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  • CORRESPONDANCES (2)

        A Hollywood, le héros masculin a longtemps été celui qui supporte et résiste, qui souffre avant de régner. Représenté de face et au centre du cadre, le plus souvent meurtri, entravé, humilié, il finit par remporter la victoire, même au prix du sacrifice, comme son regard clair et impérieux malgré les offenses, l’assure d’emblée. Des Dix commandements à Ben-Hur et de La planète des singes au Survivant, Charlton Heston a régulièrement incarné cette image christique.  

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        A présent, même si ce type de plan reste réservé au personnage principal, celui-ci effectue le parcours inverse. Croulant sous les honneurs, cumulant les dons et les gains, il n’en finit pas moins par s’effondrer, ce que les allusions au mensonge et à la mort, distillées au fil de ces plans frontaux, inscrivent sans équivoque. De Django Unchained à Gatsby le magnifique et de J.Edgar à Aviator, Leonardo DiCaprio est bien souvent cet ange déchu, qui malgré les signes extérieurs de puissance, ne peut longtemps masquer les remords, les turpitudes ou les maladies qui le rongent.

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        Même si le cinéma suit ainsi l’air du temps, avide de mettre à mal des figures autrefois dominantes, on ne peut s’empêcher de voir dans ces péripéties programmées une même complaisance. Celle qui consiste à filmer une victoire ou une déchéance, sans jamais qu’une scène ou une séquence impromptues ne viennent contredire le parcours édifiant.

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  • MODERNITE (2)

    Parmi les donneurs d'avis culturels, qui alternent sans discontinuer les tableaux d'honneur et la moquerie ricanante, il y a ceux qui négligent le passé (parfois même le vomissent), et ceux qui jugent que seuls les artistes d’autrefois sont dignes d’estime (le plus souvent de vénération). Ces deux attitudes sont évidemment similaires : dans les deux cas une idéologie fallacieuse, que l’on pourrait qualifier de darwinienne, est appliquée sans discernement aux créations artistiques. En dépit du bons sens, celles-ci doivent illustrer l’amélioration continue ou l'inexorable déperdition. Le cinéma, malgré sa jeunesse, n’échappe pas à cette double peine.

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  • CLOUZOT

     

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        De son tout premier, L’Assassin habite au 21 (1942), avec l’immense Pierre Fresnay, polar aussi limpide que lugubre, jusqu’au dernier, La Prisonnière (1968), chef d’œuvre érotique mais aussi charge contre le monde frelaté du « Pop Art », avec la superbe Elisabeth Wiener, Clouzot nous aura offert douze œuvres marquantes, qu’il est bien difficile d’inscrire dans une école particulière, sinon peut-être celle du pessimisme fantasmatique…

        Il y a bien sûr chez Clouzot de la « direction de spectateurs » à foison, l’usage immodéré de l’astuce pour faire passer le trop-plein du scénario, de la tricherie visuelle allant de la complicité jusqu’à la sujétion. Sur ce point, Raymond Abellio, en particulier dans ses Fondements d’esthétique, aura été implacable, considérant Les Diaboliques (1955) comme une œuvre dont la fascination restait la seule ambition, celle-ci ne tenant que par quelques  combines, qui  une fois éventées, empêchaient toute vision ultérieure ; à l’inverse de l’œuvre d’art véritable, ouvrant à la contemplation sans fin. Et en effet, ce n’est pas dans les pièges d’une intrigue bien souvent retorse,  qu’il faut chercher le talent de Clouzot.  Il y a là, bien souvent, un traitement manipulateur du récit qui tend davantage à sidérer qu’à éveiller, une réduction de l’artiste au rôle de bateleur s’amusant de ses tours de passe-passe, un hommage aux puissances du faux qui peut paraître vain et finir par lasser. Mais Clouzot, bien heureusement, ce n’est pas que cela. Ce n’est pas dans le jeu rusé avec les ficelles du scénario que se niche le cinéaste qui nous importe, mais plutôt dans son aptitude à s’en extraire.

        Son art se situe précisément dans cette capacité  à tenir en haleine, à surprendre, à fasciner le spectateur qui  accepte d’être malléable et donc à sa merci, mais sans pour autant lui refuser, s’il  la souhaite, la liberté. Or celle-ci ne s’acquiert au cinéma qu’au prix d’une vision délivrée, autant que faire se peut,  du vertige et du ravissement. Ainsi, Clouzot ne sacrifie-t-il jamais tout ce qui, à première vue, s’apparente à l’accessoire : traits de caractère secondaires, éléments anodins du décor, digressions dans la conduite du récit. Il ne néglige jamais par exemple, un regard qui change d’axe, un sourire mal réprimé, une main qui lentement se crispe, toutes ces variations infimes dans la gestuelle d’un personnage.  Et c'est justement cela, cette culture du détail, qui préserve ces films de la routine des tromperies, du train-train des truquages, dans lesquels le cinéma moderne se complaît si volontiers. L’apparente vétille, cependant cruciale, qui dans la marge s’avère profondément révélatrice, et change ainsi, pour qui sait voir, le plaisant numéro d’adresse en bouleversant éclat d’authenticité. C’est peut-être cela la noblesse de l’art cinématographique, non pas renoncer au savoir-faire forain mais savoir ne pas s'y limiter ; le sertir de cette alliance si fragile entre vérité et beauté.

