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  • P'TIT QUINQUIN, DE BRUNO DUMONT

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    Nous irons dans la cour de Jeannette-aux-Vaches
    Voir les marionnettes. Comme tu riras,
    Quand tu entendras dire : "Un sou pour Jacques !"
    Par le polichinelle qui parle mal.
    Tu mettras dans sa menotte,
    Au lieu de sou, un rond de carotte !
    Il te dira merci !...
    Pense comme nous aurons du plaisir !...

     

    (Extrait de Le P’tit Quinquin, berceuse écrite par Alexandre Desrousseaux, poète lillois, en 1850)

     

     

     

    P’tit Quinquin est le nom d’une série réalisée par Buno Dumont et diffusée il y a quelques mois sur Arte. Désormais disponible en dvd, elle apporte la preuve éclatante qu’il existe une alternative aux fictions françaises lisses et vertueuses comme aux productions américaines riches d’énigmes mais dénuées de mystère. Pourquoi faut-il absolument la voir ? Pour au moins les sept raisons suivantes.

     

    Parce que cette série télévisée en quatre épisodes récapitule avec candeur et dérision tout l‘œuvre de Bruno Dumont, depuis La vie de Jésus et L’humanité, jusqu’à Camille Claudel 1915, en passant par Flandres et Hadewijch, mêlant jusqu’au paroxysme amours indélébiles et Mal insaisissable, paysages intérieurs et quête existentielle, étreintes secrètes et regards longuement croisés. La candeur, car Dumont continue de croire à ce cinéma de l’évocation, de l’épiphanie et du filigrane, à ce cinéma bressonnien, à l’époque des simagrées martelées sans recul. La dérision, parce qu’il s’amuse aussi de ces figures et de ces thèmes, leur insufflant de la vie, autrement dit de l’imprévisibilité, avant qu’ils ne se figent, là encore en totale contradiction avec un cinéma moderne qui à défaut de profondeur, surjoue l’esprit de sérieux et plutôt que proposer, entérine.

     

    Parce que c’est une série française qui ne fait pas de la morale-fiction, qui ne se veut pas, comme tant d’autres, une ode poussive à un vivre-ensemble en carton-pâte, énumérant ses idéals-types au lieu d’oser le réel. Ici les accents sont à couper au couteau, les silences profonds et les injures sans retenue ; ici les grandes déclarations et les gros mots se succèdent sans souci de dosage ou d’équilibre, sans l’habituel corollaire de moraline, contrepoint rassérénant venant nous expliquer que tout va pour le mieux. Loin d’un cinéma paroissial qui ne s’efforce plus que de calmer le jeu, P’tit Quinquin n’est pas une série à la gloire des gentils.

     

    Parce que pour la première fois, Dumont mêle la farce au drame, parvenant selon la durée de ses plans ou le montage de ses séquences, à faire naître aussi bien le malaise que le rire. Pour ceux qui ricanent au premier mot de patois et s’esclaffent à la moindre chemise dépareillée, tout cela est la preuve que le cinéaste se moque de ses personnages, alors que l’humour de P’tit Quinquin réside moins dans les trognes et les manières outrées de ses personnages -plus insolites que drôles-, que dans les ratés, les répétitions ou les excès de leurs apparitions-disparitions. C’est ainsi qu’il parvient à donner de l’extravagance aux passages obligés et de la poésie fantasque aux rituels démonétisés. Absence de mépris de classe, hommages à Tati comme à Jean-Daniel Pollet : P’tit Quinquin, c’est l’anti-Deschiens.

     

    Parce que la figure majeure de son cinéma, le champ/contre champ contemplatif, trouve ici sa quintessence, tenant à distance raisonnable aussi bien l’effet de réel qui fascine à bon compte, que le symbolique qui désincarne. On assiste même ici à troublant retournement : ce sont bien ce cadavre, ces vagues, ce cheval ou cette colline qui nous regardent, qui évaluent notre capacité à les lire jusqu’au bout, jusqu’à Rubens et jusqu’à l’enfance. Malgré son format télévisuel, P’tit Quinquin est bien du cinéma, ne serait-ce que parce qu’il a l’audace, en un temps où les techniques de diversion s’affinent toujours davantage, de réclamer du spectateur un regard prolongé.

