2012 a été l'année des beaux objets ripolinés, sans style propre mais riches d'une incontestable maestria technique, anodins et cependant virtuoses dans la conduite de leurs récits. De MiIllenium à Cloclo, de Skyfall à Dans la maison, de L'Amour dure trois ans au Capital et de La part des anges à De rouille et d'os, le spectateur s'est retrouvé devant un cinéma qui assure et qui prouve, qui sait et qui confirme, un cinéma qui se sert sans vergogne de tous les points de vue et de tous les styles, des plus disparates aux plus contradictoires, du moment qu'ils restent le gage d'une efficacité narrative optimale, nécessaires pour frémir et sursauter, passer un moment intense sans temps mort ni ratés. Sûr de son droit et sans inquiétude aucune, ce cinéma manipulateur égrène ses multiples péripéties sans jamais rien révéler qui ne soit inscrit dans son programme initial. Il ne peut aboutir qu'au cynisme d'Amour de Michael Haneke ; un film qui se permet de dominer le spectateur de bout en bout, en suscitant sa fascination, en dirigeant son regard, par l'emploi concerté d'un romantisme de pacotille lesté d'un éprouvant réel en vignettes garanties « vu à l'hôpital », et ce pour qu'il admette l'horreur du geste final, nécessairement libératoire, sans la moindre échappée.
Face à cette déferlante, on en vient à regretter le temps du cinéma aventureux. Celui qui privilégiait le mystère aux intrigues et qui souvent, après la séance, laissait désemparé. Celui qui recherchait la parole vraie même si elle était proférée un ton trop haut, et qui au lieu de les calibrer, laissait errer ses plans jusqu'à ce que l'émotion advienne. Celui qui pouvait bâcler son découpage dans le seul but de révéler la justesse d'un sourire, d'une larme ou d'un rougissement, qui osait faire de certaines de ses séquences des fugues inutiles plutôt que des unités fonctionnelles. Un cinéma qui pouvait hésiter et s’emmêler les pinceaux, laisser le temps s'éterniser, et en jouant le filigrane contre le récit, révéler les points de ruptures et les angles mort. Un cinéma radical et naïf, brutal et ingénu, sensuel en diable, lyrique au-delà du raisonnable. Si l'on en a encore trouvé, en 2012, de bouleversants échos chez Léos Carax, Werner Herzog ou Abel Ferrara, ce cinéma-là est bel et bien en perdition, comme les disparitions successives de ces derniers mois l'ont symboliquement souligné.
Celle de José Bénazéraf, témoin d’une époque où les films, en particulier pornographiques, évitant les plans assénés, les séquences explicatives et les conclusions édifiantes, jouaient du clair-obscur plutôt que de la lampe de commissariat. Celle de Sylvia Kristel, dont le sourire retenu, à la manière de la Deneuve des débuts, et le regard bien trop clair, étaient toujours l'amorce d’un effeuillage glorieux et gratuit, d'une nudité sans prétextes, sans justification hypocrite ou explication savante, sans revendications ni sous-entendus, une nudité pour rien, un rien désormais inconcevable.Celle du producteur de L’Empire des sens, Koji Wakamatsu, cinéaste révolté qui traitait magistralement des rapports de domination dans le couple comme dans la société japonaise, et dont le cinéma violent et contestataire date bien entendu d'avant la normalisation. Celle de Chris Marker enfin, poète qui savait être moraliste sans donner de gages, et qui à l'inverse des fonctionnaires du dérangeant, ne se réjouissait nullement du devenir confuso-onirique du monde, en faisant au contraire le support de créations lumineuses et désenchantées...
Commentaires
Et 2013 ne semble pas aller dans le bon sens puisque après le producteur, c'est au tour du réalisateur de 'l'empire des sens" de nous quitter. Superbe analyse (comme d'habitude), même si certains "nouveaux" noms (Jeff Nichols, Guillaume Brac, Hong Sang-Soo, Miguel Gomes...) peuvent nous laisser espérer de beaux lendemains aventureux...
Souhaitons en effet Docteur, que ces nouveaux noms (je ne peux me prononcer que pour deux d'entre eux) restent à l'écart des films verrouillés.
Sylvia Kristel chez Mocky, dans Un linceul n'a pas de poches.
Elle joue un personnage nommé Avril, épouse d'un Michael Lonsdale impuissant. Mocky (Michel Dolanes) la prend en public ou presque, et Lonsdale les regarde de loin.
Une scène pleine de provocation -- on est chez Mocky -- et de cette humanité qui la sauve de la vulgarité.
Et Sylvia Kristel, lumineuse, tendre.
Oui ! Et contrairement à ce qu'on a dit d'elle, j'avais justement trouvé son jeu très juste dans ce Mocky, en femme amoureuse prête à tout (évident pléonasme).
Bien sûr. Il est regrettable qu'elle n'ait pas eu une carrière d'actrice plus durable, plus reconnue. Il est vrai qu'Emmanuelle masquait tout.
J'ai revu un Vadim assez mauvais (nouveau pléonasme) où elle joue à nouveau une femme amoureuse, qui cette fois meurt, littéralement, d'amour. Elle y est très bien. Comme vous le dites, elle n'a pas été reconnue.
- T'as de beaux yeux, tu sais !
C'est curieux qu'on ne dise pas cela à des hommes ?
je compte sur vous pour y remédier !
Petit coquin !
- Mesdemoiselles vous savez ce qui vous restent à faire si vous voulez le mettre dans vos poches ... ou ailleurs !
Depuis le début de l'année, je me languis.
Heureusement, il y a eu Aujourd'hui d'Alain Gomis que je serais bien capable de revoir tous les jours tant il s'échappe continuellement.
Je le note !