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deborah kerr

  • UNE FEMME EST PASSEE

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    Il est difficile de savoir ce qui vous attache à une actrice, vous fait la suivre scrupuleusement dans chacun de ses rôles, vous oblige même parfois à supporter sa parole publique ou ses apparitions médiatiques. Parfois seulement, car il s'agit alors de la meilleure façon de briser l'envoûtement, celui qui vous avait fait prendre sa démarche et son regard pour une invitation, celui qui vous avait persuadé qu'elle était, au moins un peu, ce qu'elle jouait.

    Seuls certains rôles en effet comptent, et c'est bien cela qui rapproche cette naïve admiration cinéphile du sentiment amoureux : rien n'efface l'émotion de la première fois où l'on a saisi seul -où l'on a cru saisir seul- l'inquiétude d'un geste ou la volonté d'un pas, la grâce d'une posture ou l'hésitation d'un sourire, quand les autres autour, quand les spectateurs à côté, n'ont rien su voir. Peu importe tout ce qui se dévoile ensuite, tout ce qui se révèle sans surprise ni écart, tous ces parti-pris félicités d'avance et ces attentions désespérément communes, tous ces rôles attendus, ce déplaisant besoin de toujours mieux ressembler, puisqu'il y a eu, un jour, ce jardin découvert seul.

    Avoir été témoin d'une beauté fugitive sous le fard, d'une différence imperceptible sous la banalité du style, d'une bribe d'enfance derrière le sérieux d'une mimique convenue, d'une joie naïve soudain incontrôlée, réduisant à néant les simagrées de la désinvolture, c'est peut-être cela finalement qui lors d'émois amoureux comme à l'écran, m'a toujours rapproché des mêmes femmes, me faisant connaître des Claude Jade, des Juliette Binoche, des Donna Reed, des Mimsy Farmer et des Deborah Kerr, femmes douces à la beauté entêtante, au regard candide soudain noyé d'une peine incommensurable ou brouillé de désir, à la tendresse impérieuse et au silence opportun, femmes-enfants mues soudain par une volonté de fer, autant adolescentes rêveuses qu'amantes rêvées.

    Il y a une différence cependant : malgré le temps qui passe, je peux continuer à tout instant de croiser, sous son front buté, le regard chaviré de Véronique d'Hergemont dans L'Ile aux trente cercueils. Je peux retenir les larmes de l'Anna de Mauvais sang, poursuivre l'escapade d'Allonsanfan avec Francesca, tenter de réveiller le sourire de Soeur Clodagh du Narcisse Noir ou recevoir une fois encore le baiser de Mary Hatch dans La vie est belle. Le temps passé en compagnie de femmes réelles, et non plus de leur égrégore, aussi long et riche qu'ait été ce temps, ne m'appartient en revanche qu'à une seule condition : avoir su à l'époque conquérir l'instant, l'avoir débarassé de toutes ses contingences, même les plus poétiques, même les plus douloureuses, pour qu'il demeure mien à jamais. Et cela, au contraire des épiphanies toujours renaissantes de la machinerie cinéphilique, qui en sont justement les contre-feux, reste aléatoire. L'orgueil et l'impatience, la maladresse comme la dispersion, l'inconséquence en somme, s'emploient en effet à en rendre le succès bien hasardeux.

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    Le temps n’attend pas l’homme, et celui de la fin
    Moins que tout autre encore ; il est pressé, pressé
    D’une hâte surnaturelle et les instants
    Sont précieux, les instants sont des diamants
    Dont il est vain de vouloir faire une ancre aux montres,
    Un pivot pour le balancier du mécanisme
    Qui vous broie et fait un fantôme de vous
    Au lieu de vous laisser de moment en moment
    Les porter en collier ou comme une rivière.
    Votre instant est unique, et il est inusable ;
    Aussi le mien, et c’est pourquoi venez le prendre.

    Armel Guerne, Le rapt, in Rhapsodie des fins dernières.

     

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  • 120

    Elle est joliment inquiétante, à la manière de Deborah Kerr, avec cet air mesuré soudain trahi par un regard en coin, avec cet allant qui d'un coup disparaît sous l'assaut de souvenirs. Elle me regarde à peine, tarde à me reconnaître, et puis s'esquive en me serrant le bras avec douceur. Comment ensuite ne pas la regretter ?

    Tout commence par un crime sans témoin. Peu après, la curée contre le criminel supposé et la meute de ses soutiens, la réécriture de ce que pourtant tous ignorent, la multiplication des motifs, des raisons et des prétextes, la file d'attente des profiteurs et puis celle des confidents, les mensonges changés en évidence, les doutes devenus dogmes : l'affaire DSK n'est qu'une Genèse parmi d'autres.

    Lorsque deux cinéphiles jugent un film à l'identique, il y en a toujours un pour penser que l'autre rend les armes.

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  • IN MEMORIAM

    Tantôt le visage immobile et le regard doux, réprimant d'un frémissement du cou l'élan qui l'aurait fait rougir, tantôt gamine facétieuse, garçon manqué clignant de l'oeil mais trahi par de trop longs cils, elle était comme Moira Shearer de ces rousses tout ensemble réservées et ardentes.
    Bousculés sans cesse par des sentiments contradictoires, jamais déraisonnables et pourtant passionnés, ses personnages savaient mieux que personne donner à voir le tumulte du coeur et du temps trop vite passé.
    Si je ne devais retenir qu'ne chose de Deborah Kerr, ce serait ce geste de la main, presque identique des Innocents au Narcisse noir, si pudique malgré l'horreur, si élégamment féminin en plein coeur de l'effroi.

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