Je vous propose aujourd'hui un texte de Jacques Sicard sur "Les promesses de l'ombre" qui pointe la dernière mutation à l'oeuvre chez Cronenberg :
Longtemps, l’homme de Cronenberg eut quelque chose du faune : poitrine glabre et cul de bouc ; sa mutation, limitée à l’organique, maintenait fût-ce péniblement le même dans l’autre, conservait une dissemblance essentielle entre eux et d’abord par le moyen du langage. Longtemps, la phrase de cet homme ancien, comme n’importe quelle phrase, s’écrivit à côté des choses, fausse jumelle, même au comble de sa banalité, c’est-à-dire à son degré le plus haut d’intimité avec elles. Il n’était pas, ce fendu, ce divisé, cet homme au rat, commode à vivre.
Mais la politique carnée de l’auteur de Faux semblants, parce que politique, devait fatalement recouper un jour la gestion fanatisée des affaires, et ainsi passer de la mutation physique à la transparence totale, à la libre circulation de toutes les qualités à travers tous les états unifiés de l’être (par exemple, non pas le bon et le mauvais, qui est tension, mais le bon dans le mauvais ou l’inverse, qui est collaboration) bref, une sorte de capitalisme ontologique ;
passer du mot qui « est la mort de la chose » au tatouage qui l’exalte, à la peau comme page d’écriture, à la peau vivante comme page d’écriture non-symbolique, autrement dit qui ne la brûle pas, ne la brûle plus, mais dont la gravure vassale au contraire fait la publicité de l’empire du corps ; passer de l’homme au rat au roi des rats.
Les promesses de l'ombre, de David Cronenberg
Photographie de Jean-Baptiste Mondino