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jacques tourneur

  • HOMMAGE A JACQUES TOURNEUR

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        Fils de Maurice Tourneur - le cinéaste de Volpone (1941) et de La Main du Diable (1942)-, Jacques Tourneur a tourné l’essentiel de ses films aux Etats-Unis, entre le début des années 40 et la fin des années 50. Comme c’est dans le film de genre (fantastique, policier, western) qu’il aura le plus travaillé, certains le considèrent comme un petit maître, alors que c’est justement à l’intérieur de ces univers très codifiés qu’il aura le mieux su déployer sa singularité, notamment  son sens de l’intrigue et son génie de la suggestion, parvenant par la seule mise-en scène à susciter le malaise, l’angoisse voire la terreur. Dario Argento saura d’ailleurs s’en souvenir, en particulier dans la séquence du jardin de Quatre mouches de velours gris (1971) qui reprend celle du cimetière de L’Homme-léopard (1943), avec cette peur instillée grâce à l’insistance du hors-champ et au découpage basé sur les modifications sonores. Avec La Féline (1942) et Vaudou (1943), ce dernier film compose une sorte de trilogie fantastique, se passant des trucages et des machineries, pour ne se consacrer qu’à l’atmosphère envoûtante que les correspondances entre zones d’obscurité et halos lumineux, mouvements d’appareils et échelle des plans, font naître. Bien plus que les fables psychanalytiques peu inspirées qu’Hollywood déclinera bientôt, Tourneur opère là une emprise purement esthétique sur l’inconscient du spectateur, lequel ne se retrouve jamais que devant lui-même, avec ses craintes et ses doutes soudain exhaussés.

        Mais Tourneur n’est pas seulement ce montreur d’ombres, ce fabricant de rêves éveillés, il est aussi un cinéaste classique de la plus belle eau, et un très subtil analyste des comportements humains, notamment de la psyché féminine (sa violence latente, sa quête de simulacres, son insensée témérité). A travers les personnages de la vamp dans La Griffe du passé (1947) ou du capitaine Anne Providence dans La Flibustière des Antilles (1951), il aura ainsi offert des portraits de femmes contrastés, entre candeur et brutalité, tranchant avec l’uniformité d’Hollywood. Quant à ses westerns, dont le  très beau Wichita (1955), ils se révèlent garantis sans délayage psychologisant : des tragédies pures, portées par une impressionnante rigueur.

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  • CORRESPONDANCES (16)

    Des frondaisons gentiment éclairées, des jeux de couleurs et des ombres imprécises, un bruissement doux : au cinéma, les jardins viennent agrémenter les idylles, sertir quelques courses-poursuites, rajouter au décor compassé ce qu'il lui faut d'élégance désuète. Un couple s'étreint mollement sous le feuillage avant de prendre la pose, des messieurs bien tranquilles et des dames affairées remontent les allées, s'attardent aux cascades, se saluent entre les branches. Des enfants courent au loin. Les jardins de cinéma ne sentent pas grand-chose. On les traverse sans s'attarder, pressé de quitter ces lieux sans mémoire ni affect. De Tavernier à Beineix, ils sont à l'image d'un cinéma décoratif, un cinéma d'agrément sans trop de chausse-trappes ni d'inquiétude.

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    Mais l'ombre du bosquet peut se faire menaçante. Derrière la haie, à bien écouter, quelque chose se trame. Les parfums qui deviennent entêtants, un cliquetis, un vêtement apparemment oublié, il n'en faut pas plus pour redonner à ces buissons bien ordonnés, une allure funèbre. Il y a un autre cinéma que celui qui vient avant tout réconforter. Un cinéma parfois instable et maladroit, plein d'embardées et de détours. De Tourneur à Argento en passant par Greenaway, le jardin devient traquenard, et puis tombeau. La dernière illusion de liberté avant la mise à mort du sujet.

