Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

julien duvivier

  • VOYAGE A TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS

       

    EConstantine-dans-Alphaville.jpg

     

        Avec enthousiasme et érudition, Bertrand Tavernier nous parle des films français qui ont compté pour lui et dont il se sent redevable, des années 30 à la fin des années 70. Plusieurs chefs d’œuvre mais aussi beaucoup de films secondaires sont ainsi passés en revue. Renoir, Becker, Carné et Delannoy arrivent en tête et cet attelage même pose question, puisqu’il associe d’authentiques créateurs à d’honnêtes artisans. En fait, ce documentaire, plutôt que d’élaborer une mise en perspective critique des différentes tendances du cinéma français, témoigne surtout d’une volonté de s’inscrire dans une filiation. C’est d’ailleurs la limite du film, qui ploie sous l’hommage incessant et néglige des artistes aussi essentiels que Gance, Grémillon, Franju, Bresson, Tati, Eustache etc… Les scènes et les séquences choisies brillent certes par leur élégance, parfois leur pouvoir d’évocation, mais aussi par leur académisme, assez vite pesant. Ce voyage s’avère surtout une ode au cinéma de bonne facture, inventif mais pas trop, soucieux d’un juste équilibre entre réalisme et poésie, où l’image assure plus qu’elle n’émeut, entérine plutôt qu’elle ne questionne, du « cinéma filmé » en somme… 

        Malgré ces réserves, et une propension certaine à la compilation d’anecdotes, il faut cependant convenir que ce pèlerinage sur des terres cinématographiques maintes fois arpentées, ne manque pas d’attraits. Ne serait-ce que parce qu’il donne au spectateur l’envie de découvrir des cinéastes ici simplement survolés (comme Ophuls ou Clouzot), ou l’incite à ne pas se contenter de ces éloquents extraits. L’art fragmenté, et admiré en tant que tel, est bien la marque de l'échevelée Culture post-moderne, jalouse de ses illuminations brèves et le plus souvent parant au plus pressé. Les propos élogieux que tient Tavernier sur Gabin sont toutefois très bien argumentés, de même que l’importance qu’il accorde à Julien Duvivier ou Edmond T. Gréville. Mais on ne peut que regretter la quasi-absence des artistes singuliers cités plus haut, dont ce documentaire de plus de trois heures se désintéresse. Car s’il est toujours utile de revenir sur de nombreux films mémorables, dont on ne peut nier le charme sinon la profondeur, le risque est de se contenter de la mélancolie muséographique, laquelle empêche de comprendre que c’est justement à partir de ce terreau de « qualité française », que d’autres œuvres, bien plus audacieuses et complexes, ont su germer. En terminant son périple, Tavernier aborde d’ailleurs Melville et Sautet, et c’est là qu’on aimerait qu’un autre voyage commence.

    Lien permanent 0 commentaire
  • LE TEMPS, CELUI QU'ON VEUT NOTRE

    0x600.jpg

    04_pepe_moko.jpg

    vlcsnap-2013-08-07-17h22m14s102.png

    Un critique du Monde a reproché à Ant-man de ne proposer que "des plans de moins de 3 secondes". Précisions d'emblée que cela n'est pas tout à fait exact, car lorsque le méchant explicite son trauma (il n'y a rien de plus confortable que l'explication par le trauma), c’est bien long, et lorsque le père coupable (de quel droit un père serait-il innocent ?) justifie ses actes, ça l’est encore plus. S'il n'y a pas de raison d'accorder ainsi au temps d'une séquence une valeur en soi, si le fétichisme de la durée du plan n'a pas grand sens, le montage n'en apparaît pas moins ici problématique : acmé/détente, paroxysme/période réfractaire, les loopings hollywoodiens ne fonctionnent qu’ainsi, de la lenteur jusqu’au grincement de dents et puis soudain la folle descente. Ainsi l’action se change-t-elle en chahut bruillon, jamais en tension organisée. Impossible d’y prendre part autrement qu'en spasmes et sursauts ; aucune incarnation des forces en présences ne s'envisage ; la seule identification qui vaille demeure celle de l’artéfact chassé de flux en flux.

     

    Ayant revu il y a quelques jours Pépé le moko de Duvivier, une autre impression, aussi désagréable, celle de se faire tout autant balader mais cette fois par la lenteur ostensible de certaines scènes : toutes celles qui voient Gabin rencontrer Mireille Balin. L’action s’immobilise, le cadre se rétrécit et le gros plan suréclairé s’expose sans pudeur. Quelques secondes en moins et cela suffirait à signer l’attirance de cet homme pour cette femme (donc déjà la conquête), la curiosité de cette femme pour cet homme (donc déjà le désir), mais en rallongeant le plan, en le détachant d'un récit convenu mais traité de manière plutôt enlevée, tout se brise sur  le chromo kitsch, l’artifice publicitaire, l’iconisation sans réplique.

     

    Dans Les Hommes de Daniel Vigne, revu pour Nicole Calfan (on serait même prêt pour elle à découvrir le seul film réalisé par Bernard Menez, les Ptites têtes…), sans doute l’un des plus rigoureux films de mafia du cinéma français, tous les plans se valent, tant en durée qu’en intensité. Ils sont fonctionnels, nets et précis, cadrant et montant à l'identique, la préparation d‘un casse, des retrouvailles, une filature, un adieu. Une prise d’otage comme la prise d’un verre de pastis. On pose le verre sur la table ; le garçon débouche la bouteille ; gestes de remplissage hors-champs tandis qu’autour du verre les regards se jaugent ; d’un geste assuré, le client le vide d’un trait. Le découpage est sans bavure. On n'y vibre pas à l’exquise odeur de l'anis mais on a le temps de voir s’enchainer les gestes de toujours… Oui mais voilà, si tout se vaut, rien ne s'exacerbe et la tragédie tourne court. Que devient le lyrisme quand aucun geste ne l’emporte ?

     

    Quelle est donc la durée juste d’un plan ? Celle qui laisse du temps au regard, sans forcer pour autant à la contemplation ? Qui donne les clefs d’un secret sans s’appesantir, mais sans pour autant traiter celles-ci de la même manière qu’un geste anodin ou une parole de circonstance ? Il semble plutôt que la durée d'un plan ne signifie rien tant qu'elle n'est pas ressaisie dans un rapport d'images. C’est la relation des durées entre elles qui racontent une histoire. La manière dont les formes se répondent, se complètent et s’opposent. S’il y a déséquilibre sans raison ou roulis sans heurts, rien ne nous est appris que le scénario ne délivre déjà. Ainsi Ant-manà tire d’aile, finira sans le moindre doute à bon port ; Gabin statufié ne s’en se laissera pas moins griser, emporter et donc tuer ; le drame de quelques mafieux s’oubliera aussi vite que le gout du pastis sur la langue. A l’inverse, si l’harmonie finit par naître des durées hétérogènes mais toujours justifiées, articulées entre elles comme les mouvements d'une œuvre musicale, si le montage devient ainsi un langage, comme chez Grémillon (le ramifié Remorques) ou Vecchiali (l'implacable Machine), le second n'étant pas pour rien admirateur du premier, on quitte le vertige inutile des attractions foraines ou des tours de passe-passe (le bavardage mensonger), on quitte tout autant la banalité naturaliste (le sermon), pour commencer à entrer dans le film comme dans une conversation.

     

    Lien permanent 7 commentaires