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frédéric saenen

  • DRIEU FACE A SON OEUVRE

     

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    A l’instar de Céline, Rebatet ou Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle fait partie de ces grands écrivains français compromis durant l’Occupation. C’est ainsi qu’il endure une double peine : être défendu par ceux qui approuvant ses activités collaborationnistes, le dissimulent derrière un engouement pour les Lettres dénué du moindre argument, sinon celui d’autorité ; être honni par ceux qui l’ayant classé une fois pour toutes chez les parias, profitent de ses accointances douteuses pour oublier au plus vite la subtilité de ses textes. Comme celle-ci possède encore une vague aura publicitaire, la Littérature peut, à la rigueur, venir enjoliver le jugement moral définitif : il est ainsi recommandé de considérer Drieu comme un auteur majuscule ou un piètre styliste, afin de mieux avaliser ou condamner ses choix politiques ; certainement pas pour d’autres raisons aussi peu avouables que l’étude ou la critique littéraires. .. Plutôt que de se référer aux opinions des uns et aux témoignages des autres, aux anathèmes faciles comme aux louanges suspectes, Frédéric Saenen, dans l’essai qu’il vient de consacrer à Drieu, préfère de manière plutôt audacieuse voire anachronique, en rester à l’œuvre. Et comme l’auteur de Gilles partage certainement avec Hugo la capacité de mêler à ses romans quantité de digressions politiques ou métaphysiques, d’agrémenter volontiers ses textes théoriques d’ajouts romanesques, Saenen a décidé de « ne pas dissocier l’homme de lettres de l’homme d’idées », autrement dit de tout traiter, les textes de fiction comme les essais, considérant fort justement qu’ils relèvent tous de la même oeuvre littéraire.

    Cette  monographie ne s’embarrasse ainsi ni de révérences inopportunes ni d’inutile désobligeance, et  surtout, parvient à ne pas éventer le charme puissant de l’écrivain en le passant ainsi au crible, ce charme sans doute lié à ce que l’auteur nomme « l’indéfinition », de l’œuvre comme de la vie de Drieu. C’est justement tout l’intérêt du livre que d’offrir une relecture passionnante de ses romans et pamphlets, nouvelles et écrits intimes, plutôt que d’en livrer une critique tant de fois rebattue. Exemples, comparaisons et mises en perspective à l’appui, Drieu face à son œuvre offre ainsi une analyse profonde et nuancée de textes trop souvent catalogués à la hâte. Pour goûter pleinement l’œuvre littéraire de Drieu, il ne suffit pas, en effet, de souligner qu’Etat-Civil (1921) est un récit amer sur le déclin français, encore faut-il mettre en évidence, comme s’y emploie Saenen, l’atmosphère lourde et morbide, le parfum funèbre qui s’en exhale. De même, dans Mesure de la France (1922), au-delà de la profonde affliction se dégageant du texte, il importe de relever cet élément crucial : l’hybride de fascination et de soupçon qui en parcourt tous les questionnements. Dans le même esprit, dans L’Homme couvert de femmes (1925), outre le « dénudement total » qu’y pratique Drieu, et qui en effet est une donnée capitale de son œuvre (que l’on retrouve tout autant dans Socialisme fasciste (1934), cet « exercice de sincérité intégrale »), Saenen décèle une attirance trouble pour tout ce qui s’altère et se gauchit, caractéristique essentielle sous-tendant des choix décisifs. Dans Blèche (1928) comme dans Mémoires de Dirk Raspe (1944), c’est la finesse d’observation de la psychologie féminine qui est mise en avant, tout particulièrement dans le second, texte magnifique qui court de syndromes de Stendhal en élégies sensuelles. Drieu face à son œuvre  met à jour bien d’autres trésors cachés ou dédaignés : la bouleversante poésie de Beloukia (1936), roman trop facilement dénigré car désuet ; la fabuleuse satire de Gilles (1942), aussi bien sur les artistes d’avant-garde que sur les politiciens de toute obédience, rapprochée sans hésitation de l’art de Daumier ; la force tragique de La Comédie de Charleroi (1934), rejoignant la mélancolie aristocratique des meilleurs pages d’Ernst Jünger, etc…

