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LES OISEAUX D'AVANT

Lorsque j'étais enfant, en vacances, nous entendions souvent passer au-dessus des arbres du jardin, un pic-vert affolé dont le cri répétitif annonçait l'orage. Mon père m'en avait montré de somptueux dessins, soulignant la vivacité de ses couleurs (ailes vertes, ventre blanc, croupion jaune et calotte rouge) ainsi que sa grande timidité. De fait, malgré mon attention extrême, je ne parvins jamais à distinguer autre chose qu'une silhouette effilée, peut-être verte, s'engouffrant en toute hâte sous l'ombre lointaine des peupliers.
Les années passèrent. L'impatience, puis la frustration, enfin l'indifférence : le pic-vert pouvait toujours chanter, je ne levais plus la tête, certain de le manquer. Je commençai à ne plus venir aussi souvent dans la maison des vacances, car d'autres événements autrement plus importants me retenaient ailleurs : je devenais un homme. Mon père en revanche s'y installa. Parfois, après une brève visite, je me retournais en haut de la côte pour le saluer à travers le pare-brise. Il faisait de même, de dos, là-bas près des ormes. Nous ne savions que nous dire. Je faisais semblant de ne pas voir qu'il vieillissait, il faisait mine de s'intéresser à mes projets. J'étais absent, trop affairé sans doute, lorsqu'il mourut à l'hôpital, essouflé et mutique.
C'était il y a quatorze ans. Il y a quelques semaines, j'ai reconnu le cri dans le petit jardin entouré de tuyas qui borde notre maison. M'approchant j'ai vu deux pic-verts, en couple probablement, gros comme des geais, qui s'envolèrent à ma venue, sans m'empêcher de longuement les reconnaître. J'ai appelé ma fille qui a accouru avant de repartir, vaguement déçue de cette ombre peut-être verte qui disparaissait derrière la clôture.
Depuis, ils sont là tous les soirs, me regardant derrière la vitre, ni accusateurs ni réconfortants, sans énigme, simplement disponibles. Et j'attends la venue ce battement de coeur qui résonnait si fort en ces temps éperdus.

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Kes, de Ken Loach

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Le samouraï, de Jean-Pierre Melville

Lien permanent 11 commentaires

Commentaires

  • Vous avez le don pour me faire chialer...

  • Dites Ludovic, on a du vous le dire cent fois mais ce texte est tellement beau qu'une seule question me brûle les lèvres : pourquoi ne pas faire un livre de ces souvenirs?

  • "Depuis, ils sont là tous les soirs, me regardant derrière la vitre, ni accusateurs ni réconfortants, sans énigme, simplement disponibles."

    ...Trop disponibles pour le battement de coeur attendu? métaphore de tous ces films...?

  • La mise en regard de ces deux images, de ces deux films est bouleversante, Ludovic : la vie ce devrait être ce qu'il y a entre l'apprentissage et le souvenir, mais à peine a-t'on appris à sourire que l'autre a disparu.

  • Merci de votre lecture attentionnée...

    (ce n'était pas voulu, anonyme, mais effectivement, la plupart des films que l'on peut revoir en étendant le bras vers l'étagère, perdent tout mystère...sauf certians justement, sans doute les seuls qui comptent)

  • Les paroles s'envolent, à tire d'ailes (de pic-vert ?), mais, grand bien nous fasse, vos écrits resteront. Et Kes que c'est bô !

    Thierry

  • Un film sur le début. Un film sur la fin. Entre les deux, l'oiseau a-t-il pris son envol ? Je n'ose même pas poser la question, tellement j'ai peur de la réponse.

  • Vous savez Joachim, l'envol bien sûr, mais on le voudrait plus vif, plus haut, plus sinueux, en fait différent, alors que non.
    Merci Thierry...

  • C'est vrai : les films en DVD qu'on a chez soi finissent par ne plus sortir de leurs boîtiers. Comme si c'était trop facile, comme si la facilité finissait par ennuyer, comme si l'on avait besoin d'attendre, de désirer le film, d'espérer qu'une salle le reprenne un jour ou qu'il soit diffusé à la télévision. Ce qui était le cas avant la vidéo : on attendait parfois des années. C'est donc comme si la vidéo s'était tuée elle-même, comme si la parution en DVD (parfois attendue avec impatience, pourtant) effaçait le désir de l'oeuvre, ensuite. Curieux. Cela dit, on sait bien que, dans tous les domaines, le désir vaut mieux que sa réalisation, l'espérance mieux que l'aboutissement. Souvent.

  • Bel instant de grâce en effet.
    Salutations à vous Ludovic.

  • Oui, Jacques, et le cinéma était un objet de désir phénoménal, désormais éteint pour la plupart des spectateurs, je le crains, par la "proximité" du dvd, mais ce faisant il devient un objet d'expérimentations et de réassurance, ce qui n'est mieux ni pire, juste différent.

    Merci Othellorynque !

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