        Dans sa critique parue à l’occasion de la sortie du Corbeau (1943), film vilipendé à l'époque aussi bien par la presse catholique que par les milieux communistes, Lucien Rebatet expliquait fort justement que le cinéaste était parvenu à « frôler le poncif mais en réussissant toujours à l’éviter d’un rapide et sûr coup de volant ». Si Clouzot a en effet réussi cette gageure, c’est au moins pour trois raisons. Parce qu’il a su laisser le champ libre à l’inventivité formelle sans que celle-ci n’exulte pour rien, notamment dans les jeux de de lumière de La Prisonnière ou de L’Enfer (1964), qui en renversant la logique narrative, témoignent si bien des affres de la séduction. Parce qu’il n’a jamais renoncé à saisir, dans la courte durée de ses plans, tout ce qui déroute et par là-même effraie, manière d’hommage rendu non plus aux énigmes contingentes mais bien au mystère de l’âme. Parce qu’il ne s’est pas contenté d’utiliser sans émotion des types et des figures, mais qu’il a osé leur manifester une attention extrême, nous permettant à sa suite d’être à la fois touché et meurtri par les échantillons d’humanité - buralistes et médecins, instituteurs et chanteuses-, qu’il  observait avec autant d’effarement que de curiosité.

        Nous recommandons tous ses films, même le boulevardier Miquette et sa mère (1950), ne serait-ce que pour la présence incomparable de Saturnin Fabre, mais s’il ne fallait en choisir qu’un, et en écartant compte-tenu de sa nature documentaire le passionnant Mystère Picasso (1956), ce serait Les Espions (1957), œuvre à la fois cocasse et inquiétante, qui pourrait être une sorte de trait d’union férocement drôle entre Lang et Franju, et qui n’a absolument aucun équivalent dans le cinéma français de l’époque.

     

    (Texte paru dans Eléments n°168)

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  • CORRESPONDANCES

     

        Relayant le dolorisme de la Flagellation, un certain cinéma s'empresse d'affirmer que le corps blessé est glorieux, témoignant de ce que l'on endure en raison de son innocence, quant à l'inverse, celui qui resplendit, sans le moindre défaut ni la moindre souillure, apporte une preuve de culpabilité.

      Ainsi Gia Scala dans Les Canons de Navarone (J. Lee Thompson, 1961) est-elle confondue par l'absence de cicatrices sur son dos : la torture physique, qu'elle affirmait jusque là avoir subie, n'était qu'un leurre ; et le spectateur comme les personnages sont dès lors assurés qu'elle est bien la traîtresse du groupe. Bunuel, dans Belle de Jour (1967), propose une héroïne recherchant la souffrance, et dont le martyre est consenti. Même s'il la "sauve", en expliquant les origines psychanalytiques de cette quête, il n'en fait pas pour autant une victime, comme le suggère la perpétuation du motif, lequel signe son vice: malgré le fouet, le dos de Catherine Deneuve reste blanc.

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  • MODERNITE

    Il y a ceux qui sont d'accord avec vous, mais qui tiennent à vous persuader que vous êtes avant tout d'accord avec eux. Ainsi lorsque deux critiques de cinéma se découvrent du même avis, il y en a souvent un pour penser que l’autre rend les armes.

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  • LA FILLE DE BREST

     

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        La Fille de Brest d’Emmanuelle Bercot relate le combat d’Irène Frachon, pneumologue du CHU de Brest, pour faire éclater la vérité d’un « scandale d’état », à savoir le maintien à la vente d’un médicament antidiabétique, le Médiator, alors même que plusieurs centaines de décès, notamment dus à l’hypertension artérielle pulmonaire, lui étaient imputables. Avec son aisance narrative et ses comédiens solides, tout particulièrement Sidse Babett Knudsen et Benoit Magimel, le film suscite dans un premier temps une bienveillance intriguée. Hélas, on a tôt fait de déchanter, car La Fille de Brest s’avère surtout un décalque de la version médiatique de l’affaire, et en cela une preuve flagrante de l’inanité politique du cinéma français.