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    Frédéric Saenen analyse ainsi, avec beaucoup de finesse, « le dialogue entre l’homme Drieu et l’image de lui-même » que tous les textes de l’écrivain délivrent. Il montre combien ces derniers résonnent avec notre temps tout en s’en séparant de manière radicale. A notre époque où la raillerie et le ricanement tiennent lieu de discours, médiocre cache-sexes d’une pensée exténuée, l’auteur du si troublant Feu follet (1931) oppose une dérision d’autant plus redoutable qu’il se l’applique au premier chef. En un temps où le moindre auteur d’autofiction énumère avec gourmandise ses faiblesses et ses manques, pour au bout du compte s’en recouvrir comme d’un manteau de sacre, Drieu, faisant preuve d’une exaspérante honnêteté, les accepte au contraire comme une tunique de Nessus. En étudiant Une femme à sa fenêtre (1929), Saenen aboutit à la conclusion que l’idéologie compte moins pour Drieu que « l’exaltation violente du moi par l’action ». C’est d’ailleurs en cela que cet écrivain aura été intrinsèquement moderne, son errance politique aboutissant dès lors aux impasses mortifères que l’on sait. Mais si l’œuvre drieulienne, cependant, peut protéger le lecteur d’aujourd’hui des sortilèges incapacitants de la modernité, c’est avant tout grâce à l’extrême lucidité qui l’irrigue : celle de l’auteur vis à vis de lui-même, opérant la mise à nu implacable d’un Moi soumis à l’instrumentation sociale et aux soubresauts psychiques, d’un « Moi naïf » comme le nommait Abellio, qui s’avère toujours un obstacle entre le monde et soi.

    Faire tomber les derniers masques au moment où  les exercices de bravade ne parviennent plus qu’à peine à contenir l’effroi, voilà sans doute, en cet âge noir, l’actualité terrible de Pierre Drieu La Rochelle.

     

    Frédéric Saenen, Drieu face à son œuvre, Infolio, 198 p, 2015

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  • STAY BEHIND, DE FREDERIC SAENEN

     

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    Nous avons déjà dit, ici et ailleurs, tout le bien que nous pensions des nouvelles de Frédéric Saenen, Motus, et de son premier roman, La danse de Pluton. Avec Stay behind, publié comme le précédent chez Weyrich, nous n’avons toujours pas l’intention de changer d’avis.

     

    La littérature contemporaine souffre d’au moins trois défauts structurels : le premier est qu’elle est si pressée de cautionner le réel médiatique (c’est-à-dire la recréation inconséquente et bouffonne du monde), qu’elle ne sait plus transposer ce qui se voit qu’en ce qu’il faut croire. Le deuxième est qu’elle ne parvient ainsi à avaliser sans cesse, qu’en versant tout à tour dans le cynisme goguenard et le désenchantement pop, mêlant son assentiment fondamental à des refus circonstanciels, dans une triste ambiance de suivisme dandy. Le troisième est qu’elle a réduit le style à un rôle de parure puis de simple colifichet, sans jamais plus le faire résulter d’une pensée ou d’un émoi.

     

    Saenen se démarque justement de ce qui se lit partout, par sa volonté de regarder sans signifier, de décrire sans démontrer, de ne jamais réduire le monde à ce qu’il faut en dire. Et de même que ses lieux s’imposent alors sans folklore ni chiqué, ses personnages ne sont les marionnettes d’aucune théorie, délivrant leur vérité sans passer sous les fourches caudines de la métaphore morale ou de l’allégorie citoyenne. Avec une empathie bien inactuelle, Stay behind n’a au fond d’autre ambition que celle de s’arrêter un instant sur « la cohorte de visage sans suite qui peuplent une mémoire », de leur redonner une chance, non de se racheter mais de se révéler plus nettement. De faire en sorte que l’on puisse découvrir « des silhouettes comme des spectres d’abord, et puis vraiment des hommes », à travers le fatras de sensations, d’impressions, de souvenirs enjolivés et de terreurs enfouies, organisé autour des confessions d’un homme en fin de vie. Le style alors découle nécessairement des emballements, des pauses et des redites de celui qui ainsi se confie. Pour un casse haut en couleurs ou un meurtre dans l’ombre, un discours martial ou l’horreur feutrée d’un coït, le style éminemment musical de Saenen entrecoupe soudain sa mélopée de hoquets, et passe de l’aveu déchirant aux déclamations, du fait divers au poème, du souvenir au conte, sans jamais perdre de vue le principal : tenter d’approcher la vérité et les mensonges d’une vie, et à travers celle-ci, d’un pays et d’une époque.

     

    Sans rien cacher des turpitudes ni des actes héroïques, Stay Behind est un roman âpre et inspiré, qui contre toute attente parvient  faire des années 80 et du Brabant, de ces « années de plomb à la belge », un inépuisable réservoir d’émotions, s’aventurant dans un tel « pays de confusion » afin d’en dissiper les brumes, ce qui est sans doute, en ce temps d’atonie ricanante, la plus belle ambition littéraire qui soit.

