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  • 4

    Dans la descente vers le lac, la feuille rousse soudain collée sur le pare-brise se déroule comme une main de femme pressée (les doigts nerveux sur la paume malgré tout ouverte) puis elle se détache.

    Si j'étais doué en informatique, je fabriquerais volontiers un générateur automatique de critiques cinématographiques pour les rédacteurs fatigués. Cela ne devrait choquer personne puisque la plupart d'entre elles semblent toutes signées de la même plume.

    Avec quelques mots-clef, on aurait par exemple : "Jeune trublion du cinéma transalpin, Arturo Vinni (l'auteur du corrosif "Vos papiers !") n'en a pas fini avec nos petites lâchetés quotidiennes. Au gré de saynètes douces-amères, il n'a de cesse de nous rappeler nos démissions successives à travers les mésaventures de Sandra (Augustine Pialat, magnifique), gamine intrépide dont l'énergie à se sortir des mauvais pas fait plaisir à voir. Un film humaniste, tout simplement. A voir d'urgence."

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  • 3

    Il y a ceux qui sont d'accord avec vous mais qui tiennent à vous persuader que vous êtes avant tout d'accord avec eux.

    Nabe à Ce soir ou jamais entre Aillagon, Fabius et Bourriaud, c'est un peu la Crevette cernée par les Afrikaners de District 9 : son incontrôlable différence étonne d'abord, amuse ensuite et finalement exaspère. Voilà ce qui arrive quand on se prend à parler d'Art à des gens de culture, dont le musée portatif soigneusement épousseté supporte mal les griffures et les éclats.

    Le parallèle avec le film de science-fiction de Neil Blomkamp peut d'ailleurs se prolonger, car sous la trame des positions existentielles inconciliables, il n'y a ici rien d'autre que du jeu.

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  • 2

    Raphaël (4 ans) commence la plupart de ses phrases explicatives par "en fait" et ce si précoce besoin de synthèse m'émeut à chaque fois, tant il annonce de prochaines déconvenues et de futurs ressaisissements.

    Oliver Stone à Télématin : celui-ci félicite Michael Douglas de toujours faire preuve d'un "bon esprit" (en français dans le texte) et rattache son talent de cinéaste à son insatiable curiosité qui lui a toujours fait garder..."bon esprit". Cela me rappelle cet amusant animateur des années 80 qui annonçait systématiquement les chanteurs les plus improbables par cette flatteuse expression. Sur ce qu'elle signifie exactement, on n'en saura pas plus, peut-être simplement qu'il faudrait avoir très mauvais esprit pour considérer Michael Douglas comme un comédien médiocre et Stone comme un piètre metteur en scène.

    Viens de terminer MakeUp Artist d'Alex Porker, roman publié par Alexipharmaque, maison d'édition qui a le bon esprit de me publier. Il m'a été envoyé car susceptible de me plaire au vu de ses nombreuses références cinématographiques, mais c'est surtout sa construction singulière et son thème principal plus qu'audacieux qui m'ont séduit. Qu'un roman aussi intelligemment scandaleux soit à peu près complètement ignoré ne scandalisera que ceux qui croient encore à l'autonomie de la critique.

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  • 1

    Entre les textes morts-nés et ceux dont je dois faire le deuil, léger changement de cinématique : retour au journal sur le vif.

    Ce matin, le cri rauque d'un geai outré qui s'envole devant le chat. Ce dernier reste longuement en position d'attaque, comme si sa victime allait daigner s'offrir à nouveau.

    Revu la semaine passée, Les Incorruptibles. Un spectateur, deux personnages et toutes les combinaisons de regards déclinées, de la vision collective à l'aveuglement mutuel en passant par l'image d'avance et l'image en trop. Au panoptisme générateur d'inquiétude répond le leurre mortifère. Chez de Palma, tout voir ne rassure jamais mais se laisser distraire est fatal. A tout prendre il vaut mieux souffrir de voir que détourner les yeux. Ainsi le spectacle, à la fois anxiogène et addictif, dont on ne peut en effet subir que les affronts à force d'en espérer l'emprise.

