Geneviève Bujold
(1942 - )
Sa fraîcheur dans L'Incorrigible, de Philippe de Broca (1975)
Sa fragilité dans Obsession, de Brian de Palma (1976)
Son ambivalence dans Un autre homme, une autre chance, de Claude Lelouch (1977)
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Geneviève Bujold
(1942 - )
Sa fraîcheur dans L'Incorrigible, de Philippe de Broca (1975)
Sa fragilité dans Obsession, de Brian de Palma (1976)
Son ambivalence dans Un autre homme, une autre chance, de Claude Lelouch (1977)
Dans Cure for life (Verbinski, 2017), un homme est pris au piège d'un Institut de bien-être suisse, vaste château labyrinthique cachant de noirs desseins sous ses thermes immaculées. Il ne trouve de l'aide qu'auprès d'une très jeune fille lui apparaissant autour de bassins, de piscines ou de baignoires, et qui lui sert de guide jusqu'à l'évasion finale.
Cette figure qui lie l'étrangeté à l'innocence virginale, et se révèle salvatrice, rappelle la Narf de La Jeune fille de l'eau ( Shyamalan, 2006), sorte de nymphe des eaux tout aussi inadaptée à son environnement, aux intentions tout aussi pures, et qui elle aussi révèle à lui-même le héros masculin, précisément à partir du moment où celui-ci lui vient en aide.
On peut y reconnaître une figure inversée de la Sirène nordique, puisque ces femmes-enfants aux longs cheveux mouillées, à la peau diaphane et humide, si elles attirent à elles les hommes par leur fragilité, et font mine d'avoir besoin d'eux, ne cherchent finalement pas à les perdre mais bien à les sauver. Ces films aussi sérieux qu'ils soient, sont ainsi dans la droite lignée de la comédie Splash (Howard, 1984), fable mièvre confrontant une authentique sirène à un jeune entrepreneur passant à côté de l'essentiel jusqu'à cette rencontre inespérée.
On pourra constater en tous cas que cette série de films assainit ce lien entre les femmes et l'élément aquatique, synonyme il y a encore quelques décennies, de Péché mortel (Stahl, 1947) à Vertigo (Hitchcock, 1958), de menace, de piège et même de mort, comme l'aura finalement résumé sans équivoque de Palma dans Femme fatale (2000). Mais il s'agissait encore là d'un film d'arrière-garde, et critiqué comme tel, car les temps ont miraculeusement changé, nettoyant peu à peu le cinéma de tout ce qui pouvait contredire les ambitions hygiénistes de l'époque. Qu'on se le dise, l'heure n'est certainement plus au trouble mais à la transparence salutaire. La Lorelei chantée par Heine peut aller se rhabiller, sa "violence sauvage" n'est plus de saison.
Il a déjà beaucoup été dit sur la célèbre séquence de la tronçonneuse, dans Scarface de Brian de Palma. Particulièrement éprouvante, celle-ci montre un truand en tuer un autre dans une salle de bains, à l'aide dudit objet, en forçant Tony Montana à regarder jusqu'au bout. Celui-ci, le visage éclaboussé de sang, s'efforce de ne pas détourner le regard.
Magnanime, le cinéaste permet un instant au spectateur de quitter les lieux du crime : un mouvement de caméra s'éloigne de l'appartement vers la rue, s'attarde autour d'autres protagonistes, d'une femme en bikini, de voitures rutilantes, puis remonte vers l'immeuble, où les cris, le bruit du moteur et ceux de la télévision reviennent en force.
Si ce panoramique imprévu, loin d'être une faveur, s'avère surtout une manière de dilater encore plus le temps de ce supplice, un autre élément, cette fois pour happy few, vient s'y ajouter : l'écran de télévision, resté allumé dans la pièce qui jouxte la salle de bains, montre un instant les images d'un film, avant et après ce détour par la rue. D'abord un homme au téléphone, puis deux maisons en train de s'effondrer. Les deux plans sont très brefs, mais on peut reconnaître Tremblement de terre, de Mark Robson, sorti dix ans plus tôt.
Connaissant le goût de de Palma pour les mises en abymes et les allusions cinéphiliques de toutes sortes, on peut voir à cette citation plusieurs raisons : la première est de distordre le temps encore davantage, de signifier que le massacre en cours est bien plus long que ce qui nous en est montré : en effet si le mouvement de caméra ne dure que quelques dizaines de secondes, l'écart entre les deux scènes vues à la télévision dépasse les vingt minutes dans le film-catastrophe !
Le film de Robson par ailleurs, a plusieurs points communs avec le film de de Palma : lui aussi abuse des plans sanglants, jusqu'à en colorier l'écran : lui aussi joue avec Hollywood, notamment avec ses personnages dont le style ou les penchants sont des décalques transparents de ceux des acteurs qui les incarnent ; lui aussi recèle d'autres films : L'Homme des hautes plaines lors d'une brève scène de panique dans un cinéma (Clint Eastwood, sur la pellicule, meurt brûlé); quelques plans du Rideau déchiré d'Hitchcock lors d'une séquence de foule. Et puis surtout, les deux films nous content un carnage d'aggravation progressive, dont au bout du compte aucun protagoniste ne réchappe, sinon une femme marquée à vie...
C'est peut-être aussi cela l'impureté du cinéma : constater que des films se répondent en douce, par-delà les années, même s'ils n'ont pas grand-chose à se dire, et malgré la vanité de cet écho, s'en découvrir troublé .