     

     (Stay Behind, de Frédéric Saenen, Editions Weyrich, collection Plumes de coq, 2014, 174p)

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  • LA DANSE DE PLUTON, DE FREDERIC SAENEN

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    Nous avions déjà dit tout le bien qu’il fallait penser des nouvelles cruelles et désenchantées de Frédéric Saenen, dont le recueil Motus était paru il y a deux ans aux Editions du Grognard, et c’est avec un grand intérêt que nous avons découvert son premier roman, La Danse de Pluton, court et haletant récit qui dit beaucoup sur l’état de décomposition de notre société livrée aux folies passagères, aux raisonneurs sans merci, aux hasards sanglants, au tumulte des prérogatives de chacun.

    Entrecroisant le soliloque d’un pauvre type désœuvré, ivre de ressentiment, et l’histoire d’une fillette solitaire, Saenen crée une tension remarquable entre la vie réglée, monocorde, quiescente de l’une et le flux de pensées contradictoires, entrechoquées, chaotiques de l’autre, nous conduisant à imaginer toutes sortes de résolutions à ce côtoiement, des plus romantiques aux plus morbides. Avec une multitude de détails sur les intérieurs de leur domicile, les expressions de leur langage, les failles de leur psychologie, les voilà tous les deux en train de se débattre sous nos yeux, ensemble alors qu’ils n’ont à priori rien en commun, comme l’image de ces deux petites victimes qui apparaissent sur le journal « figées à jamais sur le montage, à regarder le même objectif, alors qu’elles avaient été photographiées séparément ». A ce titre, la description joliment découpée de la chorégraphie que la jeune Anaïs imagine sur le morceau Uranus de Gustav Holst et la longue phrase heurtée, courant sur cinq pages, que nous assène Jonathan lors de son immersion dans une boîte de nuit, mettent bien en présence deux façons inconciliables mais on ne peut plus actuelles d’être au monde : dans la joie calme que peut procurer l’effacement derrière le machinal, lorsqu’on ne sait pas, ou plus, qui dit je en soi ; dans la fureur de n’être qu’un rouage sans importance, lorsque la seule alternative est alors de se singulariser ou disparaître.

    Notre post-modernité est faite de ce tumulte : le côtoiement entre les êtres, juxtaposés sans relation. Nous sommes de mille et une manières à côté de, sans jamais parvenir durablement à être avec. Les écrans qui aujourd’hui transmettent les questions, les envies, les appréciations de ces autres si lointains, si extérieurs à nous-mêmes, les rendent proches de manière mensongère, les transforment abusivement en prochains, parce qu’ils sont perpétuellement présentés. Or il ne s’agit que d’images qui se jaugent en écho, plus familières cependant que les individus que nous croisons réellement et qui nous demeurent étrangers, étrangers parce que pas assez réactifs ou pas assez ressemblants. Cette promiscuité sans liens est installée littéralement et métaphoriquement par ces écrans qui sont devenus l’irremplaçable mode d’appréciation d’un réel où chacun, engorgé de son exquise individualité, s’interdit toute confrontation véritable, et par là-même toute rencontre.

    Au travers des gestes insensés des uns et de l’atonie des autres, La Danse de Pluton, sombre et beau roman, ne parle que de cela : comment supporter l’épreuve du face à face dans une société sans recul et sans liens, où le moindre sourire devient promesse,  la moindre faille gouffre et le moindre refus ultimatum ?

    (Ce texte est paru dans le n°144 d'Eléments. La Danse de Pluton, Frédéric Saenen, Weyrich Editions, 2011, 115 pages)

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  • 25

    Une fille de vingt ans à peine, plutôt jolie (c'est-à-dire boudeuse sans excès), consulte à voix haute son agenda téléphonique pour la plus grande joie du petit groupe qui l'entoure : elle ne veut pas appeler A. parce qu'il la gave ; B. parce qu'il est trop con ; C. parce qu'il relou, D. parce qu'il est sûrement avec E. etc... Je lui propose de m'ajouter à ses contacts parce qu'elle n'a personne à la lettre L. Dans ses yeux, successivement, un éclair de perversion vague, une légère inquiétude, de la colère sans retenue. Je n'insiste pas.

    Sur le chemin de l'école, Emilie me montre un troglodyte gros comme un pouce, qui fait le matamore, tourne comme un bourdon, puis disparaît sous une feuille.

    Frédéric Saenen de La Vie littéraire ne se contente pas de tenir de bien aimables propos sur le Bréviaire de cinéphilie dissidente, il me pose en outre toute une série de questions auxquelles il tient manifestement à ce que je réponde.

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