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  • CAVALE

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    Il faut bien comprendre que pour ceux qui sont nés dans les années 70, la vie n'a pas été rose tous les jours ! Quitter l'enfance avec Mitterrand, être adolescent sous Séguéla, devenir adulte malgré Luc Besson au cinéma, Alexandre Jardin en librairie, Bernard-Henri Lévy partout ailleurs, demandait un effort constant, parfois même une certaine rectitude morale, pour ne pas se laisser entraîner c'est à dire sombrer. Pour ne pas devenir un requin branché durant les années 80, un salaud fun la décennie suivante, un relativiste débonnaire aujourd'hui ; pour ne pas dégobiller à longueur d'années les préceptes de plus en plus insistants de transparence, d'égalitarisme, de tolérance et de festoiements obligatoires. Houellebecq a sans doute tout dit de l'imposture et de la nocivité de ceux qui n'ont eu de cesse de tout saccager avec le sourire, mais pour ceux qui ont eu vingt ans au tout début des années 90, Houellebecq n'existait pas ; pour ne pas sombrer, il y avait L'Idiot International. Ce n'est alors sans doute pas un hasard si la première fois que j'ai croisé Arnaud Le Guern, dans l'éphémère revue Cartouches à la fin de ces années-là, je m'efforçais de taper sur un Jardin (Alexandre) pour mieux en célébrer un autre (Pascal), tandis qu'il se lançait dans une diatribe de haute volée contre Didier Daeninckx qui dénonçait à l'époque (sans doute avec beaucoup d'émotion) le « complot rouge-brun » au sein de L'Idiot. C'est d'ailleurs le ton de ce journal incendiaire que je retrouvais quelques années plus tard, d'abord dans la Stèle pour Edern du même Le Guern, hommage fasciné d'un écrivain pour l'un de ses maîtres, pour une liberté de penser et d'écrire bien anachronique ; puis dans Cancer !, revue qui retrouvait le goût de l'invective et la réjouissante absence d'allégeance aux soucieux démocrates comme aux abjects extrémistes, à laquelle il donna de beaux textes. Nous nous sommes croisés une seconde fois (toujours sans nous rencontrer) il y a quelques années, cette fois dans La Revue du cinéma. J'y égrenais des souvenirs de cinéphile amoureux, et lui au fond ne faisait pas autre avec ses « Héroïnes », portraits d'actrices magnifiques, c'est-à-dire magnifiées par ses mots. Ces convergences diverses suffisent sans doute à expliquer pourquoi j'étais particulièrement impatient de découvrir Du soufre au cœur : avec l'amour des femmes et la laideur du monde comme chevaux de bataille, prétextes aux envolées rythmiques, aux insultes grandioses, aux déclarations insensées, son attelage ne pouvait que se diriger vers le drame intérieur, c'est-à-dire le roman.

    Du Souffre au coeur. Le programme qu'évoque joliment le titre s'avère d'une grande simplicité, ce qui n'est pas sans conséquences bouleversantes : « je bois pour oublier l'immonde et pour me souvenir du sourire des jeunes filles », nous explique un homme en cure de désintoxation au Val de Grâce, qui ne peut oublier une femme mais en rencontre néanmoins une autre. Les sourires de jeunes filles finissent toujours par se ternir, c'est d'ailleurs peut-être pour cela qu'on les guette, qu'on les entoure de mille précautions, qu'on les vénère jusqu'à la folie. Il faut bien s'en enivrer puisqu'il s'éteignent. Les sourires, on ne peut guère que s'en souvenir en effet, parce que sur le coup, tout entier dans la fièvre et la douleur, on les voit sans les voir, baumes inconscients, bonheurs furtifs : les jeunes filles sont toujours plus belles dans l'écrin de la mémoire, c'est là qu'on peut le mieux les déshabiller, les sortir de la gangue du contexte, ce contexte qui nous les a fait connaître mais qui peu à peu finit par les gâcher, les froisser, les diluer. Le contexte, c'est le présent, c'est la souffrance, celle de l'amour jamais assez haut placé, celles du côtoiement des autres toujours plus enjoués, le présent c'est « l'immonde ». Et « l'immonde » c'est cela : « la négation permanente de toute beauté, les silhouettes kärchérisées, la chasse aux excès, la parole sous cellophane, la parole dévitalisée... ». Cependant la jeune fille renaît toujours. Alors bien sûr ce roman n'est pas comme l'optimiste quatrième de couverture nous l'assure, « l'histoire d'une chute et d'une rédemption », mais il nous parle bien de renaissance, celle-ci comme chacun sait restant néanmoins le plus court chemin d'une mort à une autre. Renaissance, parce que dans le va-et-vient  incessant entre la vie des souvenirs et le surplace mortifère du présent, Le Guern parvient à déployer ce qu'il nomme son « art de la fugue ». Si de nombreuses manières le présent de plomb enlève au narrateur le ressort de son écriture ( « Au Val de Grâce, les mots ne sont pas à la fête. Passés par les armes des rêveries perdues, des espérances démantibulées ») et met à mal ses bonheurs de style (« J'allais accoucher d'une phase merveilleuse, Jevoitou m'interrompt »), dans cet univers hygiénique et bien rôdé, réplique du monde sinistre dont les hérauts se flattent d'être « à l'écoute du siècle, de ses impératifs de gaieté factice, d'entrain à haute valeur ajoutée », dans ce microcosme hospitalier, malgré tout, de multiples possibles peuvent naître.

