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mother of tears

  • CELLES QU'ON N'A PAS EUES (1/8)

    Plutôt que de claironner nos conquêtes (avec un peu de cynisme pour dissimuler la vanité) ou pleurer sur nos amours mortes (la rouerie pointant déjà son nez sous la peine), il faut sans doute un peu d'inconscience pour évoquer, comme dans l'émouvant film de Pascal Thomas, "celles qu'on n'a pas eues".

    Inconscience car parler de l'échec sans en tirer "une leçon de vie pour aller de l'avant", ou au contraire -car les attelages les plus contradictoires tiennent désormais lieu de morale publique- sans se lamenter bruyamment, paraît difficilement audible : battants et victimes, ces Janus face caméra, viennent sans cesse nous donner des conseils ou mauvaise conscience, et nous rappeler d'une même voix qu'une certaine distance n'est tout simplement plus tenable. Evoquer celles-ci cependant, sans crânerie déplacée ni plainte intempestive, peut servir à fixer une dernière fois avant l'oubli ce qui aurait pu avoir lieu, mais qui a fui.

    Voici en quelque sorte notre devoir de mémoire.

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    J. avait cette faculté qu'ont les enfants de se croire cachés lorsqu'ils regardent ailleurs. Elle s'absentait ainsi lorsqu'une discussion l'ennuyait ou la mettait mal à l'aise, comme Sarah Mandy qui dans Mother of tears, ce très beau film d'horreur sur l'enfance inconsolable et le pouvoir qui en découle, parvient à disparaître littéralement aux yeux de ses poursuivants lorsqu'elle s'efforce de ne plus penser à rien. J., bien souvent, ne pensait à rien. Elle avait alors ce regard profond qui laissait croire qu'elle avait tout compris de vous. Il était difficile de ne pas chercher en retour à la connaître mieux, mais il n'y avait rien à chercher : J., tout comme Sarah Mandy, se laissait porter par d'indistinctes bribes de drames et de joies inouïs, dont elle ne savait plus démêler la part du rêve, du conte et du souvenir. Il n'était pas question pour elle d'en parler, tout juste de les évoquer mystérieusement, en versant de temps à autre une larme les yeux rieurs. Elle se mit à fréquenter, quelques mois après notre maladroite rencontre, un poète adepte de longues marches qui citait Blanchot dans le texte (il lui avait offert un podomètre) ; j'ignore si leurs randonnées demeuraient silencieuses. Ensuite elle partit pour Vienne et peut-être y vit-elle encore.

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