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RECYCLAGE

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Tombé hier par mégarde sur l'épouvantable Equipier de Philippe Lioret, j'ai ressenti à nouveau cette amertume, bien identifiable désormais, qui me saisit lorsque je m'aperçois qu'un gamin ignore tout des péripéties de contes autrefois populaires (alors qu'il récite par coeur les fiches d'identité d'une kyrielle de héros modernes), qu'une femme ne sait pas s'abandonner (alors qu'elle se fait fort, en matière de coïts, d'être au courant de toutes les variations programmables), qu'un ami pourtant proche ne se souvient plus d'un voyage commun (alors qu'il date d'à peine cinq ans).
Il y a une sorte de sentiment qui s'apparente à de la mélancolie stupéfaite, à réaliser que ce qui est subtil ou discret, ne se perpétue pas, que les mythes collectifs, circulaires et douloureux, laissent la place aux schémas acculturés, que l'art de se laisser aimer se perd dans celui d'uploader, avec hygiène, des accords techniques, que les moments partagés, même lumineux, se gâchent par leur répétititon même. Leone, en contemplant la plaine morne et surpeuplée des westerns-spaghetti, se lamentait qu'étant "père du genre, il n'ait eu que des enfants tarés". J'ignore si Sautet pensait la même chose du genre qu'il a en quelque sorte inventé, cette poésie réaliste ensuite déformée, désacralisée, dévastée par l'engeance des académiciens de toute obédience, qui ont fait des instants magnifiques de retenue de ses cafés sous la pluie, des brèves de comptoir. Les mélodrames sociaux qui se réclament bruyamment de son patronage, ne sont en tous cas plus rien d'autres que des copies se faisant porter pâles, des leurres, de la beauté perdue.
Chat de Pagnol en clin d'oeil transitionnel, phare phallique sous les éléments déchaînés, coeurs croisés en contrechamps appliqués, orgasme sur feux d'artifices, regards qui en disent long sous le travelling avant, rien ne nous est épargné, et rien ne bouge malgré les embruns filmés de biais pour que l'émotion tangue, rien ne chauffe malgré les fronts plissés et brûlants sous les spots, car tout est mort, entre dévotion et désinvolture, embaumé dans le corset du film de jeunesse mixé par un vieux de la vieille (le syndrome Beineix, les fumigènes et les seins nus des années 80 en moins).
Cet artisanat précautionneux, qui sue sang et eau, c'est la vérité du cinéma d'aujourd'hui.

(La critique la plus involontairement cruelle vient de Première, lorsque son rédacteur s'enthousiasme qu' "avec un sens très aigu de l'observation, Lioret décrit la complexité des interactions entre individus (et que) cette dimension nouvelle fait faire à Lioret un saut qualitatif qui le situe, dans le registre subtil des drames intimistes aux côtés de cinéastes comme Patrice Leconte")

Lien permanent 5 commentaires

Commentaires

  • Cinématique....ton univers impitoyable !...

  • Mais... On repasse les plats, Ludovic ? Je sais bien que la télévision a justement repassé L'Equipier, mais tout de même ! (rires)

  • Oui, Jacques, justement, c'était une mise en abyme à peu de frais !

    laure L, je vous conseille en passant, dans le registre "impitoyable", la note chez Hyppogriffe.

  • C'est amusant, hier soir, en faisant une recherche sur le film de Lioret, je suis retombé sur votre note de 2006. Je suis trop dans Ford pour tenter une nouvelle défense, mais vous savez que j'aime beaucoup ce film. L'arrivée de Berangere au phare, ça me fait toujours penser à Wayne à la fin de "L'aigle vole au soleil".

  • Je sais bien, Vincent, mais je suis ouvert à vos arguments ! (Je dois partir en congés de façon imminente et je n'ai donc pu préparer quelque chose de valable pour Ford, mais je ne vous surprendrai pas en vous disant que vos différents textes sont remarquables)

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