     

    Parce que l’auteur de Camille Claude 1915 est l’un des rares cinéastes contemporains à oser montrer à l’écran des handicapés mentaux sans rien édulcorer de leur anormalité. Comme lorsqu’il avait tourné avec les patients d’une Maison d’Accueil Spécialisée, Dumont sait les filmer en se tenant à l’écart de la pudibonderie documentaire comme du grand-guignol spectaculaire, simplement en leur laissant le temps d‘être à l’écran. La gageure étant bien de faire passer le spectateur de la gêne à l’acceptation sans perdre en route l’étrangeté d’une présence ou l’anomalie d’une relation. P’tit Quinquin, c’est à deux pas de soi, le vertige de l’altérité.

     

    Parce que le cinéaste y poursuit son exploration amoureuse du Nord de la France, cette fois dans le Boulonnais. De Bailleul à Audresselles en passant par Ambleteuse, forts de leurs paysages hiératiques et de leurs femmes silencieuses, de leur nuancier gris, vert et brume, de leurs majorettes et de leurs fanfares, de leurs fermes et de leurs monastères, ses films ne célèbrent pas une région folklorisée (c’est-à-dire dénaturée), mais en exaltent l’âme, affrontant ses grandeurs et ses ridicules sans jamais s’effaroucher, la dénichant dans le gras de la terre, au détour de chemins creux, dans ces repaires entre buttes et galets qui servent de refuge où s’aimer. Regards qui s’ancrent et trivialité majestueuse de gestes immémoriaux : P’tit Quinquin magnifie le lien charnel qui unit un territoire à ceux qui l’arpentent.

     

    Parce qu’en confrontant la sauvagerie au plaisir, le courroux à la vengeance et l’amour au mal, Dumont continue de sonder la nature humaine sans se rattacher au schématisme chrétien, fidèle en cela à cette déclaration remontant à presque dix ans, où il assurait se sentir « plus proche des archétypes de la mythologie gréco-latine que des Pères de l'Eglise ».  Les tourments et les victoires qui s’y déroulent ne condamnent en effet pas plus à l’affliction complaisante qu’à l’angélisme mièvre : sans sermon ni componction, P’tit Quinquin est un film à la noirceur cathartique et à l’humour dévastateur.

     

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    Elles l'écoutent, un peu parties, un peu lasses, plus sensibles au rythme de ses phrases qu'à leur sens, levant leur verre aux subjonctifs, ricanant à l'argot policé qu'il essaime avec componction, reprenant même en choeur les plus belles saillies. Ses opinions de collégien font mouche grâce à quelques poses bien étudiées, tandis que sa morgue remplace aisément toute nuance. Tout enflé de lui-même, il explique le monde avec certitude, prenant même les réticences pour des aveux.

    Le besoin de transparence n'est pas le fait du philantrope mais du paranoïaque.

    Dans Mon oncle, Tati suit à la lettre les propos de Pascal ("Le vivant ne devrait jamais, selon notre attente, se répéter de façon complètement similaire. Là où nous trouvons une telle répétition, nous soupçonnons à chaque fois qu'un mécanisme se trouve derrière ce vivant"), en créant des personnages maniérés aux gestes de robots et aux postures de mannequins. C'est cela même, cet inattendu, qui fait sourire (le rayon de soleil sur la cage engendre immédiatement le chant de l'oiseau), rire jaune (les dérives techniciennes) ) ou s'esclaffer (les outils improbables qui fabriquent une nouvelle façon de se mouvoir et de se relier aux autres). Le rire au cinéma ne peut cependant plus être bergsonien, et naître de cette "mécanique plaquée sur du vivant", puique depuis 1957, les gadgets sont devenus plus absurdes encore mais sont désormais acceptés sans discussion, et sans que personne surtout n'imagine pouvoir en rire. Le vivant mécanisé fonctionne à présent selon notre attente.

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