Il y a ce terrifiant "couloir de 15 mètres", dans le Garde à vue de Claude Miller, distance infranchissable entre la chambre du notaire Martineau et celle de son épouse qui se refuse à lui. Le travelling avant se dirige lentement, dans la semi-obscurité, vers la porte du fond, entrouverte puis refermée. Esseulé d'une autre manière, Simonin, chez Pierre Jean Jouve, "se heurtait aux parois noires du petit couloir carrelé, malodorant, chez la cousine. Aucune lumière. Petit tube noir qu'il sentait de chaque côté, au bout duquel une porte sans doute laissait passer par en haut un trait mince de clarté douloureuse."
Le mystère féminin s'éloigne (ou s'épuise ?) à mesure qu'on le cerne. Tout rapprochement (même le plus intime) en décuple secondairement l'inaccessibilité. Cette distance inspirant la crainte ou l'inquiétude, toujours contemporaine d'une femme qui se dérobe, c'est l'escalier filmé en plongée dans Vertigo d'Hitchcock, le souterrain semblant s'étirer dans Body double de de Palma, cette aristocrate qui le long de la perspective symétrique du jardin anglais, dans le Draughtsman's contract de Greenaway, perd peu à peu ses vêtements à chaque buisson contourné.
Le plan américain consacre les couples modèles (après ou avant bien des épreuves), les discussions en écho, le champ/contrechamp égalitaire ; le plan-séquence joue sur le flux, le temps qui fuit, l'asymétrie des parcours. Là où les différences s'abolissaient frontalement, dans un simulacre d'union, la distance maintenant se creuse. Dans Le bûcher des vanités, à deux reprises, le malheureux Sherman Mc Coy voit s'échapper une femme de dos, tentant durant un bref plan-séquence en caméra subjective de la rattraper : sa femme vers les monumentales cuisines de son appartement, sa maîtresse dans la cohue d'une réception.
L'effrayant corridor est bien là : malgré ces quelques mètres, jamais il ne pourra les rattraper, elles lui échapperont toutes deux, dans la profondeur de champ sans pitié qui rend, comme chez Lévinas, l'altérité inatteignable.
Commentaires
Votre couloir est donc un puits, et l'écart entre les êtres toujours une chute. Très belle évocation cinématique !
Le personnage de Romy Schneider est tout simplement effroyable. C'est peut-être le personnage féminin le plus effroyable du cinéma français des années 80.
Il me semble avoir voulu exprimer un sentiment voisin :
http://ruinescirculaires.free.fr/index.php?2005/12/13/145-nous-ne-vieillerons
Merci Louison : il ne sert à rien de garder ses distances, l'écart se creuse toujours de lui-même.
Oui, Julie, une femme dont la froideur n'était qu'une manière de masquer la mort déjà à l'oeuvre, une héroïne de Poe en quelque sorte.
Très juste, cher P/Z, et la phrase de Levi-Strauss dit tout.
Les couloirs les plus longs sont aussi les plus beaux ...
Superbe texte (comme d'habitude) qui me rappelle un autre couloir cinématographique : celui de "Serene Velocity" d'Ernie Gehr, film minimaliste carrément hypnotique jadis découvert à l'Etrange Festival...
Ce n'est pas faux, iPidiblue, la promiscuité est bien souvent laide.
Merci Damien. Je ne connais pas ce film en revanche.