        Le film, en effet, souscrit rapidement au canevas de l’histoire édifiante, peignant les uns sans peur ni reproche, ôtant aux autres la moindre chance de salut. Quand le jugement moral est ainsi appliqué d’emblée, toute notion de progression dramatique devient fallacieuse, seule compte l’accélération hystérisée de chaque rencontre et de tout enjeu : dans La Fille de Brest, rien n’advient qui ne soit déjà justifié dans la scène précédente ; les plans successifs ne font que confirmer d’identiques certitudes, celles qui permettent à l’héroïne en colère de toujours mieux légitimer sa consécration. A l’instar de ce film représentatif, le cinéma politique français ne tique jamais. Les films qui se targuent d’aborder les rapports de force à l’œuvre dans la société, n’émettent pas de doute ; ils assènent des sermons. Ils ne cherchent pas à comprendre quel rôle joue chacun dans l’équilibre ou la déstabilisation d’une situation ; ils condamnent des suspects. Le médecin que nous propose Emmanuelle Bercot est ainsi une parfaite représentation du justicier moderne, ne dévoilant rien d’autre que ce qu’il est permis de révéler, ne regardant que derrière le rideau qu’on lui tend.

        S’il avait vraiment eu les moyens, et non simplement les prétentions, d’un film politique, La Fille de Brest aurait pu soulever la question de l’hypermédicalisation de la société, cette quête encouragée de la pilule salvatrice, et non se limiter à en déplorer les effets secondaires. (1) Il aurait également pu interroger le fonctionnement médiatique des « crises sanitaires », et notamment cette recherche de responsables, préalable à tout éclaircissement sur l’exacte nature des faits, qui induit stratégies d’accusation ou d’évitement également excessives, et parfois même mensongères, lesquelles réduisent d’authentiques drames humains à des batailles de communicants. Plutôt qu’offrir un combat en noir et blanc, où une Mère Courage s’attaque à des ogres d’opérette, le film aurait aussi pu chercher à mettre à jour tout ce que la version médiatico-parlementaire avait de trompeur. Il aurait été par exemple audacieux de se pencher sur l’identité des protagonistes, d’examiner leurs affiliations avec d’autres laboratoires -concurrents de celui qui a été voué aux gémonies-, de révéler l’opportune immunité que cette bruyante affaire a donné à des traitements pourtant bien plus toxiques, discrètement retirés en coulisses et sans aucun « scandale d’état », d’évoquer la soudaine montée en puissance d’autres molécules, justement proposées dans le cadre des pathologies favorisées par le Médiator etc…Il aurait en somme fallu discerner derrière le conte pour enfants, avec ses gentils et ses méchants absolument garantis, une guerre sans merci, où les connivences entre médecins, laboratoires et politiques, ont permis d’assoir des dominations tout en montrant patte blanche. (2)

        Mais le cinéma français n’investigue que ce qui va de soi. Ses films n’osent s’approcher du fait politique qu’au travers de filtres rassurants, lesquels disculpent sans peine les vrais acteurs des drames. Il lui faut des bons et des méchants, bien entendu, mais suffisamment outrés pour que l’effet de réel s’estompe, et que l’ensemble ne déplaise fondamentalement à personne. Il ne s’agirait pas de froisser ceux qui encouragent, produisent et distribuent ses films-diatribes et ses œuvres coup-de-poing. Les codes de la comédie moqueuse ou du polar anxiogène permettent de lisser l’hétérogénéité des conflits. Par le sarcasme ou la démesure, il s’agit à chaque fois de tenir à distance la réelle violence des rapports sociaux. A l’instar de ces films de genre, les « fictions sociétales «  (de La Loi du marché de Brizé à Pater de Cavalier), s’avèrent tout aussi inoffensives, offrant un mélange de désenchantement et de complaisance. C’est le règne doux-amer du cinéma minimaliste qui croit en dire long, mais édulcore voire travestit les sujets qui fâchent ; un cinéma vaguement condescendant passé maître dans la forclusion du réel.

        La Fille de Brest finit par se regarder avec une lassitude excédée. Sous ses allures velléitaires, il ne s’agit que d’un petit théâtre manichéen qui se donne bonne conscience à peu de frais, s’imagine contrer la logique mortifère du profit quand il ne met à bas que quelques caricatures. En ces temps de guerre économique, sociale et culturelle, où la globalisation n’a jamais été aussi vindicative, le néant politique de telles œuvres est désolant.

     

    1) « Cinéma et hyper-médicalisation : la tache aveugle », Eléments n°148, Août 2013

    2) On recommande à ce sujet sur le site sept.info, le dossier très argumenté, intitulé « Médiator : une affaire aux allures de guerre économique ».

     

    (Texte publié dans Eléments n°164)

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