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  • LEOPARD

     

    l'homme-léopard, jacques Tourneur

    l'homme-léopard, jacques Tourneur

    « Un léopard sème la panique à 60 km de Delhi. Parvenu à entrer dans un hôpital et un cinéma, il blesse sept personnes puis échappe à ses poursuivants » (AFP).

     

    Comparativement aux deux premiers films de sa trilogie fantastique tournée au début des années 40 (La Féline et Vaudou), L'Homme-Léopard de Jacques Tourneur est en général jugé décevant, ses admirables scènes d’horreur nocturne s'intégrant mal dans un récit poussif et convenu. Or c'est justement ce déséquilibre qui alimente l’angoisse du spectateur et cette forme paroxystique qui en accroit l’emprise. A l’instar de ce léopard indien galopant brièvement sur la pelouse d’un jardin public, ou bondissant de la façade en stuc d’un cinéma, une présence s’avère d’autant plus violente qu’elle est incongrue, d’autant plus terrifiante qu’elle s’évanouit déjà.

     

    C’est aussi une morale esthétique : l’apparition d’un style sur le mode de l’exacerbation, vaut toujours mieux que la stylisation permanente des codes, ainsi neutralisés. L'envolée poétique impromptue demeure source d'émerveillement, quand la constance d’un maniérisme entretient l'ironie. N’importe quelle particularité, même inconvenante, est en somme préférable au lissage identitaire.

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  • QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS

    quatre mouches de velours gris,dario argento

    Quatre mouches de velours gris (1972) est sans doute l'un des plus beaux films de Dario Argento, ne serait-ce que par sa façon incroyablement souple de mêler burlesque et terreur, douceur érotique et bouffées de sadisme, rationalisme morbide et délire onirique. S'il y paie dûment son tribut à certains maîtres (Mario Bava, Jacques Tourneur), s'il inscrit dans l'imaginaire des cinéastes américains des décennies suivantes, des thèmes récurrents servi par un découpage obsessionnel (De Palma, Lynch), l'intérêt de ce film est surtout de poser, à travers les trois grandes séquences de meurtres qu'il déroule avec maestria (la bonne, la maîtresse, l'enquêteur), les règles intangibles de son cinéma.

    La première a lieu dans un jardin public, après la fermeture. La jeune femme a beau presser le pas puis courir à perdre haleine dans les allées, se glisser entre les failles de plus en plus étroites du mur d'enceinte, essayer même de l'escalader, elle sera rattrapée. Toute fuite est illusoire. La deuxième suit une autre jeune femme, cette fois à l'intérieur d'une maison. Se sachant épiée et menacée, celle-ci finit par se cacher dans une toute petite pièce à l'étage, à l'intérieur d'une armoire, sans pouvoir cependant échapper à son poursuivant. Tout refuge est un piège. La dernière conduit un détective privé à prendre en filature une silhouette qui sans cesse se dérobe (et que nous ne voyons jamais), dans les rues de Turin puis les wagons et les couloirs du métro, jusqu'aux toilettes publiques où il finit assassiné. L'attention visuelle la plus soutenue ne peut empêcher le voyeur de courir à sa perte.

    Ainsi, la filmographie d'Argento décline-t-elle de mille et une manières ces trois préceptes impitoyables, ne cessant de nous montrer des victimes en leur fuite inutile, au creux de leur cachette-tombeau, ou bien en cours d'exploration minutieuse d'un espace où s'inscrit déjà leur chute. Ce pessimisme esthétique, à la charnière des années 60 et 70, paraît alors autant moral que politique : il n'y a pas de libération à attendre des échappées psychédéliques ou des ruptures subversives qui invariablement tournent en impasse ; il n'existe plus de valeurs sûres ou de principe intangibles derrière lesquels se réfugier à bon compte ; il ne reste qu'à saluer le règne délétère et sans partage de la fascination, emprise formelle emprisonnant le regard pour mieux conduire à la mort du sujet.

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