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    Elle détourne les yeux avec ennui, mais lui, croyant la gêner, se dit que le tour est joué et voulant pousser son avantage, l'indispose plus encore. Alors elle le regarde bien en face, aussi froidement que possible, et au moment où il comprend enfin que tout est perdu, elle se met à l'aimer.

    Il n'y a pas que les faux professeurs qui pullulent sur la Toile, à l'éloquence pontifiante et à la culture rigide, il y aussi quantité de faux élèves, à la candeur intéressée et aux missives flatteuses, les premiers rêvant de soumettre les seconds qui ne demandent d'ailleurs que cela : avoir un maître sur qui régner.

    X-Men, le commencement, ou l'apprentissage de la dualité Jésus/Christ version Kazantzakis : comment faire de sa différence fondamentale une arme de cohésion, comment accepter de faire partie d'un monde sans pitié, comment se sentir solidaire d'individus sans foi ni loi, comment respecter celui qui n'a pas de respect, comment sauver celui qui veut notre perte.

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  • 121

    Dans la salle, elle parsème son rire quasi-continu de mots d'esprit en rafale, mais dans le hall tout-à-l'heure, elle paraissait plus réservée, presque craintive, regardant partout. C'est qu'il est là à présent, raillant pour quelques-uns les plans qui insistent trop, les amorces lourdes, les raccords limites. Il est là et semble ne même pas l'avoir remarquée. Elle aimerait renier quelque chose, à voix rauque, mais serait bien en peine de savoir quoi.

    C'est un film tellement impersonnel que par vanité, chacun peut prétendre s'y reconnaître.

    Le lituanien Sharunas Bartas fait partie de ces artistes qui ont un regard qui embrasse, qui réunit ensemble un paysage et un sourire, une femme déambulant d’une ruelle à l’autre avec lassitude, le regard absent, et un homme traqué, qui les yeux partout, la peur au ventre, ne vit que pour elle. Un regard qui lie sans affèteries ni effort, comme d’autres avant lui, Godard ou Carax notamment, la poésie et le polar, c’est-à-dire les conventions et l’écart, les rites et la grâce. Quelques mots sur son dernier film, .

     

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  • 120

    Elle est joliment inquiétante, à la manière de Deborah Kerr, avec cet air mesuré soudain trahi par un regard en coin, avec cet allant qui d'un coup disparaît sous l'assaut de souvenirs. Elle me regarde à peine, tarde à me reconnaître, et puis s'esquive en me serrant le bras avec douceur. Comment ensuite ne pas la regretter ?

    Tout commence par un crime sans témoin. Peu après, la curée contre le criminel supposé et la meute de ses soutiens, la réécriture de ce que pourtant tous ignorent, la multiplication des motifs, des raisons et des prétextes, la file d'attente des profiteurs et puis celle des confidents, les mensonges changés en évidence, les doutes devenus dogmes : l'affaire DSK n'est qu'une Genèse parmi d'autres.

    Lorsque deux cinéphiles jugent un film à l'identique, il y en a toujours un pour penser que l'autre rend les armes.

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  • 119

    Bien sûr sa bêtise pontifiante, ses emportements immatures, ses goûts déplorables, sa culture étudiée, son aveuglement à lui-même surtout, tout cela ne laisse que peu planer le doute sur sa nature véritable, mais soudain la voilà qui le prend par la main, qui nettoie d'un mot juste ou d'un sourire simple toute cette boue, et le change sous nos yeux, inguérissable et tourmenté, presque beau. Il ne la voit qu'à peine, mais c'est elle pourtant, lorsque son regard embrasse, qui le forme.

    Il en est des individus comme des films, lorsqu'on affirme n'être pas prêt à les oublier, c'est toujours par amour ou souci de vengeance ; ce qui finit d'ailleurs souvent par revenir au même.

    Indigène d’Eurasie nous parle de drogue, de fric, de putes, de traque, mais le fait sans jamais sacrifier pour cela un puissant échange de regards, une brume matinale ou une route enneigée, le pauvre sourire malheureux d’une femme épuisée. Sharunas Bartas est un cinéaste qui se moque bien de la grammaire irréprochable des cinéastes de qualité, lui qui sert un tout autre équilibre que celui de la syntaxe, un équilibre obtenu par la sincérité avec laquelle il fait se rencontrer entre elles les forces sensorielles qui l’assaillent, celles-là mêmes qui nous assiègent et donnent à nos vies si bien réglées, de l’enthousiasme, de l’impétuosité, de la mélancolie, du désespoir. Il possède ce regard qui sait lier ensemble les lieux sans surprise et les gestes incrédules, l’actualité la plus triviale et le mutisme le plus étranger à ce monde moderne qui parle de tout sans jamais rien écouter. Un regard qui ose prendre le temps de capter les reflets d’un monde désaccordé dans un geste ébauché ou une parole ténue, qui ose prendre ce temps alors même qu’il ne met à jour que des êtres en partance, en fuite ou en perdition.

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    Elles l'écoutent, un peu parties, un peu lasses, plus sensibles au rythme de ses phrases qu'à leur sens, levant leur verre aux subjonctifs, ricanant à l'argot policé qu'il essaime avec componction, reprenant même en choeur les plus belles saillies. Ses opinions de collégien font mouche grâce à quelques poses bien étudiées, tandis que sa morgue remplace aisément toute nuance. Tout enflé de lui-même, il explique le monde avec certitude, prenant même les réticences pour des aveux.

    Le besoin de transparence n'est pas le fait du philantrope mais du paranoïaque.

    Dans Mon oncle, Tati suit à la lettre les propos de Pascal ("Le vivant ne devrait jamais, selon notre attente, se répéter de façon complètement similaire. Là où nous trouvons une telle répétition, nous soupçonnons à chaque fois qu'un mécanisme se trouve derrière ce vivant"), en créant des personnages maniérés aux gestes de robots et aux postures de mannequins. C'est cela même, cet inattendu, qui fait sourire (le rayon de soleil sur la cage engendre immédiatement le chant de l'oiseau), rire jaune (les dérives techniciennes) ) ou s'esclaffer (les outils improbables qui fabriquent une nouvelle façon de se mouvoir et de se relier aux autres). Le rire au cinéma ne peut cependant plus être bergsonien, et naître de cette "mécanique plaquée sur du vivant", puique depuis 1957, les gadgets sont devenus plus absurdes encore mais sont désormais acceptés sans discussion, et sans que personne surtout n'imagine pouvoir en rire. Le vivant mécanisé fonctionne à présent selon notre attente.

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