    Aucune déprime complaisante ici, pas d'autofiction pleurnicharde ou de journal ennuyeux, juste le fil des jours qui précèdent ce moment, quand la jeune fille renaît une fois encore. Et c'est bien elle qui engendre ce rythme endurant, ces mots qui soudain cognent, ou se mettent à glisser, ces phrases altières et puis syncopées. « Djamila sur moi, j'étais en cavale » : au détour de cette phrase faussement anodine, tout est dit, la présence d'une femme pour mieux prendre congé, son sourire sur nous la nuit. Alors le lecteur, suspendu aux remémorations fiévreuses d'un écrivain qui perpétue sans doute le dandysme de Laurent et la verve de Blondin, mais surtout la nostalgie enfantine, à la fois malicieuse et mélancolique, de Vian, le lecteur pour quelques temps, oublie ce que devient la littérature, ce que deviennent les jeunes filles, ce qu'il devient. Il se laisse prendre au jeu de cet écrivain qui survit, qui insiste, qui surtout s'obstine à rêver sous le regard des matons qui passent, perdu à jamais dans le fouillis d'un panthéon en désordre, aussi beau et démodé qu'un jardin anglais.

    (Texte paru dans Le Magazine des Livres Juillet-Août 2010)

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  • CHIENS

    « Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. Et j'ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre. C'est la haine qu'on porte au Bédouin, à l'Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »

    (Extrait d'une lettre de Gustave Flaubert à George Sand - 12 juin 1867)

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  • REPRISE

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    Les films tels des fluides s'échangent, se complètent, se corrigent. Ils permettent à la fois de pleurer sur le passé et de voir venir. La déception que l'un provoque se voit bientôt adoucie par l'énergie qu'un autre engendre. La joie que celui-ci procure est déjà entamée par la peine que celui-là cause. Le panoramique écourté ici se verra longuement détaillé là-bas ; l'intense visage un jour contemplé se voit plus tard honteusement barbouillé ; le silence heureusement préservé d'une séquence est déjà à la merci du tumulte de celle lui rendant hommage.

    Le plan fixe des Coen a beau mêler l'espérance et le drame (malgré le sourire de la jeune femme, le colis est bien là et bien encombrant), il suffit d'un peu de recul et d'un peu de temps, il suffit tout simplement d'un autre film, pour que la menace se dissipe, mais également, car tout se paie, pour que l'espoir d'un autre possible se noircisse : chez Nuri Bilge Ceylan, le paquetage désormais défait assure d'une quiétude relationnelle on ne peut plus banale : il ne contenait que quelques affaires de plage et non les reliefs morbides d'un meurtre insensé ; le champ élargi assure qui plus est d'une voile. La jeune femme toutefois tourne le dos et il est vraisemblable que son regard attentif fasse désormais partie du passé.

    Les films finissent toujours par se communiquer leurs humeurs, ternir ce que l'on tenait pour éclatant, apaiser l'effroi.

    Le temps ne détruit rien ; il émousse cependant et c'est très bien comme ça.

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