un sourire, quand les autres autour, quand les spectateurs à côté, n'ont rien su voir. Peu importe tout ce qui se dévoile ensuite, tout ce qui se révèle sans surprise ni écart, tous ces parti-pris félicités d'avance et ces attentions désespérément communes, tous ces rôles attendus, ce déplaisant besoin de toujours mieux ressembler, puisqu'il y a eu, un jour, ce jardin découvert seul.

    Avoir été témoin d'une beauté fugitive sous le fard, d'une différence imperceptible sous la banalité du style, d'une bribe d'enfance derrière le sérieux d'une mimique convenue, d'une joie naïve soudain incontrôlée, réduisant à néant les simagrées de la désinvolture, c'est peut-être cela finalement qui lors d'émois amoureux comme à l'écran, m'a toujours rapproché des mêmes femmes, me faisant connaître des Claude Jade, des Juliette Binoche, des Donna Reed, des Mimsy Farmer et des Deborah Kerr, femmes douces à la beauté entêtante, au regard candide soudain noyé d'une peine incommensurable ou brouillé de désir, à la tendresse impérieuse et au silence opportun, femmes-enfants mues soudain par une volonté de fer, autant adolescentes rêveuses qu'amantes rêvées.

    Il y a une différence cependant : malgré le temps qui passe, je peux continuer à tout instant de croiser, sous son front buté, le regard chaviré de Véronique d'Hergemont dans L'Ile aux trente cercueils. Je peux retenir les larmes de l'Anna de Mauvais sang, poursuivre l'escapade d'Allonsanfan avec Francesca, tenter de réveiller le sourire de Soeur Clodagh du Narcisse Noir ou recevoir une fois encore le baiser de Mary Hatch dans La vie est belle. Le temps passé en compagnie de femmes réelles, et non plus de leur égrégore, aussi long et riche qu'ait été ce temps, ne m'appartient en revanche qu'à une seule condition : avoir su à l'époque conquérir l'instant, l'avoir débarassé de toutes ses contingences, même les plus poétiques, même les plus douloureuses, pour qu'il demeure mien à jamais. Et cela, au contraire des épiphanies toujours renaissantes de la machinerie cinéphilique, qui en sont justement les contre-feux, reste aléatoire. L'orgueil et l'impatience, la maladresse comme la dispersion, l'inconséquence en somme, s'emploient en effet à en rendre le succès bien hasardeux.

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    Le temps n’attend pas l’homme, et celui de la fin
    Moins que tout autre encore ; il est pressé, pressé
    D’une hâte surnaturelle et les instants
    Sont précieux, les instants sont des diamants
    Dont il est vain de vouloir faire une ancre aux montres,
    Un pivot pour le balancier du mécanisme
    Qui vous broie et fait un fantôme de vous
    Au lieu de vous laisser de moment en moment
    Les porter en collier ou comme une rivière.
    Votre instant est unique, et il est inusable ;
    Aussi le mien, et c’est pourquoi venez le prendre.

    Armel Guerne, Le rapt, in Rhapsodie des fins dernières.

     

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