Je vous propose aujourd'hui un texte de Jacques Sicard sur "Les promesses de l'ombre" qui pointe la dernière mutation à l'oeuvre chez Cronenberg :
Longtemps, l’homme de Cronenberg eut quelque chose du faune : poitrine glabre et cul de bouc ; sa mutation, limitée à l’organique, maintenait fût-ce péniblement le même dans l’autre, conservait une dissemblance essentielle entre eux et d’abord par le moyen du langage. Longtemps, la phrase de cet homme ancien, comme n’importe quelle phrase, s’écrivit à côté des choses, fausse jumelle, même au comble de sa banalité, c’est-à-dire à son degré le plus haut d’intimité avec elles. Il n’était pas, ce fendu, ce divisé, cet homme au rat, commode à vivre.
Mais la politique carnée de l’auteur de Faux semblants, parce que politique, devait fatalement recouper un jour la gestion fanatisée des affaires, et ainsi passer de la mutation physique à la transparence totale, à la libre circulation de toutes les qualités à travers tous les états unifiés de l’être (par exemple, non pas le bon et le mauvais, qui est tension, mais le bon dans le mauvais ou l’inverse, qui est collaboration) bref, une sorte de capitalisme ontologique ;
passer du mot qui « est la mort de la chose » au tatouage qui l’exalte, à la peau comme page d’écriture, à la peau vivante comme page d’écriture non-symbolique, autrement dit qui ne la brûle pas, ne la brûle plus, mais dont la gravure vassale au contraire fait la publicité de l’empire du corps ; passer de l’homme au rat au roi des rats.
Les promesses de l'ombre, de David Cronenberg
Photographie de Jean-Baptiste Mondino
Commentaires
Ludovic, je me suis permis de faire un lien avec ton site sur celui de Jean Paul Brighelli, j'espère que cela ne fait pas rougir ta modestie naturelle ?
Je vous remercie au contraire de diffuser chez des lettrés, les ciné-poèmes de Jacques Sicard !
Pardon ? Sicard fait de l'esprit, c'est bien, mais il faudra qu'il nous démontre, autrement qu'en prose ampoulée - deux ou trois aphorismes ou images poétiques n'auront jamais valeur d'argument -, en quoi le corps tatoué de Nikolaï serait exaltation de la chose, symbole du non-symbolique ou publicité de l'empire du corps...
Le mot est la mort de la chose, écrit lacan. Autrement dit, les mots ne sont pas là "à la place" des choses, comme une forme affaiblie de leur présence. C'est l'absence des choses qui fonde les mots, qui inscrit leur sens dans un renoncement à la perception sensible du monde. Or, le tatouage, le signe tatoué, notamment ici sur le corps sculpté de Nikolaï, et tel que chaque cadre outrageusement l'expose, chaque cadre construit pour qu'on ne voit que cela, fait à l'inverse la publicité de son support de chair modelée, avant d'en faire le commerce.
Outrageusement est le mot juste !
Un argument peut être mauvais et un aphorisme ouvrir sur une vérité. Par exemple, cet aphorisme de Lichtenberg, cité de mémoire et quelque peu adapté, applicable à Transhumain, "passé petit-maître dans l'art de relever les faiblesses de ceux qui valent mieux que lui".
Dans les plans de Cronenberg qui lui sont consacrés, le tatouage ou le mot graphique sur le corps durci aux agrès de Nikolaï en surligne chaque muscle dans le sens de la brutalité. Il n'y a plus contradiction ou éclipse du monde par le mot, mais valorisation marchande de celui-là par celui-ci.