Le cinéphile ne regarde jamais qu'un seul et unique film, lequel voit les ballerines se jeter au cou des soudards, les voiliers se mirer dans une pupille irisée, les baisers faire tenir ensemble les ruelles, les ports et les forêts. Un seul et même film où les derniers mots d'une rencontre s'enchaînent aux premiers pas d'une traque, où les portes grillagées s'ouvrent sur des déserts multicolores, où l'on se salue en claquettes et s'échappe en cavalcades, où l'on se poursuit échevelés autour d'une simple table en bois clair sur laquelle, au canif maladroit, tout est gravé depuis le début. Un film qui laisse les ogres parler aux vamps, les lycéennes défier les sauvages, les mélodies entêtantes se perdre dans la brume des fumigènes et les cuisses lacérées briller sous des lunes en carton. Un film de miroirs en quinconce, de trompe-l'oeil en enfilade, d'échos à n'en plus finir, qui laisse ses victimes exténuées, jamais sereines, toujours en retard d'une correspondance. Un film où Thésée comprend enfin qu'il est sous le joug d'Ariane, et ne la cherche que parce qu'il l'a déjà trouvée.
ariane
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CINEPHILIE
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ARIANE MENT
Maigrichonne Ariane, que l’on ne saurait par où saisir pour avoir quelque chose sous la main, Ariane a un crâne qui affleure sous la peau – mais une peau dont le grain est de beauté – la beauté même – celle qui ment – et Ariane ment – elle ment, comme la beauté qui ne dure pas – elle ment d’aimer – mentir, c’est le moyen sans lendemain d’accorder les désirs de même nom mais de sens différent – Ariane s’invente un personnage de fiction pour séduire un homme qui ne goûte que la chair fraîche – folie ? – peut-être pas – il en va de certains mensonges comme de la beauté : savoir le néant qu’ils cachent, loin de les flétrir, les fait préférer à tout – les détours de la vieille vie auront beau éventer le romanesque d’Ariane, mettre bas ses masques, et montrer nu son crâne, rien ne pourra faire, à la fin, que le jouisseur, homo erectus moyen, celui qui porte un gland en guise de tête, ne choisisse de se blottir, cœur brisé, comme dans une cachette, au fond de ses yeux d’amande amère.
(Jacques Sicard)