Science-fiction hollywoodienne. Quels que soient le danger que l'on affronte, la porte que l'on passe, l'étape que l'on franchit, c'est toujours vers une nouvelle instance de soi qu'on se dirige. De la femme ou du dieu qu'enfin on on se donne, auxquels enfin on se soumet, il n'y a pas à attendre compréhension ou sollicitude, seulement un reflet plus approchant.
Le déjà-vu n'est ni une coïncidence ni un plagiat, simplement une preuve de plus qu'on n'avance qu'en refaisant sans cesse le même parcours, avec la même candeur et la même vanité. La parodie n'existe pas quand tout se rejoint dans l'hyper-Moi.
En amont de tout voyage, il y a la certitude qu'on en est déjà revenu.
Qu'il s'agisse du routier de Femme fatale (Brian de Palma) ou du conducteur de bus de Crimes à Oxford (Alex de la Iglesia), brefs héros malgré eux des dernières séquences de ces deux films, le plan fixe sur leur visage concentré, plongeant leur regard dans le nôtre à travers le pare-brise, ne nous est octroyé que parce qu'il en dit long. Nous savons en effet, ou du moins croyons-nous le savoir, ce qui revient ici au même, grâce à toute une série de manipulations et de jeux de références préalables, ce qu'il en est. Nous savons ce qu'il y a "derrière" cette image banale, à la limite de l'ennuyeux, qui ose s'appesantir sur un anonyme.
Il y aurait certainement beaucoup de pensées à ordonner, d'émotions à parcourir, de perceptions à affiner, lors d'une telle rencontre avec un visage immobile sur lequel se reflètent la route et le passage du temps. Il y aurait même un risque à prolonger avec le spectateur cette confrontation, tant une telle neutralité de regard-caméra s'avère source de malaise. Or justement ici, nous n'avons pas le temps. Tout comme ces scènes de sexe qui ne nous sont jamais données que parce qu'elles sont le prélude à des révélations, ces séquences sur des individus annexes, effectuant des tâches anodines, ne peuvent qu'être nettoyées de toute scandale possible, dont le premier d'entre eux serait la prolongation.
De la même manière qu'une actrice ne se dénude aujourd'hui que si, et seulement si, dans l'instant, la séquence aussi se retourne pour montrer son double-fond, pour que chacun puisse se réjouir de sa fausseté, les gestes et les figures des personnages scénaristiquement, économiquement, politiquement, subalternes, ne sont permis qu'en tant que prémisses au point d'orgue attendu fébrilement, ne sont justifiés que parce qu'elles servent les postures efficaces, aisément reconnaissables, enfin confortables, de ceux qui mènent le jeu.
La Nouvelle Classe est chez elle partout ; au cinéma autant qu'ailleurs.
Il y a ce terrifiant "couloir de 15 mètres", dans le Garde à vue de Claude Miller, distance infranchissable entre la chambre du notaire Martineau et celle de son épouse qui se refuse à lui. Le travelling avant se dirige lentement, dans la semi-obscurité, vers la porte du fond, entrouverte puis refermée. Esseulé d'une autre manière, Simonin, chez Pierre Jean Jouve, "se heurtait aux parois noires du petit couloir carrelé, malodorant, chez la cousine. Aucune lumière. Petit tube noir qu'il sentait de chaque côté, au bout duquel une porte sans doute laissait passer par en haut un trait mince de clarté douloureuse."
Le mystère féminin s'éloigne (ou s'épuise ?) à mesure qu'on le cerne. Tout rapprochement (même le plus intime) en décuple secondairement l'inaccessibilité. Cette distance inspirant la crainte ou l'inquiétude, toujours contemporaine d'une femme qui se dérobe, c'est l'escalier filmé en plongée dans Vertigo d'Hitchcock, le souterrain semblant s'étirer dans Body double de de Palma, cette aristocrate qui le long de la perspective symétrique du jardin anglais, dans le Draughtsman's contract de Greenaway, perd peu à peu ses vêtements à chaque buisson contourné.
Le plan américain consacre les couples modèles (après ou avant bien des épreuves), les discussions en écho, le champ/contrechamp égalitaire ; le plan-séquence joue sur le flux, le temps qui fuit, l'asymétrie des parcours. Là où les différences s'abolissaient frontalement, dans un simulacre d'union, la distance maintenant se creuse. Dans Le bûcher des vanités, à deux reprises, le malheureux Sherman Mc Coy voit s'échapper une femme de dos, tentant durant un bref plan-séquence en caméra subjective de la rattraper : sa femme vers les monumentales cuisines de son appartement, sa maîtresse dans la cohue d'une réception.
L'effrayant corridor est bien là : malgré ces quelques mètres, jamais il ne pourra les rattraper, elles lui échapperont toutes deux, dans la profondeur de champ sans pitié qui rend, comme chez Lévinas, l'altérité inatteignable.
Travestie, dédoublée, aguicheuse en victime et séductrice en meurtrière, l'héroïne des années 70 est coupable de sa psychose. Celle des décennies suivantes hérite de ces soupçons mais s'avère innocente et n'est plus redevable que de ses péchés (Basic instinct). Tout aussi manipulatrice mais avec de nobles raisons, celle d'aujourd'hui est récompensée pour ses stratagèmes ou pardonnée de ses errements sans contrepartie (Téchiné, Morel). Le matriarcat est aussi cinématographique